Que peut-on faire aujourd’hui pour dynamiser la fréquentation des points de vente, changer leur image, leur donner une nouvelle vie ? Directrice de la revue INfluencia, Isabelle Musnik a scruté les tendances qui se font jour dans l’une des capitales mondiales du commerce, New-York, et les a restituées dans le cadre du dernier SADECC, par le biais du SNEC. Magasin théâtre, galerie d’art, salle de concert, lieu événementiel et « instagramable », les idées qui décoiffent ne manquent pas… une invitation à être disruptif, sans oublier les fondamentaux comme le facteur humain, la qualité de l’accueil et du conseil.
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Pour les distributeurs qui s’interrogent sur les orientations à prendre pour faire évoluer leurs points de vente, et sur la manière de les transformer pour les rendre plus attractifs, les initiatives qui sont prises aujourd’hui à New-York dans le retail sont sans aucun doute une source d’inspiration de premier ordre. C’est le thème qui a été retenu dans le cadre de la conférence « Revolution Retail », donnée par Isabelle Musnik (co-fondatrice et directrice de la rédaction d’INfluencia, une revue spécialisée consommation, communication et marketing), et organisée par le Syndicat national de l’équipement de la cuisine (SNEC) dans le cadre du salon SADECC le 5 avril dernier à Paris. Pour la conférencière, New-York est d’abord cette cité désinhibée en matière de commerce, où les idées les plus folles trouvent des financeurs pour y croire, « un hub fantastique avec une concentration phénoménale d’expériences innovantes », dont on sait que les plus réussies arriveront, sous une forme ou une autre, un jour en Europe. Pour donner quelques chiffres sur le marché américain, on peut dire qu’il enregistre une croissance de 4,5 % des ventes de détail, qu’il voit naître chaque année 2000 nouvelles enseignes, mais que pour deux enseignes qui ouvrent, il y en a une qui disparaît. Ce qui n’empêche pas le secteur de traverser une période de crise, avec des fermetures massives de surfaces commerciales, consécutive à la montée du e-commerce : pour Isabelle Musnik, la question – sans concession – posée par le futur du retail n’est pas de savoir « que va-t-il se passer ? » mais plutôt « qui va rester ? ». Dans ce contexte, les initiatives prises par les distributeurs méritent d’autant plus d’être regardées de près, pour y déceler des solutions applicables sur le marché français, et des recettes de fond pour la transformation du commerce de détail. La conférencière propose de les réunir autour de trois axes : « Be cool, Be good, Be brave » (soyez décontracté, soyez bienveillant, soyez courageux).
Un magasin théâtre, voire galerie d’art
Si on se réfère au savoir-être des commerçants new-yorkais, la première bonne attitude à adopter est une certaine décontraction ou prise de distance (« be cool »), en ce sens qu’il ne faut pas être focalisé uniquement par les ventes, mais se concentrer sur son magasin pour un faire un lieu marquant, différenciant, dont le client se souvient, et qui soit source d’expérience et de convivialité. La métaphore qui s’impose est alors celle du théâtre. Pour citer Martin Urrutia Islas, responsable du global retail de Lego, « Chaque magasin doit être un théâtre. Je ne me souviendrai peut-être plus de la couleur du sol ni des rideaux, mais je me souviendrai de l’histoire. » Les initiatives pour « théâtraliser » sont légion et pleines de créativité : le distributeur de meubles Burrows propose à ses clients de s’asseoir pour voir un film, la marque de hi-fi Sonos les invite dans des loges isolées pour expérimenter la qualité du son proposé, un autre distributeur de meubles, Restauration Hardware, accueille ses clients dans un véritable palais du luxe, desservi par un ascenseur panoramique, tandis que Showfields, un distributeur de salles de bains, a fait de son show-room une succession de petits espaces intimes qui font penser qu’on est chez soi… « Tous ces points de vente new-yorkais ont un point commun, ajoute Isabelle Musnik, on nous fait rêver, on nous raconte une histoire avant de nous vendre quelque chose. » Certains vont encore plus loin, en exposant ses produits comme dans un musée (par exemple les aspirateurs et ventilateurs Dyson), voire en exposant tout simplement des œuvres d’art, comme chez l’équipementier sportif Nike ou le lunettier Gentle Monster. Mais la palme de la mise en scène revient peut-être au dernier Starbucks café, ouvert sur deux étages et plusieurs milliers de m2, avec une théâtralisation sur le thème du café : depuis l’ouverture des sacs en toile brut à la circulation des grains dans des tuyaux transparents au plafond, jusqu’au passage au percolateur, avec contrôle de la température de l’eau… le client est au spectacle, et assiste aux premières loges aux étapes de l’élaboration du produit qu’il va consommer.
Être bienveillant, cultiver sa différence
En second lieu, la conférencière invite les distributeurs à « montrer son amour » au client (« be good »), qui est passé de « roi » à « super-roi », en ayant pour lui des attentions qui justifient qu’il se déplace en magasin. On peut donc lui proposer des prestations ou activités autres que l’achat, dans le cadre d’un parcours « shop – relax- watch-play », en affichant ces possibilités au mur en guise de bienvenue. Les exemples new-yorkais sont ici encore nombreux, de la création d’un coin café à la mise à disposition d’une table avec des jeux pour les enfants, jusqu’aux espaces de test des sièges chez Restauration Hardware. Le type de produit vendu peut guider les prestations proposées : par exemple le distributeur de cosmétiques L’Occitane offre à ses clientes un diagnostic beauté et une séance de maquillage gratuits.
Enfin, face à une offre pléthorique sur la toile et dans les magasins physiques, il faut aussi s’affirmer et montrer sa différence (« be brave »), en affichant pourquoi pas des valeurs, un mode de vie, une attitude. On voit ainsi outre-Atlantique des formules fleurir sur les murs des commerces, pour rechercher l’adhésion des clients. Des exemples ? « Work it, don’t fake it » (Faites des efforts, ne faites pas semblant) affiche l’enseigne de mise en forme Face Gym, « I am what I make up » (Je suis mon maquillage) indique l’enseigne Cover Girl, ou encore « Our coffee empowers girls in Ethiopia » (notre café rend les filles plus fortes en Ethiopie) pour l’enseigne Inependant Coffee. La palme de l’engagement revient sans doute dans ce registre à The Fluid Project, un magasin de mode délibérément « non genre », qui vend des produits à la fois pour filles et garçons, en réponse à un débat de société actuel.
Nouvelles expériences et partenariats
Le point de vente de demain se cherche aussi du côté d’expériences nouvelles proposées au client. On peut dans ce sens citer l’exemple du distributeur de salles de bains Kohler, qui propose d’expérimenter ses produits, en prenant tout simplement une douche dans le magasin, sur rendez-vous. Autre exemple dans l’habitat, le fabricant de matelas roulés Casper, un produit vendu sur Internet donc impossible à tester, a ouvert une surface commerciale à New-York où il propose une sieste de 1 h sur ses produits… vendue 25 dollars ! Autre tendance à relever, les très nombreux partenariats sur le plan du merchandising, car proposer les produits d’une autre marque – avec une logique complémentaire – dans son magasin en renforce l’attractivité. Ainsi par exemple Starbuck a passé un accord de distribution avec une enseigne de boulangerie, pour offrir une pose restauration complète à ses clients.
D’autres pistes encore existent. On voit ainsi une « événementialisation » de certains points de vente, à l’image de ce que fait la marque de lunettes Ray Ban. Son show-room New-Yorkais est équipé d’une scène et d’assises pour pouvoir inviter à y jouer des orchestres de rock. Une idée cohérente, car cette marque se nourrit de la culture rock, et même si on ne vend pas beaucoup de lunettes dans ce lieu, cette initiative rejaillit sur toute l’image de la marque et génère des ventes partout ailleurs. Autre dimension montante du point de vente, il faut aussi penser à son « instagramabilité », autrement dit lui donner une architecture d’intérieur de caractère, pour inciter les clients à en publier des photos sur le fameux réseau social, et ainsi démultiplier sa visibilité, et s’offrir une campagne de publicité gratuite. Le client d’aujourd’hui doit aussi se sentir à l’aise dans le point de vente, toujours le bienvenu, les apparences ne doivent plus compter ni être une barrière pour qui que ce soit. Pour répondre à la fameuse formule «Venez comme vous êtes », on peut par exemple casser les codes qui sont liés dans l’inconscient aux différents types de commerce. Ainsi, une banque allemande a complètement changé son image avec des informations manuscrites sur ses baies vitrées, et en recevant ses clients dans des espaces décontractés qui reprennent les codes de l’habitat.
Enfin, Isabelle Musnik insiste en conclusion sur le volet humain du point de vente, et la nécessité de miser sur les vendeurs, leur formation, leur expertise et leur savoir-être. « Aux USA, « les experts » – et non les vendeurs – jouent trois fonctions clés complémentaires au digital : « ils vendent (on et off line), ils aident et conseillent (en remontant les données clés aux marques), et ils font vivre les valeurs. » Grâce aux nouvelles technologies, ce visage humain du magasin est aussi pourvoyeur de nouveaux services, un vendeur pouvant par exemple être en liaison radio avec un expert pour répondre au client en temps réel, ou avec le service logistique pour localiser un produit et confirmer sa disponibilité en stock. Pour lutter contre le e-commerce, le retail doit donc aujourd’hui faire preuve d’imagination et de pertinence, en répondant à l’impératif du « less but better ». Autrement dit, séduire le client en lui proposant de la surprise, et surtout moins de choses, mais les choses les plus intéressantes, et les plus aptes à le satisfaire.