La location de meubles tous services compris séduit un public de plus en plus varié. Sur ce marché naissant, plusieurs profils d’acteurs sont amenés à se côtoyer : agences de location, start-up de services aux étudiants , prestataires haut de gamme, mais aussi distributeurs et fabricants de meubles.
Locataire ou propriétaire ? Après la maison, la voiture, le vélo, la box Internet, le téléphone et la télévision, on en vient à se poser la question pour les meubles. Signe des temps, le « jeune habitat » est passé par là. Alors que les antiquités et les brocantes n’ont jamais été aussi tendance, l’ameublement fonctionnel est de moins en moins perçu comme un bien durable. Lorsque, en plus, les carrières professionnelles et les modes de vie nous amènent à déménager souvent, il devient plus facile de louer son canapé ou sa salle à manger que d’acheter, transporter, monter, désinstaller, déménager, user, casser et s’en débarrasser.
Ce changement d’état d’esprit est encore émergent dans la société française, où le meuble est traditionnellement considéré comme une valeur patrimoniale. Mais de plus en plus d’acteurs parient sur ce marché en devenir. Les premiers sont arrivés il y a une vingtaine d’années, pour répondre aux besoins des entreprises ayant des travailleurs détachés à l’étranger. C’est le cas par exemple de Homat, société créée en 1991, qui travaille en direct avec les ressources humaines des grandes entreprises.
Autre public intéressé, les étudiants. Depuis deux ou trois ans, on voit de jeunes entrepreneurs proposer, chacun localement (Lille, Strasbourg, Nantes , Montpellier, Toulouse…) un service de location de meubles et d’électroménager pour des studios ou des petits appartements et pour des durées correspondant à un stage de trois mois jusqu’à une année d’études par exemple. Location-pour-etudiants.fr, ameublys.fr, meublemoi.fr, ces services en ligne sont chaque jour plus nombreux
L’offre crée le besoin
Et comme cela marche plutôt bien, et que la demande sort du seul cercle étudiant, ces sociétés cherchent à élargir leur cible. Qui aux propriétaires de logements optant pour la location meublée de leur bien, qui aux fonctionnaires et cadres mutés, qui au B to B pour équiper des bureaux, etc. De fil en aiguille, cette formule a fini par intéresser des ménages particuliers — célibataires, couples et familles — pour leur propre logement.
NeoSquat illustre bien cette évolution. Cette société a été montée en 2012 par deux Parisiens, qui avaient eux-mêmes vécu le parcours d’embûches en tant qu’étudiants. Aujourd’hui, leur clientèle compte toujours des étudiants, mais à hauteur de 20 % seulement. Leurs services ont séduit ceux qui jusque-là s’équipaient à Ikea ou Conforama. « La logique de consommation collaborative et du partage de biens s’étend à tous les marchés, observe William Genis, co-fondateur de NeoSquat. Il y a beaucoup de secteurs où l’utilisation court-termiste des objets s’impose comme une évidence. Et le meuble peut en faire partie ».
Une logique d’autant plus intéressante que la location s’accompagne généralement de services allant de la seule livraison jusqu’à l’entretien régulier, aux garanties et au remplacement en cas de dégâts. « Nous voyons arriver une nouvelle clientèle qui loue par pur confort, poursuit William Genis. C’est là qu’on s’aperçoit que c’est l’offre qui crée la demande. On loue un canapé, une table et des chaises et tous les trois ans, on change le tout contre des produits neufs. C’est facile, ça marche par mensualités, comme un forfait téléphonique ». Après la location, les meubles sont revendus sur le marché de seconde main qui, cela tombe bien, connaît également un fort succès.
NeoSquat a dû étoffer son offre pour répondre aux nouveaux profils de clients qui n’ont plus rien de commun avec les étudiants des débuts. Mais c’est surtout par les services que William Genis et son co-fondateur Quentin Peretti veulent se différencier : « Il faut pouvoir livrer parfois dans les 48 heures et dans un créneau de trois – quatre heures, car ces clients veulent consacrer le moins de temps possible à la logistique ». William Genis affirme connaître une croissance à trois chiffres et s’approvisionner pour entre 5 000 et 10 000 euros chaque mois, à date de septembre 2014.
Outil d’up-scaling
Pour l’instant, difficile de prévoir la taille qu’aura le marché locatif dans deux ou trois ans. Mais étant donné la conjoncture qui impacte actuellement le secteur de l’ameublement, il semblerait que cette nouvelle offre commence à intéresser d’autres acteurs que les « loueurs »… C’est le cas du spécialiste du salon Chateau d’Ax, qui, depuis septembre, a ouvert aux canapés un concept de location qui existait déjà dans l’électrodomestique (Boulanger avec Lokéo, Intermarché, E.Leclerc, CDiscount et la FNAC avec Uz’it). Mais c’est plutôt l’automobile qui a inspiré Michaël Sadoun dans son offre de location avec option d’achat (LOA) sur trois à cinq ans : « Quand on voit que la LOA représente près de 18 % du marché de l’automobile, on se dit que le consommateur est prêt à faire pareil pour son salon, puisqu’il considère que l’usage est plus important que la possession », explique le responsable de l’enseigne. Pour lui, cela ne change rien à l’offre produit, cela équivaut simplement à une alternative de financement assortie d’un « haut niveau de services » : livraison, garanties détachage, risques ménagers, taches, accrocs, griffures sur cuir, intervention six jours sur sept, prise en charge de la reprise du produit, renouvellement anticipé, recyclage du produit en fin de contrat.
La location s’apparente plus ici à un outil de vente complétant les offres de crédit traditionnelles : « Le marché tournant au ralenti, l’objectif est d’accélérer le renouvellement. La liberté d’acheter ou non en fin de contrat aide certains de franchir le pas. Et cela permet à d’autres de choisir des produits plus chers que s’ils avaient dû les payer comptant. Sur les premiers contrats signés, le panier moyen est supérieur de 35 % ». Chateau d’Ax s’appuie sur la société Evollis, conceptrice du service de leasing Uz’it début 2013. Evollis s’occupe de monter le dossier de crédit (Financo) et la société NES Ealis (filiale de Natixis) gère tout le suivi (SAV, options au terme du contrat, actions CRM…) jusqu’à récupérer, recycler ou revendre les meubles. C’est aussi Evollis qui a formé les vendeurs des 90 magasins Chateau d’Ax à cette nouvelle offre. L’objectif de cette société basée en Haute-Garonne est d’atteindre 10 % de ses ventes en LOA.
La “Meb’lib” attitude
La franchise italienne n’est pas le seul professionnel du meuble se servir de la location comme levier de vente. Quelques mois avant elle, en avril 2014, un fabricant a fait le même pari. La société Hellin, dans le nord de la France, historiquement sur le cercueil et le meuble en bois massif et placage, a développé depuis 2010 un programme de collections en vente sur son site web marchand de coaching déco ceno.fr. En mars dernier, Hellin a lancé le site louersesmeubles.com : « Nous avons testé cette offre pendant deux ans sur ceno.fr, raconte le créateur et co-gérant de Hellin Emmanuel Ghillebaert. Il en a découlé un outil simple et rapide : sélection des produits, de la durée de location et paiement sécurisé, tout se fait en ligne ». Sa cible est la plus large possible, avec des durées de six mois à cinq ans, des produits à l’unité ou en packs, des gammes salon, salle à manger et chambre, différents niveaux de services selon les budgets, l’option d’achat ou la reprise des meubles en fin de contrat.
Hellin a l’avantage d’intégrer la production de la plupart des produits (en Roumanie), le stockage, la préparation, la logistique et la vente. Ce qui lui permet de proposer des conditions tarifaires et de service compétitives. Il ne fait même pas appel à un financement externe : « Il ne faut aller trop vite, car ce concept est très gourmand en trésorerie, et nous finançons tout nous-mêmes pour ne pas générer de fausses dépenses. Car nous voulons des prix justes ». Mais la société familiale envisage déjà d’étendre son offre aux professionnels (bureaux, professions libérales, salles d’attente, événementiel…) et à la location et vente de produits d’occasion lorsque les produits actuels seront retournés. “Avec un canapé à cinq ou six euros par mois, on pourra toucher encore plus de monde. Nous pourrons également revendre des produits remis en état sur le marché de l’occasion, qui grossit de jour en jour ».
Occasion, location, partage… des modes de consommation qu’on ne pourra peut-être plus qualifier d’alternatifs dans quelques années. Bien au-delà des jeunes primo-accédants, les publics concernés sont de plus en plus diversifiés, jusqu’aux seniors contraints d’équiper leur logement avec une cuisine, une salle de bains et un lit adaptés… L’agenceur bas-rhénan L’Arche-du-Bois songe d’ailleurs lui aussi à une formule locative pour faciliter l’accès à sa cuisine Easy ultra-domotisée et convenant particulièrement aux personnes âgées et à mobilité réduite. A suivre.