Comment adapter l’industrie du meuble à la nouvelle économie ? Comment passer d’un management pyramidal à un management horizontal, permettant de fonctionner en mode projet, et de gagner en agilité face aux défis de l’économie numérique ? Pour réussir ces changements, les industriels de notre secteur ont tout à gagner à intégrer la culture de la génération Y, les « digital natives », ayant grandi avec les nouvelles technologies, qui a beaucoup à apporter pour dynamiser leur activité. Tel était le principal enseignement des Journées UNIFA, organisées à Paris les 22 et 23 juin.
S’adapter pour mieux réussir
Avec son projet sectoriel 2016-2021, l’UNIFA a fixé un cap général à son action pour 5 ans. Il s’agit maintenant de décliner ses 3 grands objectifs : Gagner en compétitivité, S’approprier la demande française et internationale, Construire de nouveaux business modèles, en proposant pour chacun d’eux des initiatives et des outils qui permettent aux chefs d’entreprises d’avancer pas à pas vers leur réalisation. C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire les Journées Nationales de l’Ameublement Français 2016, organisées à Paris les 22 et 23 juin dernier. Le thème général qui a été retenu cette année, L’Entreprise version Y, est en effet une invitation pour les fabricants de meuble à faire évoluer leur management, en y intégrant la culture de la génération Y (celle des 22 – 38 ans, qui ont grandi dans l’environnement des nouvelles technologies du numérique et de l’Internet, et sont façonnés par cette culture) et à inventer avec cette génération de nouveaux business models, sur un mode collaboratif, le tout pour reconquérir toute leur place sur un marché en pleine mutation.

Cette génération est celle qui crée aujourd’hui de la valeur ajoutée dans les start up. Pourquoi ne pas l’attirer et la mettre à profit dans les industries du meuble ? « Nous devons dès aujourd’hui planifier les évolutions de nos entreprises à 5 ans et au-delà, a lancé le président de l’UNIFA Dominique Weber, en ouvertures de la manifestation. L’âge moyen des salariés dans notre secteur est élevé, beaucoup partiront bientôt en retraite. Notre développement futur se fera donc avec la génération Y, qui peut beaucoup nous apporter, à condition que nous soyons capables d’évoluer pour intégrer leur culture à nos métiers et à notre fonctionnement. » Pour que les débats s’appuient autant sur la théorie que sur l’expérience, ces deux journées ont donné équitablement la parole aux consultants et aux chefs d’entreprise. C’est ainsi que Pierre Roset (1), dirigeant de Ligne Roset (950 salariés, dont 830 en France) et Arnaud Visse, à la tête du fabricant de placards sur mesure Coulidoor (300 salariés), ont été les premiers à s’exprimer sur la génération Y. « Cette génération représente 20 % de nos effectifs, et ce qui me frappe le plus est le fait qu’ils ne sont pas des exécutants, mais demandent toujours à comprendre la logique de ce qu’on leur demande de faire, ils ne sont pas contre la hiérarchie, mais ont un franc-parler bien à eux, a expliqué Pierre Roset.
COMMENT LE NUMÉRIQUE RÉVOLUTIONNE LES POINTS DE VENTE ?
Leur maîtrise des nouvelles technologies, est une richesse, car en les reliant aux machines, on peut optimiser la production, travailler mieux et plus vite. Ils sont un important levier de changement pour nos entreprises. » Arnaud Visse a lui aussi été confronté à cette génération, qui l’a amené à réviser ses méthodes de management : « Ce sont des accros au portable, dans les bureaux comme dans les ateliers, mais il ne sert à rien de rajouter des lignes de règlement intérieur pour l’interdire, car il est comme un prolongement de leur main, témoigne-t-il. Ils expriment aussi leur volonté d’être écoutés, de ne pas seulement obéir à l’encadrement intermédiaire, mais aussi de proposer de nouvelles façons de faire. Ils se sont plaints, entre autres, de ne pas être écoutés. Pour leur répondre, nous avons créé un baromètre social, qui évalue la satisfaction des salariés, et nous sommes passés d’une culture du contrôle à une culture de responsabilité. Et ça marche, ces mesures sont une des raisons de notre réussite. » Les deux chefs d’entreprises sont tombés d’accord pour dire que la génération Y est déroutante pour ses aînées, mais bien formée, demandeuse, souvent plus efficace que ses devancières, et qu’il faut compter sur elle.
Un saut générationnel
C’est à un membre de la génération Y qu’est revenue la tâche de tracer les contours de cette génération, en la personne d’Emmanuelle Duez, trentenaire, consultante et fondatrice de la start up The Boson Project, un laboratoire qui travaille à la transformation des organisations, et vise à créer de la valeur et des valeurs en misant sur les individus. Pour l’intervenante, les évolutions sociétales et les technologies du numérique ont bouleversé l’ordre des choses, en moins de 20 ans. La génération Y, c’est celle de la « détresse écologique », et celle de la troisième révolution industrielle, celle du numérique, qui est une révolution industrielle sans croissance :
conséquence, l’idée de progrès du bien-être et du pouvoir d’achat est remise en cause, la perspective d’une retraite confortable s’éloigne… « Dans ce contexte, le modèle de l’entreprise traditionnelle est mis à mal, comme le montre le phénomène, précurseur, de l’uberisation, explique en substance la consultante. Elle doit se réinventer, en misant sur l’agilité, pour pouvoir s’adapter aux évolutions de plus en plus rapides, et en passant d’un modèle pyramidal à un modèle horizontal. »

Accueil à la Comédie Bastille (Paris 11ème).
Autrement dit, aujourd’hui, « l’agile mange l’inerte », on voit des start up apparaître, grignoter des parts de marché, et s’enfuir en laissant les entreprises « installées » dépouillées d’une parti de leurs débouchés. « On constate après coup les dégâts de l’idée qu’on n’a pas eu, sans savoir, si on l’avait eu à temps, comment on aurait pu la mettre en œuvre », résume Emmanuelle Duez. Pour s’adapter à ce contexte, une seule solution : un changement de management, qui consiste à miser sur le capital humain de l’entreprise. Autrement dit, il faut abandonner la transmission hiérarchique des décisions de la direction vers les salariés par l’intermédiaire de l’encadrement intermédiaire (modèle pyramidal) au profit d’une libération de toutes les énergies, qui fait de chacun quel que soit son niveau de responsabilité une force de proposition critique, susceptible d’amener des solutions innovantes, facteur de progrès, de rapidité, d’efficacité (modèle horizontal).

« A l’heure où les savoirs circulent à toute vitesse sur Internet, les patrons et les cadres doivent admettre qu’ils ne savent pas tout, 50 % des connaissances seraient obsolètes en deux ans, et laisser s’exprimer la génération Y, pour retenir ses idées les plus pertinentes, en passant d’un modèle de la subordination à un modèle de la collaboration, ajoute-t-elle. Le propre de cette génération, c’est d’ailleurs de penser que chaque individu peut apporter autant à l’entreprise que le contraire, dans le cadre d’une « guerre des talents ». Pour la consultante, il y a là un formidable levier pour transformer l’entreprise, la rendre agile et créative, à condition de respecter un ensemble de valeurs chères à la génération Y : le sens (il faut leur expliquer leur mission dans l’entreprise), la reconnaissance (ils veulent sentir qu’ils sont importants pour l’entreprise), la confiance (en optant pour un système de confiance a priori et de contrôle a posteriori), et enfin la transparence, car la prise de responsabilité n’est possible qu’avec des managers qui garantissent les règles du jeu.
Un management en mutation

Dominique Weber, président de l’UNIFA.
Ces nouveaux modes de management sont déjà une réalité dans notre secteur, comme l’ont montré des témoignages de chefs d’entreprises. Ainsi Philippe Moreau, président de Symbiosis, fabricant de meubles en kit pour la vente sur Internet (43 salariés), a expliqué comment il a évolué tout d’abord pour régler ses problèmes de recrutement : « Pour recruter 18 personnes en production, nous avons reçu 120 candidats venus de Pôle Emploi. Le problème ? On faisait enter les arrivants dans l’usine, on leur montrait leur machine… mais ils ne voulaient pas travailler ! La raison ? Ils n’étaient pas accueillis, donc on ne donnait pas de sens à leur travail. »
Le problème a été résolu par la mise en place d’un accueil, d’une formation, et d’une explication sur leur rôle dans l’entreprise. Cet épisode a été le point de départ d’une transformation complète de l’organisation. La fabrication a intégré les méthodes de l’usine 4.0, une supply chain, et l’entreprise est passée en mode projet : « Nous avons réuni tout le monde, de bac 3 à bac + 6, pour créer notre méthode de management de projet, tout le monde pouvant être chef de projet, avec une organisation horizontale, et une définition claire du rôle de chacun, ajoute Philippe Moreau. Et ça marche : nous avons aujourd’hui 24 projets, dirigés par 12 personnes d’environ 25 ans. »
Autre témoignage significatif, celui de Vincent Heuraux, président de Parisot, l’un des fleurons français du meuble en kit (780 personnes), qui a profité de ses difficultés économiques des années 2011 – 2012 pour repenser complètement son fonctionnement et repartir sur de nouvelles bases : « Nous étions déjà en îlots autonomes, mais l’encadrement en place exploitait un système qui ne produisait plus de rentabilité, raconte-t-il. Notre Comité de pilotage (Copil) a donc pris des mesures radicales, en cassant l’organisation en « silos », et en augmentant la transparence, ce qui a permis d’obtenir l’adhésion des salariés de base à notre projet d’entreprise. » Une nouvelle culture s’est installée dans l’entreprise : les collaborateurs participent désormais aux embauches avec les managers, et les salariés ont été formés à la lecture des résultats. « Tout le monde est aujourd’hui responsabilisé, les salariés ont compris que leur rémunération dépend des performances de l’entreprise, ce sont eux qui fixent leur niveau d’intéressement (les salaires ont été bloqués pendant 3 ans).

Nous avons aussi instauré un « Copil shadow » qui instruit les projets en parallèle du vrai Copil. » Le dirigeant se réjouit aujourd’hui de ce nouveau cap, qui se traduit par 160 projets portés par 160 personnes, avec 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire à la clé. En parallèle, la productivité de l’entreprise a augmenté de 5%, le niveau de stock a baissé de 5 millions d’euros, et le taux de service s’est amélioré de 65 à 90 %. « Les débats ont montré que nos entreprises ont besoin de sens, pour tous nos collaborateurs, et pour attirer des jeunes que l’on dit désengagés, mais qui sont prêts à donner beaucoup, à condition qu’on leur face une place, et que l’on valorise leur rôle, a conclu Dominique Weber. L’autre défi qui se pose à nous est de les conserver à long terme. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine, mais je suis sûr que nous y parviendrons. » Les Journées UNIFA 2016 auront en tout cas fortement contribué à éclairer la question, et à faire avancer les choses.
[F.S.]
(1) Après avoir exercé le mandat de président du GEM pendant 25 ans, Pierre Roset a officiellement passé le relais à David Soulard, directeur général de Gautier, qui lui succède à ce poste, pendant l’Assemblée générale de l’UNIFA du jeudi 23 juin. Sa clairvoyance, et son action remarquable pendant un quart de siècle lui ont valu une chaleureuse ovation de tous les délégués et adhérents présents.