Lancée en juin dernier, B.U.D se veut une plateforme collaborative entre industriels du bois, designers, artisans et usagers : le pari d’une filière courte éco-responsable autour des meubles en chêne brut, fabriqués localement et acheminés sur l’eau vers les acquéreurs individuels.
Beau, utile, durable… On pourrait ajouter simple, naturel, responsable, écologique, collectif, respectueux du patrimoine, favorable à la transmission, etc. Les esprits moqueurs ajouteront « bobo » : et pourquoi pas ? Ce mot ne fâche pas Jean-François Marcheguet, co-fondateur de l’entreprise Raison Durable en mai 2014 et éco-citoyen dans l’âme. « A l’origine du projet, il s’agissait revaloriser l’exploitation du chêne de nos forêts normandes, difficile à travailler, mais robuste, durable et fortement symbolique. Plus de la moitié des chênes et 80 % des hêtres sont exportés pour être transformés en Asie avant de nous être revendus sous forme de meubles. C’est une perte de valeur ajoutée et de savoir-faire. Nous voulons revaloriser ce savoir-faire local dans une logique d’engagement citoyen » .
Le local, en l’occurrence, c’est l’Eure ; plus précisément la forêt de Lyons, entre Rouen et Gisors, à une centaine de kilomètres de Paris en passant par le Vexin. Raison Durable possède un bureau d’étude et un atelier de prototypage intégré à Martagny. Autour du projet se sont fédérés des acteurs locaux : la scierie Mommert, à Fleury-la-Forêt, certifiée PEFC, transforme différentes essences de grumes en gestion forestière durable. En phase de démarrage pour l’instant, B.U.D édite ses meubles à l’unité (numérotés) dans son atelier de Martagny. La logistique et la distribution sont également singulières : les commandes sont affrétées en une livraison groupée à Paris par voie fluviale, suscitant à chaque fois « un événement de rencontres et de convivialité » sur la barge.
A l’instar des Amap (Associations de Maintien de l’Agriculture Paysanne), qui permettent aux citadins d’acheter des produits agro-alimentaires en direct chez les producteurs, Raison Durable entend apporter une traçabilité et un supplément d’âme au mobilier, donc à l’acte d’achat, car « les consommateurs sont déconnectés de la filière. Nous, nous leur disons d’où vient le bois, qui l’a transformé, ils connaissent l’histoire de leur table » . Et cela plaît. Le 19 juin, les meubles B.U.D ont débarqué pour un événement au sein du « design bookstore » Artazart : la démarche a fait du buzz et a été saluée par des encouragements prometteurs et de premières commandes.
Appel aux industriels
B.U.D passe donc à la phase 2 et invite les artisans et PMI partageant sa vision à collaborer à son concept de coproduction ; elle se conçoit en effet comme une plateforme collaborative, fédérant toutes les compétences de la filière qui mène de l’arbre à l’utilisateur (exploitants forestiers, bureaux d’étude, scieries, artisans menuisiers charpentier, designers). La société lance ainsi des appels à projets pour prototyper et éditer les dessins. Elle envisage aussi de fonctionner comme un fab lab (laboratoire de fabrication) en mettant ses outils numériques à disposition des designers, des industriels, des artisans, des architectes d’intérieur, voire du grand public, moyennant un ticket d’entrée. « Nous apportons une démarche, un label, la mise en relation, le prototypage, les compétences, la validation technologique et la communication. Nous savons qu’il existe des artisans et des industriels qui partagent notre démarche, qui ont des trous de production et qui voudraient fabriquer des meubles éthiques porteurs de sens. Nous pouvons leur apporter notre expertise et notre caution ».
Sachant que le modèle de la coédition et du financement participatif est fragile, B.U.D préfère se concentrer pour le moment sur l’expertise du meuble en chêne brut, « le moins transformé possible et sans rien d’inutile », sur un périmètre local et en circuit court, avant d’envisager quelque diversification que ce soit. Jean-François Marcheguet n’exclut pas pour autant des collaborations, par exemple avec l’éco-designer Philippe Riehling en Alsace ou avec la toulousaine Emilie Cazin sur le châtaigner des Pyrénées. Par ailleurs, les fondateurs du label Raison Durable aimeraient s’adosser à une structure non vulnérable aux aléas du marché. Ils ont en réflexion la constitution d’une SCIC territoriale (société coopérative d’intérêt collectif) à vocation plus large, solidaire et ouverte à d’autres associés. La transmission des savoir-faire est une des dimensions explorées. Raison Durable s’intéresse ainsi aux Compagnons du devoir et aux écoles pour revaloriser les métiers du bois.
Même si elle n’est pas totalement philanthropique, cette entreprise prône la transparence des prix dans un esprit de commerce équitable. « Si nous arrivons à mettre en place un process de production raisonné, les prix devraient rester accessibles. Dans B.U.D, il y a « utile », et nous nous engageons à ne pas faire des choses inutiles ». Pour démarrer, les meubles sont vendus quasiment à prix coûtant, selon Jean-François Marcheguet : 135 € pour une table en chêne massif (environ 50 kilos) de 1,90 mètre de long. Comme toute start-up, B.U.D a ouvert son e-shop, en juillet (shop.atelierbud.com). Et le 13 septembre, participe au « off » de Paris Design Week. La péniche sera amarrée à côté de la Cité de la Mode et du Design ; les designers montreront le mobilier B.U.D et éditeront des maquettes en direct au moyen de machines à commandes numériques et d’imprimantes 3D. Pour l’occasion, B.U.D s’associe au designer François Mangeol autour d’étagères en chêne.