Plutôt que de parler de « mobilité réduite », de « perte d’autonomie » ou « d’accessibilité », certains valorisent l’offre de mobilier PMR destiné aux seniors en évoquant le « design pour tous », la « haute ergonomie » ou le « grand confort ». Au même titre que « high tech », les termes « hi-erg » (ergonomy) ou « high comfort » intègreront très certainement, un jour, notre langage courant, pour symboliser la forte valeur ajoutée d’un produit…

Confort, Schmidt
L’adaptation des logements aux besoins des seniors est un défi que doivent relever les professionnels de l’équipement domestique. 90 % des 15,6 millions de personnes âgées de 65 ans et plus en France souhaitent vieillir en restant chez elles ; or, la quasi totalité des logements sont aujourd’hui inadaptés pour assurer leur autonomie de vie… « Les travaux d’adaptation concernent seulement 15 à 20 000 salles de bains par an, alors que le potentiel est d’environ 200 000, évalue Frédéric Serrière, expert des impacts du vieillissement démographique. Les freins sont nombreux, aux premiers rangs desquels il y a le déni du vieillissement, le coût élevé des travaux —au moins 10 000 euros par logement— et l’insuffisance de l’offre ».
L’évolution vers le “beau”
Cette offre concerne prioritairement les pièces techniques, à risques, la cuisine et la salle de bains. Or la plupart des équipements adaptées aux personnes à autonomie réduite sont typés « médicaux » : gros tubes en métal, charnières et vis apparentes, plastique blanc massif, propylène de couleurs vert, jaune et orange, roulettes proéminentes… La tendance évolue toutefois. Beaucoup s’orientent vers un « design pour tous », des solutions « multigénérationnelles », non stigmatisantes. Car « il y a une distorsion entre l’âge perçu et l’âge réel, qui ne plaide pas en faveur de l’anticipation des travaux, analyse Jean-Philippe Arnoux, directeur du marketing et achats Lapeyre, qui lance le meuble de toilette Concept’Care. Si les plus de 72 ans commencent à connaître des problèmes et essaient de trouver des solutions, les 62-72 ans, eux, ont 55 ans dans leur tête, et ils ne veulent pas entendre parler du vieillissement. On se doit d’adresser des messages au plus grand nombre et pas à une seule catégorie de seniors, pour gommer l’impression discriminatoire qu’un message trop ciblé peut avoir ».
Forts de l’adage « qui peut le plus peut le moins », ces industriels conçoivent un mobilier qui répond aux exigences ergonomiques accrues des grands aînés tout en correspondant aux usages et aux goûts esthétiques contemporains. C’est la voie qu’a suivie la Salm dès 2009, avec sa cuisine Confort : « Il ne s’agissait pas de faire une cuisine pour une population lourdement handicapée, car nous ne sommes ni des ergothérapeutes ni des médecins, clarifie Jean-Michel Durand, chef de marché Schmidt, à l’initiative du projet. Il est préférable de s’adresser aux jeunes seniors, à partir de 55 / 60 ans, parce qu’à 80 ans, il est plus urgent de refaire la salle de bains que la cuisine, qui devient moins utilisée. Une cuisine peut être confortable pour les seniors, sans être stigmatisante : c’est une question d’agencement et de détails pratiques, pas besoin de meubles spéciaux ».
Un bon sens partagé par Rémy Rivory, gérant d’AMR Concept, qui traite toutes les réalisations spécifiques destinées aux personnes à mobilité réduite pour l’enseigne Mobalpa : « Pour pallier les faiblesses de motricité des personnes âgées ou handicapées, nous faisons du sur-mesure en utilisant les meubles standard du groupe Fournier, en ajoutant des moteurs s’il le faut. L’expérience, le dialogue et le savoir-faire nous permettent d’adapter le même meuble pour une dame qui fait 1,50m et qui a un problème d’épaule, ou pour une autre qui fait 1,80m et souffre de la hanche ».
Changer les mentalités…commerciales
L’insuffisance de l’offre sur ce marché ne tient pas seulement à la rareté de produits esthétiques et adaptés : la difficulté est aussi dans leur mise en œuvre et dans la proposition commerciale, qui pourra contribuer à faire évoluer les mentalités. Comment présenter les possibilités à la clientèle, détecter les besoins, anticiper l’évolution, trouver les solutions personnalisées… La maturation du marché passe par effectivement par la sensibilisation du grand public, la démocratisation du mobilier PMR, le marketing commercial et la formation des conseillers.
Pionnier dans ce domaine, le Pôle d’Aménagement de la Maison en Alsace (PAMA) a été créé par le conseil général du Bas-Rhin pour fédérer les industries locales dans ce secteur autour de la silver économie. L’association a pour objectif d’informer et de proposer une offre globale plus facilement commercialisable auprès des collectivités publiques et privées, qui sont encore balbutiantes face à l’enjeu du « bien vieillir à domicile ». Le PAMA a édité un guide grand public pour faire connaître les innovations présentées dans sa maison témoin, et fait un travail de lobbying tant auprès des pouvoirs publics que des groupes immobiliers : « Pour favoriser la montée en compétence des entreprises et l’acquisition de connaissances ciblées sur les jeunes seniors, nous mettons en place une plateforme d’échanges Web dans l’optique de permettre aux entreprises d’avoir un retour qualitatif des internautes, dévoile Angélique Gasmi, directrice de l’organisation. Et pour nous, l’expert Frédéric Serrière va dispenser une formation et réaliser un baromètre – le premier de ce type établi en France – sur les jeunes seniors et l’habitat ».

Projet Senses Room avec literie Simmons, assises Collinet, Sdb en Corian et robinetteries Dornbracht
Un marché à forts enjeux
Sur le terrain commercial, Lapeyre va déployer des corners spécifiques dans ses magasins présentant ses offres d’accessibilité, jusqu’à la domotique, et former tous ses vendeurs (e-learning) à cette proposition spécifique. L’enseigne relaye aussi dans son guide et en magasins l’information sur toutes les aides financières dédiées à l’amélioration du logement… Comme tout marché promis à un fort développement, la maison « ergo friendly » verra affluer des prétendants plus ou moins sérieux avant de se structurer, pronostique Frédéric Serrière : « Jusqu’ici, c’était uniquement des spécialistes d’équipements pour handicapés. On va passer par une phase d’atomisation entre des plombiers, des artisans, etc. ; ensuite, il y aura une certaine standardisation pour produire des grandes séries, à des prix plus accessibles. Et en montant en gamme, on aura du sur-mesure et plus de design ». Jean Philippe Arnoux, pour sa part, optimise : « En cette période où le marché du meuble cherche des relais de croissance, une nouvelle ère s’ouvre. Il va falloir repenser le confort évolutif dans l’habitat, avec des meubles malins, transgénérationnels, accessibles à tous. C’est un défi qui nous permet de montrer notre capacité d’innovation et de contribuer aux enjeux sociétaux de demain ».