A l’occasion de la conférence intergouvernementale sur le climat (COP21), le Courrier a souhaité faire le point sur les initiatives des professionnels de l’ameublement en matière environnementale…
Ainsi, au détour de nos premières investigations sur les très importants efforts consentis par les fabricants et distributeurs de meubles français, via les éco-organismes agréés par le Ministère de l’Environnement au titre de « l’éco-filière meubles », une information, aussi surprenante que déroutante, nous a été communiquée… L’un des principaux fabricants français de literie et canapés, par ailleurs administrateur d’Eco-Mobilier depuis la création de cette société fin 2012, n’aurait pas reversé à cet organisme plusieurs millions d’euros d’éco-contributions, après les avoir préalablement facturés et donc collectés auprès de ses clients distributeurs !
Un cas « faisant l’objet de procédures en cours »
Interrogé sur la véracité de cette information, notre contact au Ministère de l’Environnement nous l’a certifiée dès le 29 octobre dernier : « Je vous confirme que les éco-organismes sont bien contrôlés par l’État, conformément à l’article L541-10 du code de l’environnement. Ce même article confère aussi à l’État la prise de sanctions administratives à l’égard des non contributeurs. Notre action sur ce sujet a déjà conduit plus de 300 metteurs sur le marché à rejoindre un éco-organisme pour assurer leurs obligations. Nous avons, pour certains, été jusqu’à leur imposer une amende administrative (35 non-contributeurs).
Sachez que cette démarche concerne toutes les filières à responsabilité élargie des producteurs, y compris celle des déchets d’éléments d’ameublement et en conséquence, le cas que vous citez fait bien l’objet de procédures en cours. » Egalement interrogée par mail, à deux reprises, sur les multiples conséquences de ce que certains pourraient assimiler à un vaste détournement de fonds, la directrice générale d’Eco-Mobilier, Dominique Mignon, n’a, dans un premier temps, pas souhaité répondre, puis a finalement rédigé un démenti catégorique… également erroné et maladroit. Deux administrateurs de cet organisme nous avaient cependant, eux-aussi, confirmé l’information, en même temps que leur inquiétude quant à leur éventuelle responsabilité en tant qu’administrateurs. A les entendre, ils auraient en effet été avertis très tard – toute fin 2014, début 2015 – de l’existence des créances d’Eco-Mobilier sur les sociétés d’un de ses administrateurs, alors que les impayés se cumulaient forcément déjà depuis plusieurs trimestres, de la part d’un fabricant pourtant assujetti à des obligations trimestrielles de déclaration des mises sur le marché et de paiement, au même rythme, des éco-contributions…
Egalement interrogé par mail, l’ancien Président d’Eco-Mobilier, entre temps devenu Directeur Général du groupe Cauval, n’a pas répondu. L’examen des comptes sociaux publiés par Eco-Mobilier en 2013 puis 2014 pourrait, de son côté, laisser supposer la disparition de telles créances douteuses. Alors que des « provisions pour créances douteuses » y étaient, en effet, publiquement mentionnées à hauteur de 2 245 644 euros en 2013, plus aucune n’est évoquée dans l’édition 2014 du même document… Tel ne semble cependant ne pas être le cas puisque, sur la même période, les annexes des rapports du Commissaire aux comptes d’Eco-Mobilier sur les comptes 2013 puis 2014 précisent que « les créances clients sont de trois types, et ont été provisionnées à 100 % de leur montant HT :
- Les créances ayant fait l’objet d’une déclaration ;
- Les créances impayées ayant fait l’objet de relances puis de poursuites judiciaires infructueuses ;
- Les créances impayées mais « faisant l’objet de négociations en cours. »
Nous avons pu constater un réel embarras ! S’agissant d’éco-contributions dont les montants unitaires et l’assiette de recouvrement sont précisément et réglementairement définis depuis début 2013, on peut légitimement s’interroger sur la nature de telles « négociations », sauf à ce que ces dernières aient porté sur un échéancier de paiement. Mais si tel était alors le cas, pourquoi toutes les avoir provisionnées à 100 % ? Tout espoir de recouvrement était-il par avance vain ?
De multiples interrogations
Cette regrettable situation appelle de nombreuses questions. Quelles sont les capacités juridiques des éco-organismes et des pouvoirs publics à recouvrer des éco-contributions impayées mais par ailleurs déjà collectées ? Les distributeurs ayant déjà acquitté des éco-contributions facturées par un fournisseur qui ne les a pas reversées seront-ils obligés de régler une seconde fois ces éco-contributions ? Les soutiens financiers apportés par un éco-organisme à un metteur sur le marché, au titre d’une unité de recyclage qu’il exploite, demeurent-ils dus lorsque ce même metteur sur le marché ne règle pas ses éco-contributions en tant que fabricant ? Certains fabricants, connaissant eux aussi des difficultés, avouent être tentés de profiter de cette jurisprudence. Cet épisode est d’autant plus regrettable que les débuts de l’éco-filière meubles sont des plus prometteurs : depuis mi 2013, le taux de recyclage des déchets d’ameublement est ainsi passé de 23 % à 48 %… 624 000 tonnes de déchets d’ameublement ont été collectées et traitées, plusieurs unités de recyclage de literie ont été créées ; 1 700 points de collecte ont été équipés d’une benne dédiée aux meubles ; 42 millions de Français peuvent désormais trier leurs déchets d’ameublement et favoriser leur recyclage. Tout cela est financé par 5 970 fabricants et distributeurs de meubles, à hauteur de 200 millions d’euros depuis mi-2013. La crédibilité des éco-filières dépend désormais des décisions que Bercy est amené à prendre dans ce dossier.
Thibault Leclerc, directeur de la publication
et rédacteur en chef du Courrier du Meuble.