Depuis plusieurs jours – et bien avant les annonces officielles de fermeture des magasins et de confinement – les deux organisations professionnelles du secteur, l’Ameublement français pour l’industrie et la FNAEM pour la distribution, ont mené de multiples actions pour aider les acteurs du meuble à faire face, au mieux, à cette crise sanitaire – et économique – sans précédent. Le point, à date, avec Cathy Dufour, déléguée générale de la première, et Jean-Charles Vogley, secrétaire général de la seconde.
Le Courrier : Quelle a été la première mission menée pour vos adhérents, dès la montée en puissance – il y a une dizaine de jours, donc – de ce qui allait prendre la forme d’une crise sans précédent ?
Jean-Charles Vogley (FNAEM) : Dans un premier temps, ce fut, bien sûr – pour nos deux organisations – l’information, dans les meilleurs délais avec, pour chacune, ses propres moyens. Il s’agissait de diffuser, auprès de nos adhérents – essentiellement par newsletters – toutes les mesures de soutien, puis leurs détails, qui étaient adoptées, au fur-et-à-mesure qu’elles étaient connues, dans les domaines social, commercial, fiscal. Ceci a mobilisé beaucoup de notre temps ! Les services juridiques de chaque organisation ont été énormément sollicités, avec des consultations dont le nombre a explosé.
Cathy Dufour (Ameublement français) : En fin de semaine dernière, l’équipe sociale et juridique de l’Ameublement français avait déjà accompagné, au total, plus de 85 entreprises en consultation… Nous organisons également des webinaires [réunions en ligne, ndlr] d’information sur la loi d’urgence Covid-19, et avons mis en place des questions / réponses par chat pour compléter ce dispositif et pouvoir renseigner l’ensemble de nos adhérents.
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Vos deux organisations ont également été en contact étroit avec le gouvernement…
Jean-Charles Vogley : Notre deuxième mission principale, en effet, a été de répondre, en urgence, aux consultations du gouvernement, en vue de la préparation du projet de loi d’urgence. Il y avait des points particuliers à porter.
Précisons, déjà, que distribution d’ameublement est très vite passée, massivement, au chômage partiel, puisque les points de vente – indépendants ou relevant des grandes enseignes – ont fermé leurs portes le samedi 14 au soir. Certaines équipes de vente à distance continuent de fonctionner a minima, mais elles se font aujourd’hui de plus en plus rares, puisqu’il est difficile de trouver des livreurs, et que la préparation des commandes impose souvent de regrouper les salariés sur un même plateau… Une question s’est également posée sur la livraison des encours dans le négoce traditionnel : la plupart, cependant, avait été stoppée immédiatement, et la position de la Fédération a été exposée dès lundi 16, effectivement en ce sens. En outre, puisque les fabricants, dans le même temps, arrêtaient ou diminuaient progressivement leur fabrication, les perspectives de livraison, pour les magasins, s’amenuisaient fortement… Ainsi, pour la distribution, les choses se sont arrêtées brutalement.
Dans le cadre de la consultation du gouvernement, nous avons insisté sur deux points, en particulier :
> Devait figurer, dans le projet de loi, un article sur le sujet des loyers, qui représentent 7 à 10 % du coût d’exploitation pour un point de vente, et constituent souvent le deuxième poste après les salaires (achats considérés à part) : cela n’était pourtant pas le cas initialement, et ce en dépit des premières annonces qui avaient été faites par le chef de l’état… Nous avons alors obtenu, avec d’autres fédérations (notamment celle de la Franchise), l’inscription d’une telle mesure dans le projet de loi, qui renverra à une ordonnance. Aujourd’hui, après que la commission mixte paritaire soit parvenue à s’accorder sur un texte commun du projet de loi d’urgence [lequel stipule qu’il sera possible de reporter intégralement, ou d’étaler le paiement de ces loyers, tout comme celui des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux, ndlr], nous constatons, à date [24 mars, ndlr] que les positions des foncières varient entre le report des échéances, et leur annulation. De ce fait, la situation est encore confuse. La FNAEM continue donc de demander, a minima, le report.
> Il y a également un effet de seuil, en termes de chiffre d’affaires, qui nous pose problème, dans la mesure où bon nombre de magasins hyperspécialistes – cuisinistes, litiers, par exemple – pourraient ne pas l’atteindre, ce qui les empêcherait de bénéficier de certaines mesures sociales. Mais là encore, à date, il n’y a pas de décision définitive.
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L’Ameublement français, de son côté, a écrit un courrier à la Ministre du Travail, par la voix de son président, Philippe Moreau…
Cathy Dufour : C’est exact. Il s’agissait, déjà, d’attirer l’attention du gouvernement sur la situation spécifique de la fabrication d’ameublement et d’agencement, au regard de l’activité partielle.
Nous avons, en effet, un vrai déficit d’activité, par effet ricochet. Comme chacun sait, la distribution d’ameublement – autrement dit les magasins – est fermée par obligation légale, mais songeons que les ERP [Etablissements Recevant du Public, comme les restaurants, hôtels, crèches, etc., ndlr] le sont aussi… or ce sont d’autres acteurs auxquels nous vendons nos meubles. Ainsi, les commandes ont été arrêtées, voire annulées pour certains fabricants, ce qui a constitué un vrai « trou d’air » pour eux, qui se sont retrouvés avec beaucoup moins d’activité… tout en faisant face, par ailleurs, à des difficultés d’approvisionnement – qui commençaient déjà à se faire sentir début mars suite aux blocages constatés en Chine, puis en Italie – ainsi qu’à une pénurie de transporteurs. De ce fait, même si les industriels du meuble parvenaient à produire – pour ceux qui, cela va de soi, auraient la possibilité d’assurer une entière sécurité à leurs salariés sur le plan sanitaire – il devient désormais très difficile de livrer la production, puisque les entreprises de leurs clients sont fermées, et que l’acheminement des produits, lui-même, est lui aussi excessivement compliqué, aussi bien en France qu’en Europe. Ainsi, pour ces raisons, les fabricants ont été obligés de recourir, de façon massive, à l’activité partielle, à la fois pour la production et le support (même si certaines parviennent à conserver ce dernier, en partie, en télétravail). La semaine dernière, sur les 120 adhérents avec lesquels nous avons échangé dans le cadre de cette crise, 75 % étaient déjà en activité partielle au jeudi (19 mars) soir.
> Décision a donc été prise d’envoyer un courrier à la Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, le vendredi 20 mars, afin de lui exposer l’ensemble de ces raisons, pour lesquelles la fabrication d’ameublement se trouve particulièrement concernée par la question de l’activité partielle… en espérant donc que cette situation spécifique de notre secteur soit bien prise en compte par les DIRECCTE [Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi, ndlr].
> Il était également question, dans ce courrier envoyé au ministère du travail, de rappeler que nous avions demandé, par la voix du MEDEF et de France Industrie, la possibilité de qualifier cette épidémie de « circonstance exceptionnelle », cela afin de pouvoir imposer des reliquats de congés payés de nos salariés acquis au titre de l’exercice précédent (2018 – 2019), mais aussi deux semaines sur les cinq semaines acquises au titre de l’exercice en cours ; le travail les jours fériés du mois de mai pourrait aussi être banalisé. De telles dispositions permettraient de limiter le coût du chômage partiel et, surtout, de redonner de la flexibilité en production au moment où l’activité va reprendre, nous l’espérons au mois de mai… période durant laquelle, traditionnellement, les congés restants sont soldés. Nous avions été entendus sur ce point, en partie, mais espérions que la loi qui devait être adoptée et / ou les ordonnances qui en découleraient auraient suffisamment d’ambition sur ce sujet [voir ici le détail de l’ordonnance portant soutien aux entreprises sur la question des congés payés]
Quelles sont les autres mesures de soutien recherchées par les deux organisations ?
Cathy Dufour : La recherche d’autres mesures de soutien est, précisément, la troisième action majeure menée par l’Ameublement français et la FNAEM. En ce sens, plusieurs demandes ont été faites.
> Dans un premier temps, il s’agissait, pour l’Ameublement français, de voir avec le CODIFAB s’il était possible d’acter un report du prochain paiement de la taxe, pour ceux qui sont concernés : cela est le cas, puisque février, mars et avril pourront être différés sur demande. Le CODIFAB a validé cela avec l’Etat.
> Nous avons également une demande en cours, avec la FNAEM, auprès des éco-organismes, afin de voir s’il est aussi possible de mettre en place des mesures – reports, probablement – du prochain paiement de l’éco-contribution, qui doit intervenir mi-mai. Sur ce point, les discussions sont en cours.
Jean-Charles Vogley : Cette demande a été communiquée, dès le 13 mars, à Eco-Mobilier et Valdelia. Eco-Mobilier a informé ses adhérents, ce 20 mars, qu’une réflexion était actuellement menée à propos de mesures, lesquelles doivent être soumises à son conseil d’administration prévu à la fin de ce mois. Ainsi, les adhérents doivent continuer d’honorer leurs obligations déclaratives – cela n’est absolument pas contesté – mais il faut dire que, côté distribution, ceci pourrait poser problème car plusieurs acteurs, essentiellement TPE, n’ont aujourd’hui plus forcément leurs effectifs et / ou documents à disposition pour effectuer la télé-déclaration étant donné les conditions actuelles… Bien sûr, on ne peut généraliser, mais les choses n’apparaissent pas aussi simples, et cela est indépendant de la volonté des metteurs sur le marché.
Nous verrons, au fur-et-à-mesure, si nos demandes conjointes ont été entendues. Insistons sur le fait que les éco-contributions ne sont pas neutres, notamment depuis l’augmentation significative des barèmes en janvier dernier !
Cathy Dufour : L’idée est, vraiment, d’avoir des propositions qui permettent aux entreprises d’échelonner leur trésorerie. Valdelia est également en train de travailler sur un sujet de ce type, en vue de son prochain conseil d’administration qui, lui, se tiendra début avril. Nous espérons ainsi avoir bientôt des nouvelles en faveur des entreprises que nous représentons…