Les fournisseurs spécialisés dans les ferrures font un bilan mitigé de l’année 2018, marqué par un recul global du marché du meuble, à l’exception de la cuisine, qui continue de rester en positif. Cela ne les empêche pas d’être en croissance, ou de gagner des parts de marché, tout en élaborant des stratégies basées sur l’innovation, le service ou encore la diversification pour continuer à se développer.
A l’image des chiffres publiés début février par l’Institut de Prospective et d’Études de l’Ameublement (IPEA), qui indiquent les performances réalisées par chaque secteur industriel qui le composent, l’année 2018 a été tout aussi contrastée pour les équipementiers de la ferrure d’ameublement, dont certains n’hésitent pas à qualifier cette année de « compliquée ». En effet, les statistiques publiées font ressortir un seul marché gagnant, celui de la cuisine, le seul à enregistrer un solde positif (+1,1 %, et même +3,2 % pour les spécialistes cuisine), ce qui en fait une exception dans le paysage de l’ameublement, même si elle est en ralentissement par rapport à 2017. Les fournisseurs très présents dans la cuisine bénéficient donc mécaniquement de cette dynamique qui reste positive. Dans les autres secteurs, on assiste à un recul du marché, par exemple de – 3,9 % pour le meuble de salle de bains, et même de – 5,2 % pour le meuble meublant, qui enregistre le plus mauvais score, ce qui donne globalement une chute de -2,7 % de l’ensemble du marché, et marque la fin du cycle de croissance de ces dernières années. « En particulier dans le meublant, mais aussi dans la cuisine où les importations dominent très largement les exportations, il est clair que nos clients souffrent d’un marché difficile, déclare Jean-Luc Fuchs, gérant de Hettich France. Dans la salle de bains, le marché pâtit du report de nombreux projets en construction neuve, tandis que le bureau subit les nombreux reports de projets dans le tertiaire. » Christophe Chenu, gérant de Blum France, confirme la perte de valeur dans certains secteurs : « Le meublant est un produit avant tout fonctionnel, qui s’achète de plus en plus sur Internet, au détriment des circuits de distribution physiques, ce qui accroît la concurrence pour les fabricants français. Dans la salle de bains, l’essentiel du budget d’achat est consacré aux produits en céramique, ce qui fait que le meuble bénéficie peu des investissements du client final. » Absent des statistiques de l’IPEA, l’agencement est un secteur qui continue de se développer, et affiche des exigences qualitatives et esthétiques, ce qui donne de bonnes perspectives aux fournisseurs de ferrures.
La cuisine, un territoire à valeur ajoutée
Dans ce contexte, les fournisseurs réalisent cependant de belles performances, à commencer par la cuisine, grâce notamment à la vente de produits récents, souvent innovants, et porteurs de valeur ajoutée qui expliquent les bons résultats obtenus. « Nous faisons un très bon chiffre dans la cuisine, qui entre pour beaucoup dans la croissance globale de 5,7 % de Hettich France en 2018, déclare Jean-Luc Fuchs. Il s’agit d’une pièce où les clients finaux continuent d’investir, de plus en plus communicante avec le living, une pièce où on reçoit, qu’on aime montrer. » Ce segment de marché est ainsi caractérisé par une augmentation de la valeur ajoutée des composants. Hettich souligne par exemple l’essor de ses ventes de tiroirs de nouvelle génération, comme le modèle Innotech, aux côtés très fins, et les charnières Sensys, avec amortisseur intégré dans le bras pur une meilleure efficacité. Autre gros succès pour la marque, le système coulissant pliant Wing Line, pour l’ouverture des portes de placard sans poignées jusqu’à 2,40 m, associé à un amortisseur mécanique push to open. De même, Salice est en progression notamment grâce au lancement de sa charnière de nouvelle génération, la Silencia +, qui remplace peu à peu la charnière Silencia. Ce nouveau produit apporte un progrès dans la qualité d’amortissement des portes, grâce à deux amortisseurs hydrauliques qui permettent d’obtenir une force de freinage constante, et un dispositif de réglage pour pouvoir adapter la course de la porte, quels que soient son épaisseur et son poids. « Ce sont nos produits innovants qui nous permettent de gagner des parts de marché, en apportant à nos clients de la différenciation, explique Eric Tiberghien, directeur commercial de Salice France. En cuisine, c’est le cas par exemple de Pacta, notre nouvelle charnière pour porte abattante, de Exedra, une nouvelle proposition pour la porte escamotable, et plus encore de la charnière invisible Air, qui disparaît complètement dans l’épaisseur du caisson. Elle intéresse de plus en plus nos clients situés sur le moyen et haut de gamme, qui sont équipés d’une fabrication numérique pour pouvoir intégrer ce produit plus complexe à mettre en œuvre, mais porteur d’un plus sur le plan du design. »
Très présent dans la cuisine, Blum a profité en 2018 de la bonne forme de ce secteur, par rapport aux autres, mais ses chiffres ne seront connus qu’à la fin de l’exercice 2018/2019 au mois de juin. « Nous ferons au final une bonne année, grâce surtout à la cuisine qui reste dynamique, même si les performances des spécialistes cuisine ont été grevés au dernier trimestre par les nombreuses manifestations des « gilets jaunes », qui ont fortement perturbé les accès aux centres-villes les samedis, le jour le plus actif de la semaine », ajoute Christophe Chenu. L’équipementier autrichien bénéficie aussi d’un gain de valeur ajoutée, grâce à la diffusion de plus en plus large de produits comme le tiroir Legrabox, au design très épuré et aux finitions contemporaines, ou encore la charnière clip top Blumotion, un produit performant pour un prix acceptable sur un marché qui reste tendu.
Une prime au produit juste
Pour Häfele France, 2018 est une bonne année, puisque le fournisseur annonce près de 10 % de croissance globale pour ses trois activités en ferrures d’ameublement, ferrures de bâtiment et contrôle d’accès. « Cette croissance est le fruit d’une stratégie de ciblage de nos clients, et de repositionnement de nos produits, se félicite Chérif Lehlour, directeur général de Häfele France. Elle s’accompagne, depuis environ cinq ans, d’un rétablissement de notre profitabilité, tout en respectant la marge de nos clients. » Distributeur « universel » avec l’offre la plus large du marché, réunie dans son Grand Häfele, le fournisseur allemand mise sur son identité d’industriel, en mettant en avant les produits qu’il fabrique à sa marque, comme les relevants de la famille Free, et les ferrures pour portes coulissantes de la gamme Slido, destinés notamment à la cuisine. Il mise aussi sur l’innovation produits, comme le montrent ses nouvelles ferrures d’assemblage comme Ixconnect SC 8/25 et SC 8/60, qui permettent l’assemblage de tiroirs ou de caissons en une seul pièce et sans effort, ou encore la gamme de pieds de meubles à réglage par pince Axilo. De son côté, Grass France se montre satisfait de son exercice 2018, marqué par un bon dynamisme dans l’industrie – cuisine, dressing, placards – qui lui a permis de gagner des parts de marché, et par une relance de sa distribution, via des distributeurs locaux, et des partenariats comme celui mis en place avec le fournisseur de panneaux et bandes de chants Ostermann. De nouvelles ambitions qui se traduisent dans le tiroir Nova Pro Scala, un produit à la fois double paroi et affichant un design très fin et une esthétique inox, qui en font un tiroir polyvalent pour la cuisine, le dressing et le meublant.
La stratégie de la diversification produits
Sur un marché atone, la croissance peut aussi venir du lancement de nouvelles familles de produits, dans une stratégie de diversification produits qui est celle de Salice, avec par exemple la gamme Eccessories – Night Collection, qui comme son nom l’indique est un ensemble d’accessoires destinés à l’équipement du dressing, du compartimentage des tiroirs pour y ranger cravates et montres, jusqu’aux boîtes, housses de vêtements, cintres et tablettes éclairées, en utilisant métal, bois, cuir et tissus, qui font du dressing un nouvel univers à inventer. Autre exemple, Pin est un système d’aménagement ultra-flexible pour utiliser les surfaces murales disponibles pour y ranger bouteilles de vin (Pin Wine), couteaux de cuisine (Pin Knife) ou encore y installer des étagères (Pin Shelf), au moyen de profilés en aluminium ou titane, qui peuvent être au choix fixés en applique, ou insérés dans des panneaux de bois, avec la possibilité de déplacer verticalement les profilés, et de les fixer grâce à un ingénieux système qui garantit leur stabilité.
Autre exemple de diversification, Häfele s’est fortement développé grâce à sa nouvelle gamme d’éclairages LEDs à intégrer dans les meubles, Loox. « Cette famille de produits, pour laquelle nous sommes partis de zéro il y cinq ans, enregistre une croissance de 20 % de ses ventes chaque année en France, et représente un volume très important au niveau du groupe, commente Chérif Lehlour. Nous avons également développé des applications qui permettent de les piloter et de les programmer avec son smartphone, qui intéressent de plus en plus nos clients. » L’équipementier allemand doit aussi cette bonne année 2018 au développement de sa gamme de solutions pour le contrôle d’accès Dialock, utilisée notamment dans le retail de luxe, par exemple pour protéger les présentoirs en horlogerie et joaillerie.
Services et outils d’aide au montage
Pour stimuler leurs ventes, et fidéliser leurs clients, les fournisseurs mettent tout autant l’accent sur leurs services que sur leurs produits. Häfele par exemple, propose un ensemble de services personnalisés pour les industriels et agenceurs comme les bandes de LEDs Loox coupées à dimension, intégrées dans un profil aluminium sur mesure, ou plus généralement un service logistique sur son site allemand de Nagold, qui se traduit par des kits de quincailleries en réponse aux besoins de chaque client, industriel ou distributeur, même pour des quantités limitées. « Il est important d’être à l’écoute de nos clients, pour leur simplifier la vie, et notamment l’intégration de nos ferrures dans leurs meubles et agencements, ajoute Eric Tiberghien (Salice). Pour simplifier la mise en œuvre de la charnière Air, nous leur fournissons le cadre alu pour la porte, ce qui représente déjà une bonne partie du travail. »
Le temps est aussi au développement de logiciels qui facilitent la conception des meubles, à l’image de Hettich Plan. « Aujourd’hui, le client final vient chez le cuisiniste avec ses cotes, et veut repartir avec son projet d’implantation et son devis, commente Jean-Luc Fuchs. Notre outil, qui peut être connecté avec les logiciels de conception 3D, permet d’intégrer toutes les ferrures aux meubles, en réduisant les erreurs dans la sélection des produits, et en générant les documents de production, ce qui permet au final un gain de temps et de qualité. » Blum développe aussi ses outils de conception, avec la nouvelle génération du logiciel Dyna Plan, qui peut dialoguer avec un logiciel de conception en 3D, et avec les machines en production. « En cas de modification, ce type d’outil recalcule tout le paramétrage du projet, ce qui génère un gain de temps énorme et sans risque d’erreur de saisie, ajoute Christophe Chenu. Blum a fait le choix de les mettre à disposition de ses clients gratuitement. » Le fournisseur est aussi un pionnier dans l’utilisation de la réalité augmentée, avec l’application Easy Assembly, qui permet de mettre en œuvre sans erreur les ferrures complexes à régler, comme les relevants Aventos, même dans les zones situées hors réseau, une application qui en est aujourd’hui à 2500 téléchargements en France.
Un intérêt pour les projets et le bâtiment
Enfin, les équipementiers de la ferrure montrent un intérêt croissant pour les marchés des projets – hôtellerie, retail, coworking, bureau – qui représentent un axe de développement alternatif, en plus de l’industrie et de la distribution, qui passe par la prescription, les donneurs d’ordres et investisseurs, et se traduit par les agenceurs, une activité diffuse difficile à évaluer, mais dont tous s’accordent à dire qu’elle est un gisement de chiffre d’affaires. « L’agencement est un secteur dynamique, avec un fort potentiel de développement, et qui peine à recruter par manque de main d’œuvre qualifiée, commente Christophe Chenu (Blum). Nous y avons de réelles ambitions de développement. » Pour Hettich également, il s’agit d’un secteur très prometteur, parce qu’il repose sur une demande sur mesure, que la VPC ne peut pas satisfaire : « Notre activité augmente dans l’agencement, parce qu’il s’agit d’un secteur difficile à délocaliser, où nous pouvons apporter une vraie valeur ajoutée, par exemple avec des tiroirs complets », ajoute Jean-Luc Fuchs.
Secteur économique de premier plan, le bâtiment offre aussi de belles perspectives, par exemple pour Salice, qui réalise des ventes importantes d’ouvrants pour l’accès aux locaux techniques ou trappes d’accès. Häfele y est aussi de plus en plus présent, avec les serrures Dialock et notamment le modèle DT 700 qui permet de gérer avec son smartphone toute une prestation d’hôtellerie, de la réservation de la chambre à l’ouverture de la porte, jusqu’au paiement le tout sans passer par la réception. « Après deux années de développement et de travail du marché, les premiers hôtels équipés de ce système ouvrent en France, certains comptant jusqu’à 200 chambres », commente Chérif Lehlour (Häfele). Le fournisseur édite par ailleurs un catalogue dédié à toute son offre hôtellerie à l’attention des décideurs de ce secteur
Selon un avis largement partagé, le secteur de la cuisine devrait logiquement repartir de l’avant en ce début 2019, et rattraper les projets qui été mis entre parenthèses en raison du climat social des dernières semaines de l’année passée. La relance des autres secteurs, notamment le meublant et la salle de bain, dépendra d’un ensemble de facteurs, comme la santé du bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, et le regain ou non de croissance économique. En attendant, les fournisseurs seront prêts à répondre aux nouveaux défis du marché, avec de nombreuses innovations en termes de produits, applications numériques et aides à la mise en œuvre, qui seront dévoilés sur Interzum à Cologne en mai.