Représentant aujourd’hui un quart du marché du meuble dans l’Hexagone, le mobilier de cuisine, même s’il souffre un peu plus ces dernières années, a bien su résister à la crise.
Une crise qui, toutefois, a engendré – et engendre encore – de nombreux bouleversements dans ce secteur. Panorama des forces en présence, attitudes et besoins des consommateurs, enjeux… le point sur un marché bien spécifique.

En 2014, le marché du meuble de cuisine s’élevait à 2,29 milliards d’euros, et représentait un quart du marché du meuble français (9,12 milliards)… alors qu’en 1997, il dépassait à peine les 17 %.
C’est en effet le segment qui affiche les meilleures performances depuis les quinze dernières années, avec un taux de croissance annuel moyen de 2,7 % ; et même si les données sont à la baisse depuis trois ans, faisant suite à vingt années glorieuses, les chiffres enregistrés sur les neuf premiers mois montrent une vraie reprise pour 2015.
La cuisine, en proie à de nombreux bouleversements – notamment la concentration, voire disparitions de certains acteurs –
attire cependant toujours les convoitises. Avec un taux d’équipement faible (60 %) et une durée de vie des meubles des plus longues (23 ans), le potentiel de développement est impressionnant : c’est ce qu’ont bien saisi nos voisins européens, pour qui la France semble être un nouvel eldorado !

Une dépendance réduite vis-à-vis de la construction
Si la crise a frappé, dès 2008, le meuble de cuisine, celui-ci a bien résisté grâce, notamment, au marché de renouvellement soutenu par les spécialistes cuisines. Il faut savoir que le meuble en France est très dépendant de l’emménagement dans un nouveau logement et, de ce fait, des mises en chantier de logements neufs.
L’achat d’une cuisine intégrée se fait, pour 23,2 % des acheteurs, dans les deux ans qui suivent l’arrivée dans un nouveau lieu de vie, et pour 58,4 % dans les cinq ans. Mais presque 26 % des ventes en volume et 34 % en valeur se font aussi après plus de dix ans passés dans le logement, en renouvellement de la cuisine existante pour la plupart.
Si la consommation de cuisine s’affranchit, à partir de 2007, de sa dépendance du marché de la construction, c’est en partie grâce aux spécialistes qui ont su créer et maintenir un marché de renouvellement par leurs animations permanentes et les conseils prodigués par leurs vendeurs. Les enseignes de la grande distribution ameublement et les grandes surfaces de bricolage qui se positionnent sur de l’entrée de gamme, donc du premier équipement, sont pour leur part restées plus dépendantes des aléas dans l’immobilier.
A noter, toutefois, que les premiers résultats encourageants en ce qui concerne l’immobilier se manifestent au troisième trimestre. Les permis de construire de logements neufs ont progressé de 2,3 % entre juillet et septembre, alors que les mises en chantier ne reculent que de 0,7 % sur la période… Ce début de reprise constitue à n’en pas douter une bonne nouvelle pour le segment, et devrait permettre de soutenir les ventes dans les mois à venir, notamment pour les enseignes qui jouent la carte du premier équipement.
Avec une population de 63 millions de personnes et 2,3 personnes par ménages (contre 2,9 en 1975), la France compte 27,5 millions de ménages. 60 % d’entre eux, seulement, sont équipés d’une cuisine intégrée, qu’ils renouvellent tous les 23 ans… alors que nos voisins allemands la changent tous les douze ans, et les habitants des pays scandinaves tous les huit ans.
Le potentiel de développement du marché reste donc extrêmement important, avec plus de onze millions de cuisines à équiper… sans compter les résidences secondaires.
La France est en effet la championne des logements de vacances. Plus de trois millions des logements sont des résidences secondaires selon l’INSEE, soit presque 9,5 % du parc. Si les distributeurs parviennent à susciter l’envie chez le consommateur de changer un peu plus souvent sa cuisine… le potentiel de marché laisse rêveur !

Une distribution éclectique
La distribution de cuisines intégrées se partage entre les spécialistes cuisines et les artisans, qui représentent un peu plus de 56 %
du marché en volume et, de l’autre côté, la grande distribution (qui intègre la grande distribution ameublement, grandes surfaces de bricolage, spécialistes électroménager et vente à distance). Si les premiers dominent le marché de la cuisine en valeur, la grande distribution, pour sa part, s’impose largement pour les ventes en volume avec près de 70 % des cuisines vendues.

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Les spécialistes et artisans
Avec plus de 45,6 % des ventes en valeur, les cuisinistes dominent le marché des cuisines intégrées, une communication efficace soutient cette prédominance. En 2014 et 2015, les cuisinistes ont vraiment joué leur rôle de spécialiste en multipliant les innovations et les nouveaux concepts, tout en restant proche du consommateur. L’accent mis sur la formation des vendeurs n’est sans doute pas étranger non plus aux bons résultats du circuit sur les premiers mois 2015.
Les réseaux leader émanent des deux plus grands fabricants français : la SALM (Société Alsacienne de Meubles) et le groupe Fournier.
Avec l’enseigne Schmidt, la SALM se positionne sur le segment moyen / haut de gamme, quand la marque Cuisinella propose, pour sa part, une offre plus accessible.
Le groupe Fournier, lui, décline sa distribution sur trois segments : haut de gamme pour Perene, moyen pour Mobalpa et entrée de gamme pour Socoo’c. Cette dernière compte à présent près de 75 magasins depuis le rachat, par le groupe Fournier, des points de vente Hygena au Suédois Nobia. Ce chiffre devrait atteindre 120 en mai 2016, après la transformation des dernières unités restantes…
Le groupe FDB (Franchise Business Division) exploite les enseignes Ixina (entrée de gamme), Cuisine Plus (moyen de gamme) et Cuisines Références (haut de gamme). Il est à présent sous le contrôle quasi-total du fabricant allemand Nobilia, qui possédait jusqu’alors 30 % des parts, et qui vient de racheter celles de l’Italien Snaidero [voir CM&H n° 2613, daté du 11 septembre dernier]. Le même Nobilia vise à implanter sa marque haut de gamme Noblessa en France en proposant des concepts de magasins clés en mains, que l’on a pu voir au SADECC (le salon professionnel de la cuisine équipée et de l’agencement de l’habitat) à Lyon cette année.
Quant à Snaidero, propriétaire de Cuisines Design industries, il développe les marques Arthur Bonnet et Comera chez des concessionnaires exclusifs indépendants, avec une réelle volonté de différenciation produits. D’un autre côté, le fabricant du Sud-Ouest Inova s’appuie, lui aussi, sur un réseau de 25 concessionnaires. Des réseaux de franchise comme Aviva (un peu plus de cinquante magasins) ou Ecocuisine (quinze magasins) distribuent essentiellement de la cuisine allemande.
Les points de vente indépendants distribuent une ou plusieurs marques, pour la plupart françaises (Charles Rema, You, Chabert Duval, Pyram, Cuisines Morel, Teissa…), allemandes (Alno ,Bulthaup, Leicht, Poggenpohl…) ou italiennes (Arrex , Comprex, Scavolini, Veneta Cucine …).
Il est à noter l’expérience intéressante du réseau Cuisines Raison créé en 1999, réseau de cuisinistes exclusivement à domicile, sans magasin, basé sur la relation vendeur / client. En quelques années, ce réseau compte plus de 70 franchisés qui se dispensent de l’investissement lourd qu’est un magasin.
Contrairement aux spécialistes, les artisans, dans le domaine technique et assez anxiogène qu’est la cuisine, apportent un sentiment de réassurance et de qualité, mais ne parviennent pas à développer leur chiffre d’affaires. Les enseignes de la grande distribution font de plus en plus appel à leurs services pour la pose, ce qui leur permet de rester présents sur le marché.

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La grande distribution
La grande distribution se partage principalement entre la grande distribution ameublement et les Grandes Surfaces de Bricolage (GSB).
Le concept « Metod » d’Ikea, leader du kit, qui met l’accent sur la modularité et l’organisation intérieure, remplace « Faktum » depuis plus d’un an maintenant. Conforama et But proposent tous les deux une offre progressive avec un kit disponible de suite en entrée de gamme, un « kit plus » livré sous quinzaine, et des cuisines montées allemandes sous des dénominations Confo Kitchen, But Kitchen ou Signature. De con côté, Alinéa a développé un rayon cuisine en kit depuis moins de dix ans, et semble repenser sa stratégie sur cette famille de produit incontournable.
Quant aux GSB (Brico dépôt, Leroy Merlin, Castorama, Bircoman, etc…), elles proposent aujourd’hui essentiellement du kit, à des prix agressifs. Mais pour les deux leaders, l’avenir passera par une offre de cuisines intégrées propre, afin de se différencier sur un marché de l’aménagement de la maison qui devient stratégique à leurs yeux.
Figure emblématique de la démocratisation de la cuisine, Lapeyre distribue ses propres cuisines fabriquées dans son usine d’Ydes (Les Menuiseries du Centre – Cantal).

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Sur le web
Tous développent des catalogues disponibles en magasin ou sur Internet, et la plupart disposent d’un logiciel de conception qui permet au client de préparer l’implantation de sa cuisine avant de la finaliser en magasin.
OSKAB (émanation du groupe Mulliez) est un des premiers sites à se positionner en pure-player dans le domaine de la cuisine. Avec un logiciel très convivial et l’envoi d’échantillons gratuits de portes ou de plans de travail sur simple demande, ce distributeur internet propose l’aide de conseillers online pour la réalisation de l’implantation. Une manière de passer la barrière du virtuel ! Une nouvelle approche web qui ose aller vers une offre plus complexe, alors que les sites en ligne vendaient essentiellement des meubles de cuisine basiques… Cependant ce modèle semble avoir des limites, puisqu’Oskab vient d’ouvrir un premier showroom à Wasquehal (Nord) : il semble bien que le client, en matière de cuisine, ait toujours le besoin de voir, de toucher et de se rassurer auprès d’un vendeur compétent.
Parcours d’achat : catalogues et vendeurs en tête
Les catalogues des magasins, les conseils des vendeurs, le bouche-à-oreille… autant de valeurs traditionnelles qui n’ont rien perdu de leur force, face à Internet qui représente 19 % des sources d’informations des ménages acheteurs de cuisine. Pour un investissement aussi coûteux et compliqué à mettre en place, nécessitant généralement un service de pose et des plans, les consommateurs privilégient encore le face à face pour se renseigner. Le produit demeure technique et Internet ne suffit pas ; il constitue néanmoins le troisième canal d’informations mais loin des deux premiers…
Si les publicités télévisées pour la cuisine sont de plus en plus nombreuses ces dernières années, l’impact sur les consommateurs apparaît encore faible, avec seulement 2 % d’entre eux qui déclarent avoir été informés par une publicité, aussi bien à la télévision que dans la presse. En termes de presse, les ménages privilégient les magazines de décoration qui leur vendent du rêve et leur donnent des idées pour leurs futurs aménagements.
Pour cette dépense importante, les consommateurs multiplient les sources d’informations. Si 48 %
d’entre eux déclarent n’avoir eu recours qu’à une seule source d’informations avant leur achat, ils sont aussi un quart à en avoir consulté deux et 20 % à en avoir consulté trois.
Quant aux critères d’achat, la qualité et le prix sont les deux éléments déterminants, avec plus de 69 % de consommateurs concernés pour chacun des critères. C’est un des rares produits meubles ou les ménages ne privilégient pas que le prix… ce qui apparait logique au vu du temps qu’ils aimeraient conserver leur cuisine : celle-ci étant programmée pour durer au moins deux décennies, il vaut mieux que la qualité soit au rendez-vous. La notion d’environnement et de développement durable n’est citée que par 1,2 % des acheteurs interrogés (Source : Etude IPEA : Le marché français de la cuisine intégrée).

Une quinzaine d’entreprises se partagent 90 % de la production française
La production des 825 entreprises françaises recensées par l’INSEE comme fabriquant de la cuisine se monte à 874 millions d’euros en 2014 (estimation INSEE).
On enregistre un pic de production en 2008, début de la crise économique qui a secoué le marché mobilier et a amené une baisse de plus de 10% en un an. Depuis, cette production peine à repasser au-dessus des 900 millions.
La SALM et le groupe Fournier dominent cette production et une quinzaine d’acteurs fabriquent
90 % des 874 millions d’euros.
Ces dernières années ont vu nombre de bouleversements dans la cartographie de la production française. La crise entamée en 2008 et l’arrivée en force des fabricants allemands aura conduit à une recomposition des forces en présence sur le marché…
Des entreprises ont été mises en liquidation, comme Nevelt ou encore Parisot Mattaincourt. Hardy Roux Développement, créée en 1960 à Langon (Ille-et-Vilaine) et mise en liquidation le 27 juillet dernier, n’a pas trouvé de repreneur à ce jour. D’autres sont en difficulté comme les cuisines Gaio implantées à la Longine (Haute-Saône), en redressement judiciaire depuis le 25 août dernier.
D’autres ont heureusement été reprises (Manuest est ainsi devenu WM88) et certaines se sont réunies : le groupe Néoform a intégré les cuisines Pyram ; les cuisines Morel, installées à Allinges (Haute-Savoie), ont racheté les cuisines Morel Bretagne (marque Celtis), et sont maintenant distribuées par plus de cinquante magasins… Enfin, d’autres se sont développées, comme Discac qui, après avoir été distributeur, est devenu fabricant.
L’objectif est d’atteindre une taille suffisante, permettant de survivre et de se développer, pour faire face à la forte concurrence européenne. Car contrairement à leurs voisins allemands, italiens et espagnols, les fabricants français exportent peu, la balance commerciale de l’Hexagone étant très largement déficitaire : 638 millions d’euros d’importations de meubles de cuisine pour 78 millions d’exportations en 2014 ! Près de 358 millions des importations de cuisine proviennent d’Allemagne, 126 millions d’Italie et 75 millions d’Espagne : ces trois pays représentent près de 90 % des achats français de meubles de cuisine. Allemands et Italiens sont de plus en plus présents en France : ainsi, au premier semestre 2015, les premiers annonçaient-ils une hausse de plus de 10 % de leurs exportations vers notre pays ! Avec un marché arrivant à saturation, les Allemands ont fait de la France leur cible privilégiée… La proximité et le faible équipement des ménages laissent apparaitre des perspectives plus qu’intéressantes, d’autant que bien des Français se sont laissé séduire par la « Deutsche Qualität ».
Aujourd’hui, on ne dénombre pratiquement plus que deux salons de cuisine professionnels européens d’importance :
Eurocucina, se tenant à Milan les années paires, et LivingKitchen, organisé à Cologne les années impaires. En conséquence, pour être vu à l’international, les industriels français doivent exposer sur les foires étrangères.

A quoi ressemble aujourd’hui la cuisine des Français ?
Si l’idée de la cuisine laboratoire s’est démocratisée à la fin des années 60, des mouvements comme le « cocooning » (ainsi baptisé par la célèbre papesse américaine du marketing Faith Popcorn) qui prône le « rester chez soi » et la construction d’un nid douillet pour se protéger du monde extérieur, ou encore le « hiving »
(« ruche » en anglais), qui symbolise le foyer protecteur s’ouvrant sur les autres (amis de passage ou virtuels, avec les réseaux sociaux), ont provoqué l’ouverture de la cuisine sur la pièce à vivre, recréant ainsi l’esprit des cuisines 1900 où se retrouvait toute la famille.
Aujourd’hui, celui qui cuisine veut garder le contact avec les membres de sa famille. Aussi les promoteurs ont-ils abattu les cloisons, gagnant de la place et de l’argent, créant ainsi une grande pièce où l’on peut cuisiner, manger, travailler… Les îlots centraux se sont multipliés. Ils sont présents dans plus de 11 % des cuisines actuelles.
Les fabricants ont étoffé leur offre pour meubler cette nouvelle pièce ouverte, aux multiples activités, en créant de nouveaux rangements plus décoratifs, des étagères, des niches ouvertes, des tables, des bureaux d’appoint…
Coté façades, les surfaces sont majoritairement planes (le fameux chapeau de gendarme représente aujourd’hui moins de 8 % des ventes). La mode est aux couleurs et aux bois clairs, les couleurs foncés représentent seulement 16 % des ventes en volume. Les ménages privilégient des teintes neutres, de façon à ce que leur cuisine ne paraisse pas trop démodée ou marquée par son époque dans vingt ans.
Le prix d’achat moyen d’une cuisine (kit ou monté, hors électroménager, hors pose et hors livraison) se situe autour de 2 720 euros TTC, il est un peu au-dessus de 1 500 euros TTC dans les grandes surfaces de bricolage ou dans la grande distribution ameublement, et avoisine les 5 300 euros TTC chez les spécialistes.
La cuisine est en ébullition : les avancées de l’électroménager, les innovations des fabricants de charnières, de tiroirs et d’équipements intérieurs ainsi que la modification des modes de vie amènent les fabricants à penser et à construire la cuisine du futur.
Sur un marché très bataillé, mais qui laisse encore de très belles perspectives, les acteurs se remettent en question chaque jour et construisent le paysage de demain.
Au cœur des enjeux de demain, la stratégie d’offre des acteurs de la cuisine montre qu’il n’y a pas de fatalité sur le marché du meuble. En se laissant porter exclusivement par la dynamique du marché de l’immobilier, les autres métiers du meuble perdent du terrain et surtout de la valeur… Analyser, comprendre, engager une démarche pro-active visant à accompagner nos modes de vie, nos modes d’habiter, c’est ce que nous montrent tous les jours les acteurs de la cuisine, qui ont su prendre en main leur avenir et décider d’un marché à construire ! •