Toute une génération de jeunes entreprises de mobilier danois fait depuis quelques années son entrée sur le marché français. Si elles se réclament chacune de l’héritage des grands maîtres du design national, elles font aussi largement appel à des fabricants délocalisés qui leur permettent de se positionner sur le moyen haut de gamme. Une formule qui peut être gagnante, à condition de maîtriser la qualité de fabrication.

Collection House Doctor
Y a-t-il une « nouvelle vague » du mobilier danois ? Tout porte aujourd’hui à le croire, car il existe un nombre important de jeunes entreprises, dont les plus anciennes ont à peine dix ans, qui viennent de se lancer dans la fabrication de collections complètes de meubles, luminaires et objets, au pays de la Petite Sirène. Les professionnels qui se sont rendus à Maison&Objet, à la session de septembre dernier, ont pu s’en rendre compte : selon le décompte de l’Ambassade du Danemark, le salon aurait réuni près de 80 exposants « issus de la tradition danoise du design et du mode de vie. » Une bonne dizaine d’entre eux en tout cas étaient bel et bien des fabricants de meubles dont la marque oscillait entre les consonances franchement scandinaves (Hübsch, Lene Bjerre, Normann Copenhagen, Muubs…), et les labels plus internationaux voire anglo-saxons (Addinterior, By Nord Copenhagen, Menu, Eleanor Home, House Doctor…). Si certaines de ces marques sont déjà présentes en France depuis quelques années – Muuto, qui n’était pas sur le salon cette rentrée, a exposé à Maison&Objet pour la première fois en 2007 – plusieurs d’entre elles exposaient pour la première fois dans l’Hexagone, ce qui renforce l’idée d’une nouvelle vague de produits danois sur notre marché.
Héritières d’une glorieuse tradition
Bien qu’elles aient des positionnements, des niveaux de gamme, des produits assez différents, ces entreprises ont une stratégie commune : elles se réclament toutes de la grande tradition du meuble et du design danois, qui a marqué les esprits dans les années 1940 : « Cet héritage des grands maîtres comme Arne Jacobsen, Poul Kjaerholm, Finn Juhl ou Louis Poulsen a perduré jusqu’à nos jours, mais véhiculé par de petits fabricants ou éditeurs qui continuent de fabriquer au Danemark, avec un positionnement très élitiste, explique Henrik Madsen, directeur de Scandeco, et agent de différentes marques danoises pour la France, notamment Menu. Les nouveaux fabricants que nous voyons arriver aujourd’hui ont pour volonté de démocratiser le meuble de style danois. »
C’est ainsi que cette génération de nouveaux produits reprend un certain nombre de codes composant l’ADN du meuble danois, qui tourne le dos à l’exubérance pour privilégier la fonctionnalité : « Tous nos produits ont des lignes très sobres et très épurées, nous fabriquons des meubles simples, proches de la nature », affirme Daniel Henriksen, directeur du marketing de Hübsch, qui exposait pour la troisième fois sur Maison&Objet. Ces collections se caractérisent notamment par l’omniprésence du bois massif, avec beaucoup de hêtre teinté, et des finitions mates, car ce mobilier se veut un retour aux sources, qui fait appel aux matériaux « vrais » ou « authentiques ». L’empreinte des années 1940 et 1950 est encore très présente dans les sièges, par exemple les collections d’Eleanor Home : « Nos modèles Finnegan Chair ou Duke Sofa sont à la fois nos propres créations, tout en s’inspirant d’un registre familier qui marie les piétements et accoudoirs en bois teinté courbes, les assises rembourrées et les dossiers capitonnés », précise Franck Attia, directeur général de la société, présente sur le marché français depuis quatre ans. Les produits à piétement bois et assise capitonnée en tissu sont aussi une constante des sièges, par exemple, de la gamme House Doctor.
Un nouvel élan créatif

Table Basse Lili (Add Interior)
Cette forte tradition ne s’oppose pas à la création, elle est même un socle sur lequel sont bâtis les nouveaux produits. Un exercice de style auquel s’est livré, par exemple, Normann Copenhagen, avec le canapé Onkel, qui est un mélange de lignes contemporaines sobres, et de courbes synonymes de confort et renvoyant au passé, pour un résultat très connoté made in Danemark : « Onkel est un canapé issu d’un dialogue entre l’artisanat et l’industrie, témoigne son designer Simon Legald. Pour le réaliser, j’ai repris d’anciennes techniques artisanales, transposées dans un nouveau contexte. » C’est sur le même terreau qu’Addinterior, une nouvelle entreprise créée il y a sept ans, construit son territoire propre : « Nos collections relèvent d’un style nordique, et sont au croisement du minimalisme et du design fonctionnel, explique son directeur général Ane Lüth. Nous utilisons pour cela des matériaux honnêtes, comme le bois, le cuir et le métal. » A l’intérieur de ces contraintes, le catalogue se compose de produits qui sont des créations originales, à l’image du siège rembourré Lean, qui associe un piétement bois à assemblage traditionnel et une assise monobloc très fine, ou de la table Lili, et son piétement en bois aux courbes très étudiées.
Cette nouvelle génération investit aussi dans l’innovation technologique, avec une connotation environnementale. Par exemple, Muuto vient de lancer la chaise Fiber, dont la coque est réalisée avec un nouveau matériau à base de fibres de bois à 25 %, et de polypropylène, ce qui ouvre la voie au recyclage du bois sous forme de fibres. Ce qui n’a pas empêché ses concepteurs d’en faire un très bel objet, décliné dans une vaste palette de couleurs, et avec quatre piétements différents, qui la destine aussi bien à la salle à manger qu’au bureau. Contrairement à leurs aînés, qui défendaient une grande sobriété traduite par des tons très neutres, les nouveaux fabricants danois s’aventurent volontiers dans le mode de la couleur, en harmonie avec libéralisation des pratiques décoratives.
Des modèles économiques inédits
Cependant, cette démocratisation n’est possible qu’au prix de nouveaux modes de production qui s’appuient sur la délocalisation. Les fabricants patrimoniaux de meubles danois font largement appel à une main d’œuvre artisanale qualifiée, dans un pays où les salaires sont élevés. Le résultat donne un produit de très haute qualité, jusque dans les détails, mais situe leurs produits dans le secteur du luxe. Certains des nouveaux fabricants danois s’attachent à fabriquer essentiellement au Danemark ou dans les pays scandinaves voisins, comme c’est le cas par exemple d’Addinterior. Mais la majorité d’entre eux ne fabriquent qu’une partie de leurs produits sur le territoire national, à l’image d’Eleanor Home, qui a maintenu la fabrication de ses luminaires au Danemark, tandis que les sièges de sa collection sont produits au Portugal.

Canapé Duke (Eleanor Home)
Pour ces jeunes entreprises, nées dans un monde économique déjà mondialisé, la stratégie industrielle consiste sans exclusive à travailler avec le partenaire le plus approprié : « Une partie de notre production se fait au Danemark, et dans les pays limitrophes, mais nous avons des partenaires fabricants dans le monde entier, nous choisissons les mieux placés, à savoir ceux qui nous apportent à la fois une garantie de qualité et un prix compétitif, explique Line Brookman Juhl, directrice du marketing de Muuto. Parfois, nous avons besoin d’eux parce qu’ils ont un savoir-faire que nous ne maîtrisons pas, même s’ils sont loin géographiquement, c’est le cas pour nos collections de tapis. » Pour proposer sa vaste collection, Hübsch fait appel à pas moins de 60 partenaires fabricants, implantés aussi bien au Portugal, qu’en Espagne, ou au Vietnam… ce qui lui permet de proposer un catalogue de quelque 2 000 produits, meubles, sièges accessoires, textiles, objets, avec peut-être le risque de noyer l’ADN danois dans une aussi grande diversité. « La clé de la réussite consiste sûrement à conserver au minimum la création des collections au Danemark, et ensuite à sélectionner les bons partenaires fabricants, réagit Henrik Madsen (Scandeco). Après s’être fait connaître avec les arts de la table, à base principalement de bois et de verre, une marque comme Menu s’est diversifiée dans le luminaire et le petit meuble depuis un peu plus d’un an, mais la plupart des produits sont assemblés au Danemark, où ils sont aussi stockés avant l’expédition. » Fabriquée dans le monde entier, cette nouvelle génération du meuble danois à aussi vocation à être vendue partout : « Nous avons des revendeurs dans toute l’Europe, mais aussi en Russie, au Kazakhstan, en Malaisie, au Chili », détaille Franck Attia (Eleanor Home). Ces jeunes entreprises s’intéressent de près au marché français, sur lequel leur présence va croissant : Eleanor Home est aujourd’hui distribuée par une vingtaine de points de vente, principalement pour ses luminaires, Hübsch est présente dans environ 50 magasins, tandis que Muuto et Menu, qui ont une plus grande antériorité, sont respectivement distribuées par 200 et 400 points de vente français. Ces marques ciblent aussi bien les marchés de la distribution de détail, que ceux de la prescription, où le style nordique est dans l’air du temps. Ce nouveau meuble danois, qui veut allier la qualité et la grande diffusion, bénéficie-t-il d’un effet de mode – comme on l’a constaté avec le meuble « ethnique », il y a quelques années – ou va-t-il s’installer de façon durable ? Seule sa faculté à se renouveler en restant fidèle à son ADN pourra le rendre indémodable.