Dans sa livraison 2020, l’Observatoire Cetelem livre le portrait d’un consommateur français et européen qui est en train de changer profondément ses habitudes, en réponse aux inquiétudes provoquées par le changement climatique, les phénomènes météorologiques extrêmes, et l’épuisement des ressources naturelles. Voulant consommer mieux et moins, il ne se contente plus de prendre des initiatives personnelles, mais il est prêt désormais à agir pour faire changer les acteurs économiques et l’ensemble de la société… il est devenu un consommateur activiste.
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Intitulé « Le temps du consommateur activiste », l’Observatoire Cetelem 2020 – dont les résultats ont été présentés à Paris le 28 janvier – marque peut-être, plus que les années précédentes, un tournant (1). Le terme « d’activiste », appliqué à quelqu’un qui s’engage en faveur de quelque chose, dans une démarche militante voire contestataire, a longtemps fait mauvais ménage avec l’univers de la consommation, qui favorise plutôt l’adhésion à un modèle économique qui s’appuie sur la croissance. Or la consommation – à outrance – est aujourd’hui chahutée de toutes parts, car elle est accusée de porter atteinte aux ressources naturelles et à l’environnement, et au-delà de porter une menace pour l’avenir. Les exemples médiatisés sont très nombreux, mais on peut penser à la jeune égérie de la lutte contre le changement climatique Greta Thunberg, qui pointe ouvertement la responsabilité de l’industrie, au mouvement contre la production des emballages plastiques qui polluent nos océans, ou aux actions des véganes contre l’élevage animal industriel… autant de phénomènes effectivement « activistes » qui remettent en cause un certain modèle de consommation. « L’Observatoire Cetelem 2020 met à jour un consommateur qui veut consommer mieux mais aussi moins, qui a parfois du mal à finir son mois, qui veut consommer local et qui se méfie des grandes marques », a indiqué Jean-Marie Bellafiore, directeur général délégué de BNP Paribas Personal Finance, en introduction. Il est aussi de plus en plus responsable, et de plus en plus favorable à l’économie circulaire. Pour Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cetelem, la grande nouveauté est qu’il est devenu « activiste » : « Ce consommateur n’adopte pas seulement un comportement responsable personnel, mais il est prêt à s’engager pour que cette attitude soit étendue aux autres consommateurs, aux entreprises et à toute la société. »

Des intentions d’épargne en hausse
Dans une première partie, l’Observatoire interroge le consommateur français sur un ensemble de thèmes, tout en comparant ses réponses avec celles des consommateurs de 14 autres pays européens, ce qui permet d’en dresser un portrait économique et psychologique. Le premier indicateur est que le moral des Français reste élevé et stable à 5,3 sur une échelle de 1 à 10 – la moyenne européenne étant de 5,4, et le moral le plus élevé aux Autrichien et Allemands à 6,7 et 6,6 – ce qui semble dû à l’amélioration de la situation économique en France, qui crée de nouveau des emplois et fait reculer le chômage. Quid de la situation personnelle des Français ? Elle s’améliore, et atteint 6,1 sur une échelle de 1 à 10, contre 5,7 l’année dernière, tandis que la moyenne européenne se situe à 6,0. Les européens qui ont le meilleur moral sont les Allemands, les Autrichiens et les Suédois à égalité à 6,5.

Sujet suivant, les consommateurs français sont plus nombreux à avoir l’intention d’épargner plus au cours des 12 prochains mois, à savoir 35 % en 2020 contre 29 % en 2019, ce qui traduit à la fois une augmentation du revenu disponible, et une certaine crainte de l’avenir, d’autant plus que le rendement des placements sans risque est aujourd’hui très bas. Ces chiffres sont cependant les plus faibles d’Europe, puisque 51 % des Européens tous pays confondus ont l’intention d’épargner plus, un chiffre qui monte à 60 % pour les Hongrois, Polonais et Portugais, 66 % pour les Suédois et même 69 % pour les Roumains. La faible propension à épargner plus en France s’explique par le taux d’épargne déjà élevé dans notre pays (16 %), alors qu’il est de 10 % en moyenne en Europe. Les intentions d’achat en Europe restent stables – 40 % des sondés ayant l’intention d’augmenter leurs dépenses, contre 41 % il y a un an – tandis qu’en France l’intention de consommer plus reste à 35 % des sondés, ce qui laisse augurer d’un maintien de la consommation intérieure en 2020. Enfin, comme les années précédentes, la France se distingue sur sa perception du pouvoir d’achat : 48 % des consommateurs français estiment en effet que ce dernier a baissé, alors que les autres Européens ne sont que 32 % à avoir cette impression. A l’inverse, 13 % seulement des français estiment que leur pouvoir d’achat a augmenté, contre 24 % des autres Européens. « La perception d’un pouvoir d’achat qui baisse est une particularité française, qui est contredite par les statistiques de l’INSEE montrant un pouvoir d’achat qui continue de monter lentement, commente Flavien Neuvy. Elle est peut-être due à l’augmentation des dépenses contraintes, comme le loyer, et les abonnements divers en téléphonie, audiovisuel ou autres, mais quoi qu’il en soit, elle est importante par son impact sur les comportements d’achat. »

Une envie de consommer en berne
La seconde partie de l’Observatoire met en évidence un consommateur plus que partagé sur l’envie de consommer. En effet, si 57 % des Français déclarent « qu’ils ont envie de dépenser », dont 47 % « n’en ont pas toujours les moyens », ils sont 43 % à « ne pas avoir envie de dépenser », parmi lesquels 22 % « n’ont pas envie de dépenser, mais en ont les moyens. » Pour le directeur de l’Observatoire Cetelem, « Ce petit quart de consommateurs qui peuvent mais ne veulent pas montrent que la consommation pour consommer n’est plus à la mode. » Ce profil nouveau est présent dans tous les pays européens, et représente au minimum 12 % chez les Roumains, et jusqu’à 30 % des Allemands et des Belges. Une attitude qui est mise en parallèle avec une vision pessimiste de l’avenir de la planète : 75 % des sondés estiment en effet que « Les habitudes de consommation ne changeront pas, que la Terre continuera d’être pillée de ses ressources », tandis que 60 % estiment que « Nous avons atteint un point de non retour, la Terre va vivre un scénario catastrophe. » A noter qu’ils ne sont que 27 % à « ne pas croire au dérèglement climatique, qu’il s’agit d’un vaste mensonge. » Et c’est bien la société de consommation qui est jugée responsable de cette nouvelle source d’angoisses : 48 % des consommateurs européens la jugent matérialiste (48 %), superficielle (38 %), manipulatrice (29 %) et individualiste (29 %). Elle est donc accablée de tous les maux, puisque a contrario, seuls 8 % la jugent honnête et 5 % généreuse.

Il en résulte pour les consommateurs une culpabilisation au regard des enjeux environnementaux. Ainsi, 52 % ont mauvaise conscience – 16 % systématiquement, et 36 % souvent – en achetant des produits emballés dans du plastique, 42 % ont mauvaise conscience en ne triant pas leurs déchets, 36 % ont mauvaise conscience en continuant de rouler avec leur voiture essence ou diesel, 35 % du fait qu’ils mangent de la viande… jusqu’à 21 % en prenant l’avion, dont on sait à présent à quel point il est producteur de gaz à effet de serre… Avec une conséquence majeure : une tendance à consommer moins. A l’échelle européenne, les sondés sont 42 % à affirmer qu’ils consomment moins, 41 % qu’ils consomment ni plus ni moins, et seulement 17 % à affirmer qu’ils consomment plus. La tendance est même un peu plus marquée en France, où nous sommes 44 % à consommer moins, 45 % à consommer de manière égale, et un petit 11 % à consommer plus. Pour ceux qui consomment moins, les principaux motifs expliquant cette attitude sont dans l’ordre croissant « pour des préoccupations environnementales ou sociales » (16 %), « pour faire des économies (23 %), « parce que je suis suffisamment équipé » (30 %), et « parce que j’ai moins de besoins qu’avant » (31 %). Ce recul se constate déjà en France avec la viande, dont la consommation a baissé de 93,6 kg par habitant et par an en 1998 à 87,5 kg par habitant et par an en 2018, ou avec le textile (-15 % de produits consommés en 15 ans). Enfin, ce mouvement devrait se poursuivre et même s’accentuer : 59 % des Européens sondés déclarent qu’ils consommeront à l’avenir « ni plus ni moins », mais 31 % consommeront « beaucoup moins » et seulement 10 % « beaucoup plus ».

La montée d’un consommateur activiste
Pour le consommateur d’aujourd’hui, le souci du changement collectif prend de plus en plus le pas sur l’initiative personnelle. C’est ce que montre la troisième partie de l’Observatoire. Le fait de faire passer la situation collective avant sa situation personnelle est en effet prioritaire, avec une adhésion en moyenne de 5,7 sur une échelle de 1 à 10. Sur la question des moyens à mettre en œuvre pour parvenir à une consommation plus responsable, les avis sont en revanche partagés : pour un premier groupe de pays réunissant 35 % des réponses (Royaume-Uni, Suède, Pays de l’Est), ce comportement sera institué par les consommateurs eux-mêmes ; un second groupe avec la France, l’Italie, la Belgique et le Portugal (34 % des réponses) estime qui sera imposé par des taxes (principe du pollueur-payeur) ; un troisième avec la Slovaquie et la Bulgarie (31 % des réponses) estime qu’il sera imposé par la loi. Autre nouveauté, le fait que la planète puisse être en danger rend aujourd’hui de plus en plus légitime des actions engagées comme des occupations de sites, des boycotts, des dénonciations par des lanceurs d’alerte.

Les sondés européens sont aujourd’hui 87 % en moyenne à déclarer qu’ils ont le sentiment de consommer de manière responsable – 79 % pour les Français – tout en demandant que l’ensemble de la société en fasse de même. Une majorité d’Européens (68 %) et 69 % des Français ont le sentiment de prendre eux-mêmes des initiatives dans ce sens, contre 32 % (31 % des Français) qui ont l’impression d’y être contraints par le reste de la société. La grande majorité d’entre eux sont prêts à accentuer leurs comportements en faveur de l’environnement : réduire le gaspillage, jeter moins, réparer (87 %) ; privilégier les appareils électroménagers durables, quitte à renoncer aux modèles les plus innovants (86 %) ; limiter leur consommation d’eau, d’électricité et de carburant (85 %) ; limiter l’achat d’objets et emballages plastiques (84 %) ; privilégier l’achat de produits locaux, de saison et bio (84 %)… A quoi les consommateurs sont-ils prêts, en magasin, pour avoir des prix plus bas ? Réponses : avoir des produits présentés plus simplement (85 %), avoir un choix de marques restreint (69 %), avoir un choix de produits limité (63 %), avoir un cadre d’achat moins agréable (59 %), et même… avoir moins de vendeurs voire plus du tout, et se passer de service après-vente (à égalité à 51 %). Enfin, l’activisme du consommateur se traduit aussi dans le « localisme », puisque les achats de produits fabriqués dans son propre pays sont en hausse, et considérés comme « tout à fait prioritaires » par 43 % des Européens (52 % des Français), « importants mais pas prioritaire » par 52 % des Européens (45 % en France), tandis que 5 % seulement des Européens jugent que « ce n’est pas important » (3 % des Français).

En conclusion, la consommation est aujourd’hui traversée par des courants profonds qui se sont installés très rapidement. Depuis ces trois dernières années, 48 % des Européens déclarent consommer plus de produits locaux, 42 % plus de produits faits maison, 39 % plus de produits en vrac et sans emballages, 37 % plus de transports « doux » comme le vélo ou la trottinette… Ils ne sont que 16 % à consommer plus d’énergie fossiles, et 15 % à consommer plus de viande. La montée des périls environnementaux – changement climatique, « océan » de plastique, pollution de l’air, incendies géants en Australie et aux USA, etc… – a frappé les esprits, et influence donc fortement les comportements d’achat, et l’arrivée d’un consommateur averti. Il est aujourd’hui décidé à changer les choses pour consommer mieux, consommer moins, et à faire en sorte que la société adopte des comportements responsables et durables.
(1)L’enquête, réalisée fin 2019 par l’institut Harris Interactive, porte sur un total de 14 200 individus de 15 pays européens qui ont été interrogés en ligne – dont 3000 en France et 800 dans les autres pays – sur un échantillon dont le représentativité est assurée par la méthode des quotas (sexe, âge).
[François Salanne]