Au moment où l’ensemble du monde du travail est impacté le Covid-19, l’Observatoire de la qualité de vie au bureau Actineo publie un dossier qui fait le tour des conséquences de la crise sur l’organisation des espaces tertiaires (1). Quel avenir pour le télétravail ? Quelles conséquences pour les bureaux en entreprises ? Quid des open spaces ? Quelles adaptations pour les postes de travail ? Telles sont quelques-unes des questions abordées, qui apportent un décryptage précieux aux employeurs autant qu’aux designers et fabricants de mobilier de bureau pour orienter leurs nouvelles collections.
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En mettant le pays à l’arrêt pendant huit semaines, la crise du Covid-19 a eu un impact retentissant sur tous les aspects de la vie des Français. Suite aux mesures de confinement, elle a notamment mis, en quelques jours seulement, près de 8 millions d’actifs, qui ne connaissaient que le travail en entreprise, en télétravail. Pour Actineo, l’observatoire de la qualité vie au bureau, créé à l’initiative de l’Ameublement français pour observer, décrypter et communiquer sur les évolutions de l’univers tertiaire, il y a là un phénomène considérable, qui risque d’avoir de grandes répercutions sur l’organisation et les espaces de travail. Pour le président de son Conseil scientifique, Alain d’Iribarne, la crise du Covid-19 va accélérer des tendances majeures qui sont déjà à l’œuvre depuis plusieurs années. Tout d’abord le nomadisme, qui marque le passage d’une logique dominée par une unité de lieu et de temps de travail, à une logique de multiplication des lieux et de diversification des horaires de travail. Le bureau unique est concurrencé par le flex office – bureaux partagés par plusieurs salariés – les tiers-lieux et les sites de coworking, qui fonctionnent en horaires décalés et à la carte. Les entreprises y gagnent une nouvelle efficience économique issue de la mobilité, tandis que les salariés échappent à un cadre rigide et peuvent moduler leur temps de trajet domicile-travail. Le second phénomène observé est celui des hybridations des espaces dans la ville, qui remet en cause le modèle de la « ville industrielle taylorisée », qui sépare clairement les lieux de travail et les lieux de loisirs, au profit d’ilots hybrides, composés d’immeubles de bureaux, de galeries marchandes, de logements, de clubs de loisir et de culture. On parle d’une « cyber société » dans laquelle la production, la circulation, la collecte et le traitement des informations sont connectés au niveau local, tout en étant ouverts au vaste monde numérique.

Salle de réunion (Viccarbe).
Un télétravail à grande échelle
Cependant, la crise sanitaire a révélé au grand jour une autre tendance majeure : un passage en télétravail à grande échelle. Avant la crise, les enquêtes d’Actineo ont révélé que 75 % des salariés ne pratiquaient aucun télétravail, et que la grande majorité de ceux qui le pratiquaient le limitaient à 1 ou 2 jours par semaine. D’autre part, le modèle ne séduisaient pas : seuls 9 % des salariés plaçaient comme premier choix le « tout télétravail », exprimant ainsi leur attachement à un lieu physique de socialisation, l’entreprise. Mais le confinement semble avoir bouleversé cet ordre des choses, en contraignant les salariés au télétravail à grande échelle, qui en ont découvert les avantages – indépendance, réduction du temps passé dans les transports – avec comme contrepartie la responsabilisation – nécessité de s’auto-organiser et de s’imposer des tâches et des horaires – le tout étant compliqué par la nécessité de le faire cohabiter avec la vie de famille, les enfants étant aussi assignés à résidence. Avec, pour Alain d’Iribarne, une conséquence majeure : « Du bureau comme à la maison, on passe à la maison comme au bureau, une nouvelle illustration de la convergence des usages pour chaque lieu, comme les hôtels qui font office de lieu de coworking, ou les galeries marchandes qui offrent toute une variété d’activités. » Le travail à distance entraîne aussi des changements culturels, car il soulève le problème du management à distance, qui oblige à mettre en place un contrat de confiance entre manager et managé, et une meilleure articulation entre travail individuel et travail collectif. « Il reste des réglages à faire, mais nous nous dirigeons vers un modèle d’organisation du travail structuré autour d’une plus grande liberté d’agencement des lieux et des temps et nettement plus de nomadisme. Le tout étant probablement accompagné d’une envie de vivre davantage dans des villes de tailles moyennes, voire de petites tailles, et cela d’autant plus que les infrastructures de communication suivront (fibre et 5G) », ajoute le consultant.

Collection Addict pour le home office (Gautier).
« A la maison comme au bureau »
Contraints de passer au télétravail par les pouvoirs publics, un grand nombre d’employeurs ont été mis devant le fait accompli, et ont découvert à cette occasion les vertus du télétravail. Ainsi, des recherches menées par l’Université Stanford auprès d’employés qui ont travaillé à la maison au moins une partie de la semaine, ont constaté que la productivité des employés a augmenté de 13,5 %, et que la satisfaction au travail a augmenté. De même, le Baromètre Actineo 2019 a montré que le télétravail est une importante source de satisfaction chez ceux qui le pratiquent (80 % de très ou plutôt satisfaits). Comme l’ont constaté de nombreux employeurs, leurs équipes en télétravail ne se sont pas éloignées, mais ont créé de nouveaux liens, solides, grâce à la visioconférence, ou en téléphonant entre collègues, alors que le moyen de communication le plus répandu en open space est le mail, pas aussi direct, pour ne pas déranger ses collègues tout proches. Actineo nous apprend aussi que, selon l’étude de Deskeo, 62 % des Français voudraient faire plus de télétravail une fois la situation apaisée.
Si on se base sur les recommandations émises par tous les responsables publics au début du déconfinement, pour ne pas engorger les transports publics, les nouveaux adeptes du télétravail vont être exaucés, ce qui va avoir des conséquences sur l’équipement en home office : on peut penser que les employeurs vont équiper leurs collaborateurs qui passent en télétravail avec du mobilier adapté. Les études montrent en effet qu’un poste de travail de qualité doit se composer d’un siège réglable en fonction de la morphologie de l’utilisateur, d’un bureau si possible réglable en hauteur, pour pouvoir alterner les positions de travail assis -debout et prévenir ainsi les troubles musculo-squelettiques, et d’un éclairage adapté, qui fournit suffisamment de lumière pour travailler sans créer de tensions oculaires. Il s’agit d’un nouvel enjeu à moyen et long terme pour les entreprises, pour optimiser l’efficacité des collaborateurs télétravaillants, tout en réduisant non plus l’absentéisme, mais le recours aux arrêts maladie.

Hub relax (LBC Home).
Un modèle tertiaire à repenser
Comme l’explique Actineo, la crise du Covid-19 a des conséquences tout aussi importantes sur les espaces de bureaux en entreprise. En premier lieu, l’hygiène est devenue une priorité. Un ensemble de mesures vont être prises pour maintenir la fameuse « distanciation sociale » qui prévient la diffusion du virus : cloisons en plexiglas, et séparation de bureaux sur mesure en polycarbonate ont intégré l’offre des agenceurs, on parle aussi de limiter l’usage des ascenseurs à une personne seule, et on prévoit le développement de systèmes sans contact, pour ouvrir les portes, se laver les mains, allumer la lumière, actionner la machine à café… Les matériaux seront choisis de manière à limiter le développement microbien, et à pouvoir être nettoyés facilement. De même la qualité de l’air revient au premier plan, car il ne doit pas favoriser la diffusion du virus : les purificateurs d’air, les systèmes de climatisation seront au coeur des attentions, et les espaces extérieurs des locaux comme les terrasses, bien ventilés, pourraient gagner un nouveau statut.
En matière de mobilier, les space planners et fabricants vont devoir trouver des solutions innovantes qui permettent à la fois de protéger les salariés contre la contagion, sans revenir au bureau individuel fermé, qui est contraire aux échanges entre salariés et à la convivialité. Prendront-elles la forme de postes de travail individuels, entourés de cloisons transparentes, amovibles ? Quid des « bulles » et autres « box », une typologie de produit qui permet de s’isoler de l’open space pour une conversation ? Étant partagés, ils devront être ventilés et désinfectés pour ne pas devenir des nids potentiels à Covid-19. Ce qui semble acquis, c’est que les configurations de type « bench » en libre-service n’ont plus la cote, parce qu’ils sont contraires à la distanciation sociale, mais aussi par une baisse des besoins liée au développement du télétravail.

Bureau Organic (Moore).
L’open space en question
Logiquement, dans un tel contexte d’incertitudes, Actineo laisse aussi beaucoup de questions ouvertes, comme celle de savoir si la crise portera ou non un coup fatal à l’open space, un modèle très répandu (34 % selon l’Observatoire), mais aussi majoritairement impopulaire, puisque 59 % des salariés interrogés préfèreraient travailler dans un bureau individuel fermé avec un poste de travail dédié (Baromètre Actineo 2019). En 20 ans, le nombre de mètres carrés alloués par employé n’a cessé de se réduire, voire de disparaître avec l’arrivée du flex office, pour arriver à 5 mètres carrés à peine dans certains espaces de coworking, ce qui est à contre-courant des impératifs actuels : la densité de présence est en effet le meilleur terrain pour la diffusion du virus ! Le modèle du flex office – qui dit bureau partagé dit aussi potentiellement virus partagé, on imagine la réticence des salariés à s’asseoir là ou un autre vient de laisser la place – va-t-il aussi reculer au profit d’un retour du cubicle (bureau entouré de séparations) ? Rien n’est moins sûr, car le prix du foncier reste très élevé, et on voit mal comment pousser les murs pour proposer à tous un bureau individuel et sécurisé. Quant à la fonction réunion, les mois de confinement ont montré que visioconférence et autres webinaires peuvent la remplir avec efficacité, ce qui devrait réduire les besoins en espaces dédiés. Autre secteur concerné, les centre de coworking devront, au moins dans un premier temps, abandonner l’idée d’un partage total d’espaces ouverts, et prendre des mesures de distanciation pour redevenir attractifs.
En conclusion, Actineo avance le scénario probable d’une répartition progressive entre des tâches individuelles faites en télétravail à la maison, et des missions collectives pour lesquelles on se rend en entreprise. « Dans une majorité des cas, pendant le confinement, on a pris conscience que l’on travaillait très bien de la maison, car on pouvait s’isoler et se concentrer ! On ne devrait donc pas voir un vaste mouvement de retour aux postes individuels fermés, ni d’augmentation de la surface du poste de travail … tout simplement parce que tout le monde n’a pas besoin d’être présent en même temps dans l’entreprise », résume Alain d’Iribarne. Ce qui ne veut pas dire pour autant la disparition des bureaux en entreprise, puisqu’ils restent pour les salariés un lieu d’ancrage, de collaboration, d’échanges et de socialisation.
(1)www.actineo.fr
[François Salanne]