Agence spécialisée dans le design commercial global, Saguez & Partners a organisé le 26 mars dernier une conférence sur le thème du « hosping » – une contraction de « hospitality » et de « shopping » – un concept qui vise à faire du point de vente un lieu de lien social entre la marque et ses clients. Cette transformation, assez iconoclaste, d’un « lieu de transaction » en un « lieu de relation » peut-il être un remède à la baisse annoncée de fréquentation des magasins ?
Indiscutablement, le point de vente est aujourd’hui sur la sellette, et au centre de nombreuses interrogations. En observant la fermeture de surfaces commerciales qui a été multipliée par 3 en 2017 aux USA, où on voit des centres commerciaux parfois complètement désertés, les esprits les plus catastrophistes voient se dessiner un avenir sombre pour les magasins en France. En parallèle, les ventes sur Internet s’envolent, avec des performances parfois spectaculaires : le géant chinois de la vente en ligne Ali Baba a atteint 30 milliards d’euros de ventes en 24 heures pendant son « Singles Day » de novembre 2018… Dans notre pays, on sait que la fréquentation des points de vente est devenue un véritable défi stratégique. Cependant, le regard expert de Saguez & Partners met en évidence un autre phénomène : « Dans une société de plus en plus connectée et individualiste, on n’a jamais ouvert autant de lieux de convivialité, relève Cécile Poujade, directrice Retail & international associée de l’agence. Les lieux de coworking fleurissent partout, les hôtels, qui étaient autrefois clos sur eux-mêmes, transforment leurs lobbys en espace d’accueil polyvalent ouvert sur la ville, les musées sont aussi des lieux de rencontre et de restauration… Qu’est-ce qui relie tout ça ? le fait que « le lieu crée le lien », autrement dit les clients de ces lieux s’y rendent aujourd’hui pour vivre une expérience, pour rencontrer d’autres clients, pour apprendre quelque chose… » A partir de ce double constat, Saguez & Partners dessine le concept de « hosping », né de la contraction de « hospitality », une dimension d’accueil issue de l’hôtellerie, et de « shopping » : pour se renouveler, et regagner en attractivité, le point de vente doit donc lui aussi devenir un lieu de proximité, d’échange, de services et d’expérience.
Les quatre piliers du « hosping »
Si l’on suit cette analyse, le point de vente ne peut plus se contenter d’être un simple lieu de transaction, puisque cette fonction est aujourd’hui de plus en plus assurée par le e-commerce, par le duo écran internet + point de retrait dans le cadre du « click and collect ». « Le magasin devient un lieu de lien, de considération, dont la valeur n’est plus uniquement dans la transaction, mais dans la relation », ajoute la consultante. Cette transformation permet de répondre à des attentes nouvelles : les gens en ont assez de la standardisation, ils veulent de la différence, pas seulement de la « customisation » anecdotique, mais une offre singularisée qui passe, par exemple dans le domaine alimentaire, par des produits issus de petits producteurs locaux. Un concept conçu pour eux par l’enseigne répond à cette attente. Ils veulent aussi de la considération : « Quand on fait l’effort de se déplacer chez un commerçant, on y va aussi pour passer un bon moment, se détendre, s’amuser, apprendre quelque chose, recevoir un sourire, être surpris… C’est le côté social du commerce, les commerçants sont des acteurs sociaux », poursuit Cécile Poujade.

Café Marlette, enseigne de préparations bio pour pâtisseries (Marlette BHV et Faubourg Poissonnière à Paris).
Pour définir ce nouveau concept de « hosping », l’agence le fait reposer sur quatre grandes convictions :
« Le magasin gardien du lien » : Le magasin de demain n’est plus un « temple de la consommation », mais un temple de la relation et de la considération. Le lieu physique a un rôle redéfini, complémentaire au e-commerce. Il devient le gardien du lien, dans le magasin et hors du magasin, avec la marque, ses clients et la communauté de clients virtuels. Conséquence : on ne parle plus de parcours client mais de parcours d’expérience, et la logique du chiffre d’affaires au m2 laisse place à une logique de services et relations créés par m².
« Le lieu entretient le désir » : Le magasin doit être une source de plaisir et d’émotion, et créer ainsi entre la marque et ses fidèles une vraie complicité qui les incite à venir et revenir. Autrement dit le magasin doit créer de l’attachement à la marque, maintenir sa désirabilité, et générer une reconnaissance du client et de ses attentes, créatrice de satisfaction y compris relativement à la marque hors du magasin.
« Déchaîner les chaînes, retrouver inspiration et légèreté » : Les points de vente doivent se dé-standardiser, ce qui peut se faire par l’offre, en privilégiant par exemple les produits et services en fonction de l’environnement immédiat du magasin. Les concepts d’architecture intérieure dupliqués partout vont devenir un repoussoir, chaque point de vente doit cultiver sa différence, avec par exemple un design original, créateur de surprise.
« Mixer les besoins et créer des lieux hybrides » : Enfin, le commerçant a tout intérêt à devenir « multi-commerces », en s’associant avec d’autres fournisseurs de produits ou services, dans le cadre d’un co-retailing. Il peut ainsi renforcer l’attractivité de sa proposition, et la valeur finale de son point de vente aux yeux du client. Le magasin se transforme alors en lieu de promenade, d’expérience, une destination muti-cibles, multi-offres, multi-services, où on peut trouver quelque chose qu’on n’était pas venu chercher.
Nature & Découvertes : du point de vente au point de ralliement
Pour illustrer cette nouvelle vision, Saguez & Partners a donné la parole à différents acteurs de la distribution, qui ont déjà appliqué ses préceptes à des degrés divers. Hôte de la conférence, Antoine Lemarchand, président de Nature & Découvertes et fils des fondateurs de l’enseigne, a expliqué que la marque était née avant tout de l’amour familial de la nature, du plaisir de la découvrir et de la faire partager. Elle exprime aussi un ensemble de convictions, qui s’expriment notamment à travers une offre qui comprend plus de 70 % de produits exclusifs, et une fondation, créée en 1990, qui soutient chaque année environ 200 projets liés au respect de la nature et de la biodiversité. Pour éviter la standardisation, le distributeur a mis au point un concept de magasin « gigogne », qui va de 90 à 300 m², pour pouvoir s’adapter à chaque site, en lien avec un site internet transversal. « Nous avons eu très tôt l’intuition que le magasin doit être plus qu’un lieu de vente, plutôt un point de ralliement où tous les passionnés qui forment la communauté Nature & Découvertes peuvent se retrouver, parler, échanger sur leurs voyages et leurs activités de loisirs, et même voter en faveur des projets qui seront soutenus par notre fondation », explique Antoine Lemarchand. Pour couronner le réseau, un flagship de 600 m² a été ouvert à Paris, dans le Marais, qui est devenu un véritable lieu de vie : on y trouve un bar, des expositions d’œuvres d’art, un programme de conférences, mais aussi des ateliers pratiques sur les activités de découverte de la nature… « Ce concept fait parler les gens, et réagir notre communauté, nous n’avons pas cherché à optimiser le taux de transformation, autrement dit à rentabiliser ce point de vente, mais à en faire un lieu d’expérience, d’enrichissement personnel pour nos clients, ajoute le dirigeant. Il ne faut plus raisonner aujourd’hui en chiffre d’affaires au m², mais dans une logique globale pour faire vivre la marque, qui inclut l’offre exclusive, le réseau de points de vente, et la présence sur le web. » En conclusion, le « hosping » remet aussi le design d’espace au centre des débats : en permettant à la marque de se démarquer, et donc de marquer ses publics, et il aura une importance croissante pour faire du point de vente le lieu d’expérience et de partage que le client final appelle de ses vœux.
[Zooms]
Franprix : de la stratégie de puissance à la stratégie d’affinité
Directeur général de l’enseigne alimentaire de centre-ville Franprix, Jean-Paul Mochet a exposé sa vision du « hosping » : « Après avoir longtemps misé sur une stratégie de puissance, basée sur « plus de tout » – plus de m², plus d’industriels, plus de prix.. – nous avons oublié de miser sur le produit, pour en arriver au syndrome de la « tarte aux fraises sans fraises »… Nous avons réalisé tout simplement que le client ne nous aimait plus, et qu’il fallait changer de logiciel. » A l’issue d’une réflexion interne globale, l’enseigne a défini un nouveau modèle, centré sur « l’humain », avec notamment la création d’une académie de formation, qui transmet non plus un savoir-faire, mais un « savoir-être ». Tout en restant commerçant, Franprix ne se considère plus comme distributeur, mais comme sélectionneur de produits intégrant les producteurs locaux. La stratégie de puissance a laissé la place à une stratégie d’affinité, le magasin est désormais transparent grâce à des baies vitrées, et il gagne sur la rue en proposant des terrasses avec tables et chaises, et la possibilité de prendre une pause pendant ses courses, et même de se restaurer sur place. D’autres services ou attentions, comme la gamelle pour le chien, la pompe à vélo, ou encore le wi-fi, redéfinissent la relation avec la clientèle.
Lire aussi : Quel magasin pour demain ?
Laboté : la cosmétique sur mesure
En créant le concept Laboté, Lucille Battail, pharmacienne de formation, a mis au point une offre qui n’existait pas sur le marché : « Suite à étude qui a montré que 1/3 des produits cosmétiques achetés finissent à la poubelle, l’idée a germé de revenir à la pharmacie d’antan, en proposant des préparations cosmétiques sur mesure, c’est-à-dire répondant de façon personnalisée à chaque profil de peau de nos clientes », explique-t-elle. Rien de plus actuel cependant que ce concept qui utilise un site internet pour offrir un ensemble de services – test de peau, prise de rendez-vous – pour faire venir la clientèle vers l’unique point de vente pour l’instant situé dans le 6e arrondissement de Paris. Une fois sur place, le produit est fabriqué devant la cliente en quelques minutes, qui peut repartir avec, sans qu’il soit besoin d’y ajouter un conservateur, puisqu’il sera utilisé dans les jours suivants, contrairement à un produit industriel qui doit « tenir » plusieurs mois. Attention au client, produit personnalisé et naturel, pour un coût comparable à un produit de marque… Nous sommes bien dans la création de lien, et la fidélisation du client.