Chiffres clés, marketplaces, stratégies de création de proximité avec le consommateur final, nouvelles attentes en matière de services, impact de la démographie sur le marché… les sujets abordés lors du colloque IPEA 2019, le 26 novembre dernier à Paris, ont généré un flot d’informations pour nourrir la réflexion des acteurs de la fabrication et de la distribution de meubles.
C’est un menu consistant qui attendait les participants aux colloque Perspectives Meuble et Maison 2020 organisé par l’IPEA le 26 novembre à l’Espace du Centenaire à paris 12e. La journée a commencé par les chiffres clés de la conjoncture en 2019, établis par l’IPEA à partir des données déclarées par 32 grandes enseignes de l’ameublement, la literie, la cuisine et l’équipement de la maison, permettent de dessiner un marché en forte croissance en 2019, avec + 3 ,7 % enregistrés à la fin octobre (voir encadré).
Marketplaces : un risque de perte des repères
Le président de l’IPEA Christophe Gazel a ensuite rendu compte d’une étude sur la perception des marketplaces en France, Grande-Bretagne et Allemagne. Les auteurs ont commencé par faire l’expérience d’une recherche sur les marketplaces françaises dominantes pour le meuble – Amazon, Cdiscount, But, Conforama et La Redoute, avec des items courants comme une table basse métal et verre et un canapé deux places – pour parvenir à une constatation commune : marketplace rime avec perte des points de repères. La recherche « table basse en métal et verre » génère en effet sur l’un de ces sites plus de 15 000 résultats produits, dont près de 2000 sur le site, et plus de 13 000 sur les sites vendeurs tiers, dont l’immense majorité sont des produits « intrus » ne correspondant pas à la demande. D’autre part, des produits strictement identiques apparaissent avec des prix et des frais de livraison très différents, brouillés par les promotions, tandis que très souvent, les vendeurs tiers n’apparaissent pas clairement, ce qui contribue à la confusion… L’étude montre par ailleurs des disparités de perception et de comportement entre les consommateurs des trois pays référence. Ainsi, 52,1 % des Français sont passés sur une marketplace mais sans le savoir (contre 43,6 % des Anglais et 31,9 % des Allemands)… et ne s’en sont rendus compte que trop tard, au moment par exemple de la validation du panier (37 % des français, 18 % des Anglais et 23 % des Allemands).
Quelles sont les familles de produits majoritairement achetés ? En France et en Allemagne, le matelas arrive en tête (33,7 % et 37,7 % des produits vendus), mais c’est le séjour qui domine en Angleterre (45,4 %), tandis que canapés, fauteuils et banquettes sont en bas de tableau France, ce qui accrédite l’idée de la difficulté à vendre du confort sur Internet, sauf en s’appuyant sur une argumentation technique comme le fait la literie. Autre question posée : pour quelle raison avez-vous fait appel à un vendeur partenaire sur le site ? A laquelle, pour les trois nationalités, la première motivation est le prix (66 % des Anglais, 61 % des Allemands et 59 % des français), la seconde le fait que le produit n’était pas proposé ailleurs (48 % des Français, 44 % des Allemands, 40 % des Anglais), et les troisièmes à égalité des délais de livraison plus courts et un choix de produits plus important (30 % des Anglais, 25 % des Allemands, 22 % des Français). L’étude relève aussi que le taux de satisfaction des consommateurs finaux est globalement bon, avec 72 % d’Allemands et 65 % de Français et d’Anglais « toujours satisfaits », et un tiers environ de « rarement insatisfaits » pour les trois nationalités. Le président de l’IPEA a conclu en disant que les jeux ne sont pas encore faits en faveur des marketplaces, puisque d’un côté les acteurs physiques y viennent, avec un peu de retard, mais que certains acteurs les quittent, comme c’est le cas par exemple d’Ikea qui a quitté Amazon. L’évolution du phénomène est donc à observer de près.
Un point de vente en mutation dans un cadre cross-canal
Experte en retail et innovation, fondatrice du cabinet éponyme, Isabelle Blubiza a pris la parole pour évoquer les nouveaux formats de distribution de proximité en non alimentaire. Elle a mis en évidence un contexte paradoxal pour le commerce : revenu disponible brut et pouvoir d’achat des ménages continuent de stagner, tandis que l’ouvertures de nouvelles surfaces commerciales se poursuit, et que le e-commerce se développe (93 milliards d’euros en 2018 soit 9,1 % des ventes, et 100 milliards d’euros attendus en 2020). Il n’est pas anormal que la fréquentation des points de vente et le chiffre d’affaires au m2 soit en baisse, ce qui entraîne une fragmentation des formats traditionnels, du magasin physique vers le « phygital » (drive, consignes, show-room, hub projet, pure players, etc…) et vers le web (e/m-commerce, click and collect, etc..). Pour répondre à cette problématique, plusieurs stratégies sont possibles, à commercer par le shop in shop, qui apparaît comme un modèle « win win » : les « invités », bénéficient du trafic des magasin « invitants » (hypers, grande distribution), peuvent mettre en avant leur marque, exposer une gamme réduite (10 %), mais complétée par des extensions on line et du click & collect, et valoriser leurs produits grâce à des vendeurs dédiés. Pour les invitants, cette formule permet d’abord de compenser la baisse de trafic, mais aussi de valoriser les surfaces et de créer une expérience clients (ils doivent cependant définir un modèle de commission). Et l’intervenante d’évoquer les cas d’hypermarchés qui ouvrent leurs espaces à l’électroménagiste Boulanger, ou celui de la FNAC, qui relance son attractivité en accueillant Nature & Découverte, ou encore de la marque de matelas Tediber, un pure player qui gagne en visibilité tout en valorisant l’enseigne physique qui accueille son produit.
Seconde stratégie mise en évidence, les nouveaux formats urbains réduits, avec gammes resserrées, extensions on line points de retrait, le tout accompagné d’un enrichissement du service, avec essais de produits, du conseil et suivi de projets, du diagnostic, du SAV, et différentes options de livraison. Ici encore, les exemples sont nombreux, à l’image du format réduit de Darty en centre-ville, qui offre une sélection de produits à emporter innovants, l’accès à l’ensemble de l’offre via le web, du conseil, du SAV, et une livraison écolo en vélo. On peut aussi citer « l’Appart » lancé par Leroy-Merlin à Paris 17e, et le concept Saint-Maclou pour le revêtement de sol, offrant tout un écosystème de services réunis autour du projet d’aménagement global. L’intervenante a aussi évoqué la stratégie de la multiplication des points retraits, dans un « maillage omnicanal », ce qui permet s’atteindre plusieurs objectifs : toucher les clients là où ils sont, gérer les gros volumes, faciliter les process informatiques, optimiser les tournées location longue durée, suppléer les prestataires logistiques… Cette stratégie est suivie par des gros acteurs comme Ikea qui dispose de 150 points de retrait 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 – dans le cadre d’une stratégie Ship from store, avec réduction ses délais de livraison et des ruptures de stock au niveau de la plateforme de livraison. Amazon suit également le même chemin en multipliant ses casiers de livraison via des accords avec la Poste ou les Maisons de la presse. Enfin, les pure players se rapprochent de leurs clients finaux par l’ouverture de concept stores dans des emplacements stratégiques, avec une offre sélective, et une grande place laissée aux data et marketing clients. Ce modèle, dont la rentabilité est mesurée « en marginal » par rapport au site, avec un back office optimisé, est un accélérateur de ventes online. On peut citer comme exemple le point vente ultra-connecté de Miliboo, mais aussi les 7 boutiques et 14 corners de AMPM, où l’écrin dédié à une literie très personnalisée récemment ouvert sous la marque Maurice et la matelasserie. En conclusion, le commerce de proximité de demain passera par l’omnicanalité, en s’appuyant sur la connaissance des clients (data), l’expérience d’achat avec une interaction produit et vendeur, le SAV dans un écosystème de services, et la livraison au plus près, en incluant la dimension de l’impact carbone.
Quels services en décoration ?
Le directeur général de l’IPEA Christophe Gazel est aussi intervenu sur la question des services de déco, qui sont une attente de plus en plus forte du consommateur final. « Il est vrai qu’il faut aujourd’hui vendre un projet plus que des produits. Mais il faut reconnaître qu’il est de plus en plus difficile de le faire seul, il faut s’associer avec des partenaires ou des start up », a-t-il expliqué. L’étude réalisée sur les marketplaces mentionnée ci-dessus permet à ce titre de mieux cerner les attentes en matière de services et notamment de déco. Elle nous apprend notamment que ce sont les services liés à la facilité de livraison qui sont les plus demandés (par 80 à 90 % des clients français, anglais ou allemands), suivis de ceux liés à l’accompagnement de l’achat (80 % des Anglais et 50 % des Français et Allemands), les attentes en services de conseil en décoration arrivant en troisième position (50 % des français, et 25 % environ des Anglais et Allemands) et les services de financement en quatrième position (pour 25 à 30% des clients). En termes de facilité de livraison, les clients finaux demandent d’abord un suivi de livraison, un relais colis, mais aussi avoir le choix des heures de livraison. Quelles sont leurs attentes en services de décoration ? Elles sont au nombre de quatre, réparties de façon assez partagée, pour une fourchette de 40 à 60 % des personnes interrogées : une visualisation en 3D des meubles à domicile en réalité augmentée, des conseils de décorateurs, la décoration de mon intérieur en 3D, et une « aide pour trouver mon style ». Les acteurs de la distribution ont donc du grain à moudre pour passer de la vente de produits à la vente de projets à valeur ajoutée.
[Zoom]
Une moisson de chiffres clés
Les premiers chiffres de l’IPEA incluant le mois d’octobre, laissent augurer une croissance forte du marché du meuble à 3,7 % sur 2019. Le meuble de cuisine est en haut de tableau (prévision 2019 à + 5 à +7 %), suivi du meuble de jardin (+ 4 à + 6 %), de la literie (+ 2 à + 4 %), du siège rembourré (+ 1 à + 3 %) et du meuble meublant (+1 à + 3 %), tandis que la salle de bain ferme la marche (- 1 à + 1 %). En ce qui concerne les circuits de distribution, les spécialistes cuisine sont encore en tête (+ 6 à + 8 %), suivis des spécialistes literie (+ 2 à + 4 %), de la grande distribution ameublement (+ 2 à+ 4 %), et de la distribution milieu de gamme (0 à + 2 %). La production française est globalement en recul de -2,2 %, un chiffre à rapprocher des -1,9 % de la production italienne, et des -0,8 % de la production allemande, seul la Pologne tirant son épingle du jeu avec + 3,8 %. A fin septembre, les exportations françaises sont globalement en légère baisse (à -1,1 %), et les importations en hausse à + 3,9 %. Tous ces chiffres seront communiqués dans leur version définitive dans l’édition 2020 du Meubloscope.