En cette période de relance de la restauration, l’art de vivre à la française doit-il se réinventer ? Pour répondre à cette question, l’Ameublement français a réuni, lors de son webinaire du 8 juin dernier – organisé avec Beemedias – le duo prestigieux composé du grand chef étoilé Guy Savoy et de l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Le secret de leur réussite ? Obtenir le bien-être du client, en associant le contenu de l’assiette et tout ce qui l’entoure dans une même exigence de qualité et de créativité.
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Le 8 juin dernier, date de la tenue de ce cinquième webinaire, alors que les restaurants de la région parisienne (alors zone « orange ») devaient maintenir leurs salles fermées, le chef triplement étoilé Guy Savoy a exhorté les pouvoir publics à avancer la date de réouverture prévue du 22 juin, sous peine de voir le secteur de la restauration s’enfoncer un peu plus dans la crise… Grand bien lui en a pris, car il a finalement été entendu, et que les restaurants ont pu rouvrir le 15 juin. « Nous allons sortir peu à peu de ce coma artificiel, et les mesures sanitaires ont été surjouées, a-t-il justifié. Il est grand temps, car notre secteur et le tourisme tout entier en ont beaucoup souffert. » Mais cette réouverture ne marque pas encore un retour à la normale, en raison notamment des mesures de distanciation sociale, qui imposent un mètre d’écart entre chaque table partout en France, ce qui met en péril le modèle économique de la plupart des restaurants. La crise a été aussi donné des idées : pour pallier la fermeture de ses établissements, le chef étoilé a mis au point un service pour faire venir un chef estampillé Guy Savoy à domicile, et y préparer un repas de haut vol, qui s’adresse à la clientèle – notamment les personnes à risques – qui ne souhaite pas aller au restaurant pour l’instant.

Restaurant de l’hôtel de la Monnaie à Paris (copyright Laurence Mouton)
Restaurateur – architecte, un duo indissociable
Prenant la parole à son tour, Jean-Michel Wilmotte a rappelé que la gastronomie française est désormais inscrite au patrimoine de l’humanité, et qu’elle se compose de deux choses : le contenu de l’assiette, et tout ce qui entoure l’assiette. Autrement dit le savoir-faire culinaire et la créativité des grands chefs ont besoin d’un décor, d’une architecture d’intérieur tout aussi créative pour créer l’événement : « Aller dans un grand restaurant, c’est déguster, mais c’est aussi voyager, rêver, partir dans un autre monde le temps d’un repas, déclare l’architecte entre autres de la Station F à paris. Il faut que le cadre soit juste, pour que le client se sente bien. »
C’est sans doute cette alchimie qui a fait la renommée du restaurant de l’Hôtel de la Monnaie, situé quai Conti rive gauche à Paris, l’un des fleurons du groupe Savoy, plusieurs fois classé meilleur restaurant du monde parmi les 1 000 tables distinguées par le classement du Quai d’Orsay. « Jean-Michel Wilmotte a su faire de cet hôtel particulier du XVIIIe siècle un lieu intemporel, à la fois majestueux et qui ne détourne pas l’attention de la table et des mets, du grand art », commente Guy Savoy, saluant ainsi une longue complicité entre les deux créateurs. Ce qui fait de ce lieu une vitrine par excellence de l’art de vivre à la française vis-à-vis des clients internationaux.
Espaces de restauration : arbitrer entre l’ouvert et le fermé
Si le restaurant de l’Hôtel de la Monnaie ne souffrira pas des mesures de distanciation sociale, dans la mesure où les tables sont déjà suffisamment espacées dans les établissements de grand luxe, qu’en sera-t-il pour l’ensemble des restaurants ? Pour Jean-Michel Wilmotte, la période post Covid-19 qui s’ouvre va donner lieu à de nouveaux arbitrages entre l’ouvert et le fermé : « Dans les bâtiments tertiaires, la tendance était ces dernières années aux espaces partagés, comme le montre par exemple la Station F (Paris 13e) qui compte beaucoup d’espaces communs aux start-up. Pour les nouveaux projets en cours, on réfléchit à des espaces qui doivent pouvoir être cloisonnés, une solution pouvant être d’alterner les bureaux ouverts ou fermés. »
Or, trop de séparations pourraient tuer certains métiers, comme la restauration, de même que les salles de spectacles et les théâtres. Autrement dit, on ne peut pas vivre non plus dans des espaces trop aseptisés. Pour l’architecte, il va donc falloir arbitrer intelligemment, trouver les meilleures solutions médianes : « On peut imaginer par exemple des plateaux adaptables, avec de la polyvalence et de la modularité en fonction des tablées, du nombre de convives, il faudra du mobilier évolutif, pour pouvoir aussi revenir à la normale le moment venu. »

Restaurant de l’hôtel de la Monnaie à Paris (copyright Laurence Mouton).
Quel rôle pour les fabricants français ?
A cette question posée par le directeur général de Ligne Roset Hôtels et Contract Max Flageollet, l’architecte répond que les fabricants qui remporteront les marchés seront ceux qui sauront s’adapter, en proposant des matériaux sains et durables, ce qui oriente davantage vers la filière bois, où les fabricants français sont très présents, plutôt que vers les matériaux composites. Ceux qui proposeront des solutions qui préviennent contre le virus, avec des matières qui le détruisent naturellement comme le cuivre, auront un avantage. Jean-Michel Wilmotte souligne aussi le haut niveau des designers et architectes d’intérieur français à l’étranger, qui représentent par exemple environ 20 % du total des créatifs qui travaillent en Italie, et sont le pendant exact de la forte image de la gastronomie française à l’international. « Il est très important que nos designers et nos mobiliers français soient présents dans nos établissements à l’étranger, rebondit Guy Savoy. Aux États-Unis, en Chine, au japon, partout, les clients viennent précisément pour une cuisine et un décor de culture française, qui portent une certaine poésie et font rêver. »
L’architecture d’intérieur, un levier pour la fréquentation
Dans une période difficile pour la restauration, après une longue période de fermeture, et alors qu’il y a des réticences et des craintes à revenir au restaurant, les architectes d’intérieur ont plus que jamais un rôle clé à tenir. « Une architecture d’intérieur réussie, c’est une multitude petits détails, dans le choix des matériaux, des couleurs, des accessoires, qui fait que le client se sent bien, et qu’il sent qu’on a travaillé pour lui, pour rendre ce lieu agréable et sûr, ajoute Jean-Michel Wilmotte. Cela fait toute la différence aujourd’hui. » Le duo restaurateur et architecte d’intérieur a donc certainement de beaux jours devant lui, pour maintenir cette plus-value de l’art de vivre à la française.
A l’heure où l’on parle de proximité, de circuits courts et de made in France – avec la vaste campagne « Meublez-vous français » qui concerne aussi les fabricants positionnés sur le contract – ils peuvent le faire avec le concours des fabricants français, dont la qualité des matériaux employés et finitions ont un rôle certain à jouer pour offrir à la restauration ce cadre qui crée le bien-être dont elle a aujourd’hui besoin.