Une fois n’est pas coutume, nous publions ici un dossier thématique… indépendant de l’actualité du moment ! Parmi les thèmes récurrents de son cycle de conférences, Maison & Objet de janvier dernier a fait un focus sur l’état d’esprit et attentes de la nouvelle génération de consommateurs, les fameux Millenials. Que pensent-ils ? Que veulent-ils ? Quelles sont leurs valeurs ? Voici des éléments de réponse, à prendre en compte dès maintenant dans sa stratégie de marque et de distribution, car leur influence est grandissante, et ils représenteront bientôt le profil dominant des consommateurs.
En choisissant comme fil rouge « (Re)Génération », l’édition de janvier 2020 de Maison & Objet a délibérément choisi de fêter son 25e anniversaire, non pas dans la rétrospective tournée vers le passé, mais dans la prospective tournée vers l’avenir. Cette thématique a été très présente notamment dans le cycle de conférences qui a été donné au Retail Lab pendant les cinq jours du salon (1). « Avec le thème de (Re)génération, notre idée est de montrer comment les nouvelles générations montantes vont influencer, et créer des nouveaux codes dans la consommation, la communication, la distribution, la création… avec l’idée que ces Millenials vont bousculer les habitudes établies, et qu’il va falloir s’adapter à leur état d’esprit », a prévenu Vincent Grégoire, tendanceur à l’agence Nelly Rody, qui est partenaire de longue date du salon. Il est vrai que le contexte actuel, qu’il a qualifié d’« inflammable », est propice au changement, voire aux bouleversements, en raison de nombreux facteurs de déséquilibre : la question climatique, celle des ressources et espaces naturels en péril, de la biodiversité sont autant de facteurs d’inquiétude, qui pèsent sur le devenir de la consommation, et vont obliger les marques et la distribution à se réformer. Mais ils ne sont pas les seuls : la période actuelle génère aussi des questions sur l’avenir des métiers, avec la montée de l’ubérisation et de l’intelligence artificielle, et sur la sécurité sanitaire, en regard de tout ce qui touche à l’alimentation, et de façon encore plus prégnante de l’apparition de nouveaux phénomènes de contagion virale.

Dans son intervention, Vincent Grégoire, de l’agence Nelly Rodi, a fait le portrait d’une génération Y – nés entre 1979 et 1995 et d’une génération Z – nés entre 1996 et 2010 – avant tout « engagées ».
Une génération engagée
Dans son intervention du vendredi 17 janvier, Vincent Grégoire a fait le portrait d’une génération Y – nés entre 1979 et 1995 et d’une génération Z – nés entre 1996 et 2010 – avant tout « engagées ». Ces consommateurs déjà effectifs ou en devenir ont pour point commun d’avoir toujours connu la « crise », sous une forme ou un autre – économique, des valeurs, environnementale… – et d’être des « digital natives », autrement dit d’avoir toujours vécu avec les outils digitaux, les réseaux sociaux, et leur horizontalité, c’est-à-dire leur faculté à connecter tout le monde en direct. En faveur de quoi sont-ils engagés ? Indiscutablement, le plus important est tout ce qui tourne autour de la « naturalité », de la défense de l’environnement, de la survie de la planète… Voilà qui explique l’engouement pour le végétal, on veut avoir son espace vert ou sa plante, planter son arbre, voire faire un retour à la terre… Dans ce contexte, la biodiversité occupe une grande place, amplifiée par le désastre écologique des incendies qui ont détruit des millions d’animaux en Australie, on cherche des alternatives pour la préserver, des véganes dans l’assiette au cuir végétal développé pour revêtir les canapés. Cet engagement se traduit aussi par l’essor de l’upcycling, voire la récupération : le conférencier cite l’exemple des organisations qui récupèrent les filets de pêche à la dérive pour en faire des textiles pour l’habillement ou la literie.

Pour Yannick Franc, consultant associé au cabinet d’études de marketing Deloitte, il ne fait pas de doute que le changement va arriver dans le retail sous l’impulsion des Millenials.
Miser sur l’inclusivité et le local
Mais les Millenials sont tout autant engagés dans des valeurs éthiques, au premier rang desquelles l’inclusivité. Ce qu’ils ont en horreur : l’appropriation culturelle, et l’ethnocentrisme, autrement dit le réflexe qui consiste à penser que nous avons les meilleurs savoir-faire et les meilleures solutions ! Le monde entier à leurs yeux est intéressant, et ils défendent l’inclusivité, c’est-à-dire la lutte contre toute forme de discrimination, ce qui est un message très fort pour les marques : elles ne doivent exclure personne, sur des critères d’origine, de sexe, d’orientation sexuelle ou de croyance… sous peine d’être disqualifiées. Parmi les autres caractéristiques des nouvelles générations, le tendanceur dégage aussi un rapport à la propriété en pleine évolution : ils veulent de moins en moins posséder les choses, ce qui implique des servitudes, mais plutôt en avoir le meilleur usage possible sous forme de location, de partage et de troc… C’est en réponse à cette tendance, par exemple, que Ligne Roset a récemment lancé une formule innovante de LOA.

Tout en ayant le monde à leur portée sur leur écran, ces consommateurs en devenir ne jurent pourtant que par le « local », la proximité, ce qui donne un regain d’intérêt pour le terroir et le patrimoine. Dans le même ordre d’idées, les voyages lointains en avion, générateurs de gaz à effet de serre, devraient reculer au profit de déplacements plus proches et moins polluants. Ils sont aussi de plus en plus demandeurs de traçabilité, veulent connaître l’origine des produits qu’ils achètent, s’ils sont ou non issus du commerce équitable… ce qui est une excellente nouvelle pour les fabricants qui se réclament du « made in France », mais implique aussi d’être transparent, de ne pas chercher à leur cacher quelque chose ni à les tromper… D’autant que les sources d’information se multiplient ! Enfin, l’intervenant constate aussi un retour du produit en kit, à monter soi-même pour un vélo par exemple, ou encore mieux à finir soi-même par exemple pour un meuble, ce qui permet de le personnaliser, et dans tous les cas renforce l’idée d’être acteur de la consommation. Vincent Grégoire a conclu en indiquant que les Millenials sont « malins », et qu’ils associent à toutes ces exigences la quête d’un prix juste, ce qui rend l’équation de plus en plus subtile à résoudre pour les acteurs de la distribution.
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Pour le retail, des challenges à relever
Pour Yannick Franc, consultant associé au cabinet d’études de marketing Deloitte, qui est intervenu au Retail Lab le lundi 20 janvier, il ne fait pas de doute que le changement va arriver dans le retail sous l’impulsion des Millenials. Son discours présente l’intérêt à la fois de corroborer les tendances dégagées plus haut, et d’en déduire des conséquences concrètes dans l’activité de la distribution. S’il admet que les nouvelles générations sont bien des « digital natives », il affirme en revanche qu’ils ne sont pas des « digital only », autrement dit l’écran n’est pas pour eux l’alfa et l’oméga de tout. En effet, 85 % des Millenials affirment qu’ils consultent d’abord leur écran de mobile avant de faire un achat, mais ils ne sont que 8 % à faire plus de 50 % de leurs achats via leur mobile. Conséquence : s’ils consultent en premier leur mobile, la grande majorité des achats continue de se faire en magasin, ce qui signifie qu’ils veulent avant tout une offre omnicanale. Le consultant confirme aussi, chiffres à l’appui, l’importance pour les générations Y et Z, de l’éthique attachée aux marques, car il s’agit pour elles du premier facteur pouvant entraîner un basculement de perception : 37 % d’entre eux affirment qu’un écart éthique peut interrompre leur relation avec une marque tandis qu’a contrario, pour 36 % d’entre eux, une attitude exemplaire peut les amener à démarrer ou renforcer une relation avec une marque. Dans le même ordre d’idées, 42 % des Millenials veulent renforcer leur relation avec les marques ayant un impact positif sur la société, tandis que 38 % veulent s’éloigner ou interrompre leur relation avec celles qui auraient un impact négatif. Le moindre écart de conduite – discrimination à l’embauche, dégâts sur l’environnement, sécurité au travail… – peut donc se payer « cash », et il y a là une véritable réflexion à mener par les marques et enseignes. Autre tendance à laquelle doivent répondre les acteurs du marché : la présence sur les réseaux sociaux. Les jeunes générations sont en effet demandeuses de partage sur les réseaux sociaux préférés – Instagram, What’s up, etc… – et il faut absolument mettre à profit cette « instagramabilité » qui est pour eux un marqueur fort des marques qui sont dans leur époque. 78 % d’entre eux, en effet, préfèrent dépenser leur argent pour des événements / expériences plutôt que pour des achats.
La bonne nouvelle, selon Yannick Franc, est que ces nouveaux défis s’accompagnent aussi d’opportunités. Les Millenials ont des exigences, il faut répondre à leurs attentes par une promesse omnicanale tenue, mais ils laissent aussi derrière eux un véritable trésor : les datas. « A condition de leur expliquer comment on les utilise, pour mieux répondre à leurs besoins, ou pour leur faciliter la vie, ils sont tout à fait d’accord pour fournir les données correspondant à leur expérience client, argumente le consultant. Il y a là une opportunité à entrer en contact avec eux, pour leur proposer des messages ciblés et personnalisés qui ont des chances de faire mouche. »

Faire évoluer sa proposition de valeur
Quoi qu’il en soit, les jeunes générations se comportent, raisonnent, achètent différemment, ce qui n’est pas un effet de mode ou effet d’âge, mais une mutation profonde des comportements. Pour y répondre, l’intervenant estime qu’il faut tout bonnement faire « évoluer sa proposition de valeur », qui inclut l’identité de la marque, l’offre produits et services, l’animation commerciale, la stratégie de prix, la communication… « Il faut arrêter de penser produit + magasin, un modèle d’un autre temps, et se poser les bonnes questions : de quoi a besoin mon client ? De quoi dispose-t-il à proximité ? Comment puis-je résoudre ses problèmes et améliorer sa vie quotidienne ? », insiste-t-il. Ce qui a des conséquences à tous les niveaux : l’offre produits doit répondre aux attentes des Millenials, en termes de qualité, authenticité, santé, éthique, respects de l’environnement, tandis que l’offre de services doit être personnalisée, et cohérente avec les modes de consommation collaboratifs et durables. On peut citer l’exemple de la marque Patagonia, qui propose des conseils d’entretien et une réparation gratuite de ses produits – vêtements et équipement pour aller dans la nature – qui montre que la marque se préoccupe de ses clients. Sur la stratégie de prix, il faut au-delà d’un bon rapport qualité/prix, rechercher de la transparence : certains distributeurs textiles commencent à afficher au dos de l’étiquette une décomposition du prix entre le fabricant, le transport, les charges liés au point de vente, et la marge du distributeur… ce que fait par exemple la Camif sur son site Internet. Il faut enfin enrichir la relation client, par « l’instagramabilité » de ses initiatives, mais aussi en affichant ses objectifs environnementaux, et développer l’expérience client en leur proposant un parcours sans couture, à l’image de ce qu’a réussi Amazon, mais aussi une approche renouvelée du magasin, comme l’a très bien réussi Teddy Bear en présentant ses matelas sous un mode ludique. Le consultant a conclu son intervention en donnant trois facteurs clés de succès, soumis à une « vision client » : « prendre de la hauteur » pour donner du sens à ses produits et services, « gagner en agilité » en étant attentifs aux signaux faibles pour pouvoir anticiper, et «innover » sans avoir peur d’étendre sa cible. Le temps est effectivement venu de se renouveler et de faire preuve d’imagination.
(1) Les conférences du Retail Lab et les Talks sont en libre accès sur le site du salon.
[François Salanne]
[Zoom]
Millenials : de qui parle-t-on ?
La génération Y : nés entre 1979 et 1995
La génération Z : nés entre 1996 et 2006
Tranche d’âge : 15 à 40 ans
16,5 millions d’individus (1/4 de la population française)
1/3 de la population mondiale
75 % de la population mondiale en 2030