Ils n’ont pas d’usine mais un volant de sous-traitants, ils ne possèdent pas de magasins en propre mais des revendeurs et prescripteurs dans le monde entier… Ils privilégient le meuble de créateur, leur ligne éditoriale, fonctionnent en petites équipes et font la chasse aux coûts fixes… Et pour rien au monde, ils n’abandonneraient leurs structures agiles et leur indépendance. Bienvenue dans la génération des jeunes éditeurs français.

Collection Cast (Désormeaux / Carrette Studio, Manufacture du Design)
Ils ont pour nom Hartô, La Chance, Objekto, Saint-Luc, Moustache, Petite Friture, Manufacture du Design, ou parfois le nom de leur créateur, comme Heymann Editions… et sont autant de petites marques qui montent. Les jeunes maisons d’édition françaises, dont les plus anciennes ont à peine une quinzaine d’années, et les plus récentes quatre ou cinq ans seulement, sont de plus en plus visibles dans le paysage du meuble, comme en témoignent leur présence pour certains d’entre eux avec des stands conséquents sur Now ! Design à vivre (Maison&Objet) de janvier dernier, ou pour d’autres encore sur un stand collectif lors du salon du meuble de Milan 2017. Ils ont aussi fait l’objet d’une exposition – Design Addicts – à la galerie du VIA en novembre dernier, et l’Ameublement Français a créé à leur attention un nouveau groupement de spécialité. Mais qui sont ces jeunes éditeurs ? Quel est leur fonctionnement et quels sont leurs projets ? Voici quelques éléments de réponse.

Lampe Eklipse (Mauricio Klabin, Objekto)
La valeur ajoutée de la création
La première caractéristique de cette jeune édition est de créer une valeur ajoutée par une création authentique, qui ne consiste pas seulement à suivre le mouvement ou la tendance, mais à creuser son propre sillon. Ce positionnement se traduit par le fait de faire travailler des designers, souvent de la jeune génération, français aussi bien qu’étrangers. « Notre vision consiste à éditer des pièces expressives, dont la structure est souvent apparente, et intégrant un jeu sur différents matériaux, explique ainsi Jean-Baptiste Souletie, directeur associé de La Chance, qui a cinq ans d’existence. Nous confions un cahier des charges aux designers dont nous aimons le travail, puis nous développons avec eux le produit, de façon à ce qu’il s’intègre harmonieusement dans la collection. » En travaillant ainsi au coup de cœur, chacune de ces marques définit son territoire propre, ce dont Objekto est un bon exemple : « La culture d’origine de notre collection, c’est le design brésilien, dont personne ne s’occupait vraiment avant nous, témoigne Guillaume Leman, l’un des trois co-fondateurs de la maison d’édition. Ainsi, notre best seller, le fauteuil Paulistano, a été dessiné par Paulo Mendes da Rocha en 1957, et édité pour la première fois par nous en 2004. »
Quoi qu’il en soit, c’est bien cette volonté de sortir des sentiers battus qui fait leur force : « Je suis animé par une volonté de faire les choses différemment, affirme David Heymann (Heymann Editions). Toute notre collection se compose de grosses pièces qui relèvent d’un design essentiel, très dépouillé, et sont complétées par des petites pièces plus décoratives, comme le fait la mode qui joue sur les accessoires pour compléter un vêtement. » Bien entendu, un tel positionnement implique de résister aux effets de mode, de ne pas éditer un produit dont on sait qu’il se vendra bien mais à court terme, au profit d’un produit plus original, avec son caractère propre, dont les meilleurs ont une chance de devenir des « classiques ». Il n’y a cependant rien de systématique dans ce fonctionnement : certains éditeurs font le choix de la rareté – par exemple un ou deux produits seulement édités par an pour Objekto – tandis que d’autres ont plus une logique de collection et de renouvellement : « Nous essayons de sortir une quinzaine de nouveautés par an, créées par des designers indépendants, ou par notre équipe interne, que je dirige avec deux jeunes designers. Je reçois entre 2 et 10 projets par semaine, et nous sélectionnons et développons les projets qui nous plaisent, et sont conformes à notre ligne éditoriale », explique Mathieu Galard, design manager de Hartô, qui a vu le jour il y a moins de quatre ans. Ce souci de l’esthétique n’exclut pas de miser aussi sur la fonctionnalité, en développant des produits répondant avant tout à un usage, ce que fait Manufacture du design (groupe Cider), davantage spécialisée sur les secteurs tertiaires et contract : « Le Groupe Cider consacre chaque année un budget important dans la conduite d’études de marché, pour identifier les besoins précis des utilisateurs, explique son directeur général Robert Acouri. C’est ainsi que nous avons édité en 2015 la collection « Pentagone », une mini-architecture entourée de cloisons acoustiques, puis l’année suivante la collection « Woodleg » un bureau qui fait appel au bois pour répondre à la problématique de recyclabilité des produits. »

Canapé Borghese (Noé Duchaufour-Lawrence, La Chance)
Faire fabriquer plutôt que fabriquer
La jeune génération d’éditeurs a fait le choix de ne pas ouvrir d’usine – sauf exception – pour des raisons compréhensibles : éviter un investissement lourd qui les condamnerait à des coûts fixes élevés en matériels et en salariés, qu’il faut ensuite rentabiliser par des volumes produits et vendus. Tout au contraire, ils ne jurent que par la souplesse et la flexibilité, et même une certaine agilité de l’entreprise : « Le fait d’avoir une usine, impose souvent de travailler majoritairement avec le matériau – bois, métal – dans lequel on s’est équipé, argumente Jean-Baptiste Souletie (La Chance). En tant qu’éditeur, au contraire, il est possible de faire appel à des partenaires fabricants de toutes les filières, ce qui ne donne pas de limites à la création. » Et ce qui ouvre aussi sur une sous-traitance sans frontières, qui se trouve aussi bien en France qu’à l’étranger, selon des critères de qualité et de coûts. Ainsi, La Chance va chercher ses partenaires fabricants selon une géographie européenne bien connue : le bois dans la région d’Udine en Italie, le cristal en République Tchèque, le marbre au Portugal, etc. De même, Heymann édition travaille essentiellement avec l’Italie, où elle a trouvé, pour le travail du bois et du cuir, un volant d’artisans à la fois exigeants, réactifs et fonctionnant en réseau.

Table Duales (Noé Duchaufour Lawrence, Saint-Luc)
Mais il existe aussi une sous-traitance de qualité en France, et des jeunes éditeurs qui y recourent, à l’image de Petite Friture, qui travaille avec plus de 50 % de fabricants français. Le meilleur exemple est peut-être celui d’Objekto : « Pendant les premières années d’activité, nous avons fait fabriquer au Brésil, où se trouvaient les racines de notre design, raconte Guillaume Leman, mais l’instabilité de la monnaie locale, et les coûts fluctuant des fournisseurs nous ont joué des tours, sans parler les problèmes de qualité amplifiés par la distance. Nous avons donc décidé de rapatrier toute la fabrication en France et en Europe, et de nous établir en région PACA, où nous avons aujourd’hui notre lieu de stockage. » L’éditeur fait aujourd’hui fabriquer son cuir à Rodez, chez l’un des derniers tanneurs à pratiquer le tannage végétal, son acier inox dans un groupe savoyard, la façon des housses en cuir est réalisée près de Nantes, et celles des housses en tissu à côté d’Aubagne… Bien entendu, ce type de fonctionnement exige une logistique performante : Hartô par exemple, réunit les produits de ses différents sous-traitants chez son partenaire menuisier implanté au Portugal, et privilégie le flux tendu pour réduire ses volumes de stockage. La gestion des flux, le stockage, la préparation de commandes peuvent aussi être sous-traités à un partenaire logisticien…