Depuis la crise économique de 2008 qui avait fait plonger leurs ventes de 58 %, les fabricants de meubles espagnols ont entrepris une rénovation majeure de leur secteur. Elle porte ses fruits : depuis 2 ans, le marché est reparti à la hausse. L’export est le moteur de ce redressement, avec la France en chef de file, qui achète le quart des meubles exportés d’Espagne.
Le renouveau du meuble espagnol
L’ndustrie du meuble espagnole revient de loin. Entre 2008 et 2013, près de
5 000 entreprises sur 15 000 ont disparu. « Notre secteur est très fragmenté, les petites sociétés sont nées de la faillite des grandes pendant la crise, explique Belén Martínez, directrice export en France d’Acomodel. Les « moyennes », comme nous, ont supporté cette période en ne prenant pas de risques excessifs, et grâce à une solidité financière et humaine ». La crise de 2008 est en effet passée par là. Six années durant, le marché n’a cessé de chuter : – 15 % en 2008, – 24 % en 2009, – 6 % en 2010, – 13 % en 2011, – 11 % en 2012 et – 7 % en 2013… De 8,642 Mds€ en 2006, la production était descendue à 3,716 Mds€ en 2013.

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La courbe s’est enfin inversée en 2014, le chiffre d’affaires du secteur regagnant + 3,1 %, redressement confirmé en 2015 à + 3,08 % pour 3,948 Mds€.
Ce rétablissement a demandé pas mal d’efforts, d’énergie et d’abnégation aux entreprises rescapées. Comme dans les autres secteurs, elles ont réagi sur tous les fronts : arrêt du versement des dividendes aux actionnaires, réduction de la rémunération des dirigeants, baisse des salaires et des prestations sociales, adaptation des prix pour gagner en compétitivité… Après cette période, une nouvelle génération d’entrepreneurs a pris le relais de leurs aînés. Ils ont restructuré leurs entreprises, ont introduit de la souplesse dans les modèles d’organisation et de gestion et se sont entourés d’experts : designers industriels créatifs, ingénieurs impliqués dans la R&D, responsables d’achats à l’international, directeurs export. Ces équipes ont su imaginer de nouvelles stratégies de croissance en ne raisonnant plus « local », mais projetant leurs ambitions à l’échelle mondiale.
Après la crise, un salut : l’export
L’internationalisation est en effet devenue un puissant moteur pour ce secteur comme pour les autres activités économiques du pays. Car la consommation intérieure et les opportunités régionales restant atones, point de salut, sinon à l’étranger. Les fabricants ont donc mis le paquet sur l’export, certains en se spécialisant dans des segments porteurs, comme le meuble de bureau, l’outdoor ou le contract (collectivités, secteur public, hôtellerie et loisirs, hospitalier…). Efforts payants : en 2015, l’Espagne a vu ses exportations de meubles progresser + 9,8 % à plus de 1 856 millions d’euros. 47 % du CA du secteur sont réalisés hors des frontières espagnoles.
GAËTAN MÉNARD : «PLUS D’INTERNATIONALITÉ POUR ESPRITMEUBLE»
Ce commerce se fait majoritairement dans l’Union Européenne, la moitié se concentrant dans 4 pays : la France, le Portugal, l’Allemagne et le Royaume-Uni. A elle seule, la France accueille 25 % des meubles exportés en 2015, loin devant le voisin portugais, qui ne pèse « que » 11 % du total. Ce flux outre Pyrénées a même tendance à se renforcer, si l’on en juge par les statistiques du premier trimestre 2016 : les Français ont acheté pour 127,138 M€ de meubles en provenance de Catalogne, de Valence ou encore de Galice, soit 27 % du total des exportations de meubles espagnols, et 18,6 % de plus qu’au premier trimestre de l’année dernière…
« Cette performance résulte des progrès accomplis par nos industries, se félicite Juan Carlos Muñoz, le président de l’ANIEME, l’Association Nationale des Exportateurs de Meubles d’Espagne. Naturellement, avec la crise, une sélection s’est opérée parmi les entreprises. Celles qui subsistent sont les plus solides, les plus fortes. Il est devenu impossible pour elles de vivre sans exporter. Pour certaines, cela représente plus du 80 % du CA. Mais la qualité de nos produits s’est aussi beaucoup améliorée. »
«Se positionner la ou les autres européens ne sont pas»
Au-delà des chiffres, en effet, l’export a accéléré la mutation qualitative des produits. Là aussi, on revient de loin : l’ameublement espagnol a longtemps été inexportable, freiné par ses typicités, ses lourdeurs et ses styles régionaux pittoresques. Face au mobilier fonctionnel des Scandinaves, au Bauhaus rationnel des Allemands ou à l’épure lyrique des Italiens, les traditionnels meubles tapissiers de Valence, Séville ou Tolède ne collaient pas du tout aux demandes des Français. Quant aux produits d’entrée de gamme, ils restaient toujours plus chers que ceux venus d’Asie… Tout cela s’est métamorphosé en peu d’années. Fini le baroque, désormais, c’est dans l’ultra contemporain que les Espagnols expriment leur créativité et leur caractère. Si bien qu’aujourd’hui, les canapés en cuir et les tables castillanes sont en passe de rivaliser avec le design milanais.

Reste à imposer cette nouvelle image dans l’esprit des distributeurs et des consommateurs. Pour obtenir cette reconnaissance, les industriels espagnols sont conscients qu’il leur faut apporter une valeur ajoutée différente de leurs concurrents européens et construire un positionnement stratégique commun « made in Spain ». Outre la « spain touch » en termes de design, leur démarche passe aussi par la flexibilité commerciale et des relations étroites avec la distribution. « Aujourd’hui, ils sont très à l’écoute des marchés et très réactifs, témoigne Yves Albiser, agent de marques espagnoles (dont Pedro Ortiz) depuis 26 ans. Ils arrivent à se positionner là où les autres Européens ne sont pas, non seulement sur le design, mais aussi sur le confort et le service. Après, le plus difficile pour eux est de monter un réseau d’agents fiable pour couvrir toute la France. » Juan Salas, directeur commercial de Discalsa (spécialiste des tables en céramique), partage le même constat : « Les distributeurs français apprécient de travailler avec les fabricants de meubles espagnols parce que nous combinons des atouts forts que sont la fonctionnalité des produits, l’innovation design et la fiabilité des relations commerciales. Le succès des produits espagnols s’explique aussi, dans un contexte de crise économique, parce qu’à qualité équivalente, il y a 15 % à 20 % de différence de prix – la marge commerciale – entre le produit d’une marque italienne et celui d’une marque espagnole. Or si, avant, le consommateur était focalisé sur l’effet marque, aujourd’hui il examine plus rationnellement les qualités intrinsèques du produit ».
Les fabricants soutenus par l’ANIEME
Pour développer leur image de marque et prospecter sur les marchés extérieurs, les constructeurs espagnols sont soutenus par l’ANIEME. Comme le GEM en France, cette association leur assure, grâce à des stands collectifs, une présence visible sur la plupart des salons professionnels en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, au Moyen Orient et en Asie (EspritMeuble et M&O à Paris, IMM Cologne, Interior Mebel à Kiev, Feria Design Shanghai, Salon du Meuble de Milan… auxquels s’ajoutent les
« missions directes », autrement dit des déplacements groupés pour rencontrer les prospects dans les pays scandinaves, au Chili, en Colombie, au Koweit, au Qatar ou à Abu Dhabi). L’ANIEME vient encore de lancer une plateforme numérique à l’attention des marchés scandinaves pour communiquer sur le « spansk design » auprès des publics concernés (agents, importateurs, prescripteurs, architectes d’intérieur, magazines, blogueurs, etc.).

Sans cette organisation, beaucoup d’entreprises espagnoles n’auraient pas la possibilité de prospecter hors de leurs frontières, explique Amparo Bertomeu, la directrice de l’ANIEME. « Nous avons exposé à M&O Americas pour la première fois l’an dernier avec une quinzaine d’entreprises, mais le développement international prend du temps. La France représente déjà un quart de nos exportations de meubles. Il devient difficile aujourd’hui d’accroître énormément cette part déjà importante. Les fabricants essayent donc de développer les autres marchés à l’international pour diversifier les débouchés, mais nous avons du mal à convaincre les entreprises d’aller au-delà de l’Europe ». Les plus aventureux vont toutefois chercher la croissance plus loin, notamment sur les marchés du luxe en Russie, en Chine ou dans les monarchies arabes du Golfe Persique. Le fabricant de chambres d’enfants Micuna, qui vend des meubles incrustés de cristaux Swarovski en Russie et en Chine, vient ainsi d’implanter un showroom au Kazakstan… En 2015, le luxe a permis au meuble espagnol d’augmenter considérablement ses exportations aux Etats-Unis, au Maroc ou encore en Arabie Saoudite.
Autre segment porteur : le contract. Un marché en forte croissance, grâce à la montée en qualité opérée par les fabricants. Selon Juan Carlos Muñoz, ils sont capables aujourd’hui de rivaliser avec les meilleurs pour équiper l’hôtellerie de luxe : « Tout le monde vous dira toujours que l’économie va mal.
10 POINTS À SURVEILLER POUR LA PÉRENNITÉ DE L’ENTREPRISE
La crise est mondiale, certes, mais l’argent est partout. On voit de plus en plus de restaurants et d’hôtels haut de gamme dans le monde… Il faut donc bien des entreprises pour les équiper. » Le groupe Skyline, qui exposait au dernier salon M&O, fait partie de ces
« gros » exportateurs (80 % de son CA) implantés dans le contract, en particulier avec sa marque outdoor de luxe Contradictions. Pour produire ses fauteuils et méridiennes d’extérieur en fibres synthétiques (Batyline, Ecolene, Reanu…) au plus près de ses marchés, le groupe a implanté 2 usines en Indonésie… « L’internationalisation est le seul moyen de survie de cette industrie, poursuit Juan Carlos Muñoz. Plus que jamais, le soutien de l’administration publique est nécessaire pour accroître notre présence internationale et diversifier les marchés. Nous devons regagner le terrain perdu par la crise économique et contribuer à la création d’emplois dans le secteur ».
Même unis sous l’égide de leurs fédérations, aidés par l’institut du commerce extérieur (ICEX) et les chambres de commerce, les fabricants espagnols sont pourtant confrontés à la question de la taille critique nécessaire pour investir à la hauteur de leurs ambitions mondiales. Encore aujourd’hui, 92 % des sociétés du secteur ont moins de 10 salariés et un CA annuel inférieur au million d’euros. Tout agiles qu’elles soient, elles sont vite dépassées quand il s’agit d’investir dans l’outil de production en Asie pour rester compétitives, ou d’absorber soudainement des commandes qui dépassent leurs capacités de production. Une crise de croissance reste toutefois préférable à la menace d’extinction.
[L.Z.]