Faute d’avoir pu présenter physiquement la mouture 2020 en raison de la pandémie, le French Design incubateur du Via expose les 40 produits issus des saisons 2020 et 2021, en trois temps et jusqu’au 4 novembre, dans sa galerie parisienne. Une illustration par de nombreux exemples de sa vocation à rapprocher les fabricants et éditeurs avec les designers, et à les accompagner jusqu’à la mise en marché de produits au design pertinent, répondant notamment aux nouveaux usages, et aux exigences d’éco-responsabilité.
Si la pandémie de Covid-19 a compliqué les déplacements et les échanges, le French Design incubateur n’en a pas moins poursuivi son activité contre vents et marées. Résultat, ce n’est pas une session, mais deux – celle de 2020 qui n’a pas pu être exposée physiquement, et celle de 2021 – et 40 créations qui sont et seront exposées à la galerie parisienne du French Design by Via, en trois temps entre le 2 septembre et le 4 novembre [voir encadré]. La formule est désormais bien rôdée : le French Design by Via sélectionne, durant le Speed Dating de printemps, un ensemble de binômes constitués d’un fabricant ou d’un éditeur d’une part, et d’autre part d’un créateur, designer ou architecte d’intérieur, et les accompagne pendant un an dans le développement du projet, jusqu’à aboutir à un produit prêt à la commercialisation. C’est « l’incubation ». Pour ce faire, l’organisme met à leur disposition un ensemble d’outils, comme ses études filière, ses formations à la recherche & développement, au développement durable, à la stratégie de marque, à la propriété intellectuelle, à la communication & médias… Les « incubés » sont aussi abonnés à des FabLab et à une matériauthèque, accompagnés dans leur recherche de financement, et bénéficient au bout de processus de toute l’exposition médiatique du dispositif, auprès de l’écosystème du design et de la distribution, et des médias spécialisés. Si elles sont d’une grande diversité, les créations exposées ont en commun les dix valeurs qui constituent le « French Design », définies par un panel de personnalités, et illustrent particulièrement les notions d’art de vivre, de savoir-faire, et d’innovation durable.

Mobilier évolutif Cubethic (Cubethic / Bina Baitel).
Savoir-faire remarquables
Parmi les créations exposées dans la première sélection – sous la bannière « art de vivre », visibles jusqu’au 23 septembre – certaines s’affirment par les savoir-faire de haute facture mis en œuvre. C’est le cas de la chaise Sérine, la première fabriquée par Drugeot Manufacture, une marque coutumière des rangements, bureaux et tables, avec le bureau de design Olivier Gassies. Pour la réaliser, le fabricant a mis à la disposition du designer toute son expertise d’ébéniste dans le travail du chêne massif. Il en résulte une chaise magnifique, qui associe une finesse des épaisseurs avec une qualité premium des assemblages traditionnels. Raffinement supplémentaire, l’assise et le dossier se composent d’une seule pièce cintrée, ajourée en son centre par un motif découpé dans le bois, qui semble se dérouler sur la structure, et lui donne son caractère résolument créatif et contemporain. La maison Jules Pansu, l’une des plus anciennes manufactures de textile d’ameublement français, implantée à Halluin (Nord) depuis 1878 et labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant, revendique pour sa part un savoir-faire patrimonial de haute volée dans la tapisserie, notamment pour exécuter des reproductions de tableaux de maîtres. Grâce à l’incubateur, ce dernier a été mis au service de la créativité de la designer Élise Fouin, qui s’est fait un nom dans la création de luminaires notamment en papier, et de mobilier. De cette rencontre est née la collection de poufs, suspensions et coussins Tumulys – une contraction de « tumulus » et de « Lys » puisque la maison Jules Pansu est implantée à proximité de la rivière la Lys. Pour la mettre au point, la designer a eu l’idée de récupérer les « lisières », des chutes de matériaux qui comprennent fils de chaîne et de trame sur chaque côté des œuvres, afin d’obtenir des objets à la fois multicolores, et riches de l’épaisseur de la tapisserie en termes de toucher et d’isolation acoustique.

Collection Tumulys (Maison Jules Pansu / Elise Fouin).
Développement durable
Thématique de plus en plus incontournable quand on parle de création dans le mobilier, le développement durable est aussi très présent dans la nouvelle mouture de l’incubateur. Avec par exemple le bureau Belt, édité par Matière première, un jeune éditeur créé par le duo Quentin Millet et Thibaud Brossard en 2018, sur un dessin du studio BrichetZiegler, fondé par les designers Caroline Ziegler et Pierre Brichet. L’objectif de Matière Première est de limiter l’empreinte du mobilier sur l’environnement, par l’emploi de matériaux durables, recyclables, et rénovables, ce qui se traduit dans le bureau Belt par un plateau et des séparations acoustiques à base de déchets de plastique recyclés, ainsi qu’une niche de rangement en bois. D’autre part, le plateau, simplement glissé dans une gorge qui ceinture le piétement métallique, peut être remplacé en cas d’usure, ce qui évite de jeter et de remplacer l’ensemble du produit. Ce bureau peut aussi être composé de façon modulaire, afin de créer plusieurs postes de travail. Que dire du fauteuil Art, conçu par Charlotte Juillard et édité par Noma (une abréviation de « Nobles Matières ») ? Peut-être tout simplement qu’il s’agit d’un modèle d’éco-conception exemplaire, puisque, dans une communication très transparente, l’éditeur indique que, sur une structure en acier, il met en œuvre une coque en plastique entièrement recyclé, une mousse comprenant 35 % de matériaux recyclés, du tissu en fibre de polyester et du bois recyclés, ce qui en fait un produit à 77,5 % à base de matière recyclée. « Noma cherche d’abord à promouvoir par le design l’utilisation de matières recyclées, la création est libre et l’effort d’éco-conception a consisté à minimiser les impacts environnementaux des produits imaginés par les designers » déclarent ses fondateurs Guillaume Galloy et Bruce Ribay. Pour ceux qui veulent aussi « changer le regard sur les matériaux recyclés, véritables trésors pour les intérieurs contemporains », la démonstration est particulièrement réussie avec ce fauteuil superbe visuellement, et lauréat du Label Innovation 2020, attribué à un produit phare par session.

Bureau Belt (Matière Première / Studio BrichetZiegler).
Nouveaux usages
Logiquement, le French Design incubateur reflète aussi les nouveaux usages, dont certains sont révélés ou accélérés par les dix-huit mois de pandémie que nous venons de traverser. C’est ainsi que Fabien et Jean-Marie, qui se sont rencontrés sur les bancs de l’école Pivaut à Nantes, se sont associés pour créer le projet « La Carapate », qui réinvente complètement la caravane, en imaginant un objet qui associe design responsable, fabrication locale et nomadisme, et répond aux aspirations à se rapprocher de la nature. Cette unité de vie autonome est en effet fabriquée par l’entreprise nantaise ACA Agencement, en utilisant principalement du bois – matériau renouvelable – et des textiles issus de la valorisation, avec un volet de partenaires qui sont tous implantés dans un rayon de 150 kilomètres maximum. Ce produit, issu d’un design responsable et porteur de valeurs, a reçu le Label Innovation 2021, et il a bénéficié d’un accompagnement du FCBA en matière de modélisation et d’impression 3D pour valider virtuellement les étapes de son développement. Il est commercialisé depuis le début 2020. Depuis le début de la pandémie, les consommateurs sont aussi demandeurs de meubles qui peuvent remplir plusieurs fonctions, pour optimiser autant que possible les espaces restreints disponibles dans les logements. C’est dans cet esprit que la designer Bina Baitel a imaginé le mobilier évolutif Cubethic, qui peut être assemblé jusqu’à 5 façons différentes, pour remplir différentes fonctions pour s’adapter notamment à la croissance d’un enfant. Le plateau du bureau peut être réglé en hauteur à mesure qu’il grandit, la chaise de bébé devenir un tabouret pour adultes, ou une table de nuit… autant de métamorphoses rendues possibles par un procédé d’assemblage breveté et sans outil. La robustesse du bois massif est un gage de qualité pour ce mobilier transformiste conçu pour durer.

Collection Big Roll (Sifas / Döppel Studio).
Création formelle
Enfin, l’incubateur ne serait pas le reflet fidèle des missions du French Design by Via s’il ne laissait pas une place à l’innovation formelle, ce qui est le cas de cette première session avec la collection de mobilier outdoor Big Roll, éditée par Sifas et imaginée par Döppel Studio, un duo de designers composé de Lionel Diniz Salazar et Jonathan Omar. Pour créer cette ligne complète d’assises, table basse et table de repas, les deux designers se sont inspirés de l’esthétique des bouées gonflables, qu’ils ont déclinée sous la forme d’une assise rebondie entourée d’un gros tube circulaire, en mousse à séchage rapide entourée d’un filet synthétique, une vision radicale du siège outdoor dont les lignes joufflues sont un hymne au confort d’été. Les sièges, comme les tables, reposent sur un piétement circulaire de forte section en aluminium laqué blanc, qui participe à la rondeur de l’ensemble. Une démonstration par l’exemple que l’incubateur invite joyeusement éditeurs et designers à se jeter à l’eau…
[F. S.]