Venu des US, le concept de matelas compacté dans un carton et vendu sur internet a rapidement eu une multitude de copycats en Europe. En à peine un an, une douzaine de sites ont éclos en France avec des propositions similaires. A peine né, ce marché semble déjà encombré.

La literie attise décidément toutes les convoitises. Depuis un an, les distributeurs traditionnels doivent désormais composer avec de nouveaux concurrents : d’un côté, les enseignes d’électrodomestique et de l’autre, une multitude de pure players spécialisés dans le « bed in a box ». Après un développement fulgurant aux US ces 2 dernières années, ce concept de matelas universel acheté sur Internet déferle en Europe et en France.
La vente directe de matelas online existait déjà en dans l’Hexagone, Matelsom (CAMIF) ayant ouvert la voie il y a 18 ans. Les nouveaux acteurs n’ont donc plus à convaincre les Français d’acheter un lit sur Internet. Ce qui semble changer, c’est l’état d’esprit des consommateurs, notamment des jeunes générations, vis-à-vis des toutes puissantes marques françaises, comme le note Felix Baer, fondateur de Bruno Matelas : « 80 % de nos clients ne connaissaient pas la marque de leur matelas avant d’acheter un Bruno. Nous constatons que le consommateur est davantage attaché à son confort et à la qualité de son sommeil qu’à une marque en particulier .» Et la fraîcheur des formules « all in one » tient dans leur simplicité, une attente majeure des consommateurs.

La simplicité avant tout
Dans le sillage des mouvements de consommation alternatifs, le « do good » business est en effet l’un des facteurs du succès de ce mode de commerce. Aux US, ce sont des moins de 30 ans issus des univers de l’informatique, du marketing et de l’e-commerce qui en sont les promoteurs. Saatva, Tuft & Needle, Casper, Leesa Sleep… Tous s’inscrivent dans l’air du temps, défendant une relation «honnête» avec les consommateurs, mais aussi avec leurs fournisseurs, leur préférence allant aux partenaires compatriotes voire locaux.
Techniquement, leurs produits se ressemblent : les matelas associent la mousse à mémoire, le polyuréthane et le latex. Point de ressort, car l’autre point fort du concept repose sur sa logistique allégée et rapide : les matelas sont compactés sous vide, enroulés et empaquetés dans des cartons de 30 à 45 cm de côté sur 95 à 180 de haut… ce qui rend possible la livraison en 24 h, voire en 1 h 30 par coursier dans les grandes villes. Ainsi, l’expansion des sociétés est rapide. Casper, par exemple, a misé sur l’export en préparant méthodiquement son entrée sur chaque marché par des études sur les logements, les habitudes de sommeil, le budget consacré, etc. Après l’Allemagne et le Royaume Uni, l’Américain annonce son arrivée en France au premier trimestre 2017 : « Nous avons un plan ambitieux pour 2017 concernant notre expansion en Europe, à commencer par la France », explique Carolina Annand, directrice RP Europe.

Un modèle économique rentable à long terme ?
Mais les copycats européens n’ont pas attendu l’arrivée des pionniers d’outre-Atlantique pour se lancer sur ce marché. Tediber, Ilobed, EveSleep, Le Matelas Français… depuis le début de l’année 2016, les sites se multiplient dans l’Hexagone, proposant tous peu ou prou le même concept : un seul intermédiaire entre le fabricant et le consommateur, un modèle unique de matelas à base de mousse de polyuréthane, décliné dans plusieurs tailles, des prix fixes, pas de promotion, la livraison incluse, en 24 à 48 h dans un carton compact, jusqu’à 100 jours d’essai, une garantie de 10 ans, le retour gratuit… même leurs prix sont très proches. « J’ai découvert ce concept début 2015 aux US et quand je suis rentré en France en septembre, il n’y avait pas tellement d’acteurs, raconte Clément Thénot, fondateur d’Ilobed. En 6 mois à peine, près d’une dizaine se sont lancés et les industriels annoncent une déferlante pour l’année prochaine. » Dans ce contexte de forte concurrence, et malgré des coûts logistiques divisés par 3 et un taux de retour inférieur à 4 %, difficile de savoir si ce modèle économique est rentable à long terme, surtout s’agissant d’un produit dont la durée de vie est aussi longue. « Nous n’avons pas les charges fixes des retails physiques, mais devons assumer des coûts marketing élevés », confie Charles DigbySmith, COO d’Eve Sleep France, qui a levé près de 10 M€ pour accélérer son développement dans l’Hexagone.
Ils sont plus de 10 aujourd’hui à rivaliser sur la toile, Français, Anglais et Allemands, chacun mettant en avant son esprit « cool » de start up, la qualité de ses produits et sa « philosophie » de marque. Pour se différencier et gagner de la notoriété, certains vont tenter de sophistiquer leur offre, ce qu’ils font déjà avec l’ajout de draps et d’oreillers, mais aussi avec d’autres niveaux de gamme de matelas, quitte à abandonner le concept « in a box » pour pouvoir faire des matelas plus épais, à ressorts. D’autres prévoient d’ajouter des services optionnels (livraison en 1 h, customisation, choix de coloris), ou encore d’ouvrir des showrooms pour faire tester leurs produits.

Un marché devenu rapidement dense
Pour Charles DigbySmith, le marché risque de se pervertir. « Quand nous avons commencé à Londres, nous étions les premiers et notre intention était de simplifier l’achat de matelas. Aujourd’hui, les offres sont si nombreuses que ça redevient complexe. » La vigilance s’impose, prévient le président de l’APL Gérard Delautre : « Si le prix semble attractif pour le consommateur, la vente directe de literie sur Internet pose plusieurs problèmes. Sur le produit d’abord : qualitativement, on ne sait pas ce qu’on achète vraiment et on ne peut pas comparer. Or la notion de confort est tellement subjective que le matelas universel ne peut pas exister. Ensuite, c’est l’inconvénient d’Internet, un site peut apparaître et disparaître sans prévenir. En cas de SAV, même sous garantie, qui va s’en occuper ? Enfin, la qualité du sommeil dépend d’un ensemble matelas et sommier. »
Sur ce marché soudainement encombré, la compétition se durcit, les hostilités sont ouvertes. Avec un bénéfice, s’il en est un : l’exposition du matelas, sa visibilité et sa publicité sur le net sensibilisent les consommateurs au rôle du matelas dans le sommeil. En rajeunissant le produit et en touchant de nouvelles cibles, ce buzz éveille leur intérêt. De quoi faire œuvre de pédagogie, accélérer le renouvellement, et agrandir le gâteau de la literie… Finalement, tout le marché pourrait peut-être y gagner ?
Bruno Matelas, le confort allemand
Avant de se lancer en France en juillet 2015, l’Allemand Bruno a fait ses premières armes à l’export sur le marché britannique. Le made in Deutschland est l’un des atouts qu’il met en avant, avec le latex naturel, la mousse de polyuréthane haute résilience certifiée Oeko-Tex, 7 zones de confort et une certification Tüv Rheinland LGA. «La proximité géographique et le savoir-faire allemand nous permettent une fabrication unique avec des normes élevées de qualité, souligne Felix Baer. Bien que basé à Berlin, notre service client dédié au marché français est francophone et connaît parfaitement les problématiques spécifiques de ce marché. Comme nous avons le contrôle total de notre distribution, nous sommes flexibles… Nous avons l’intention d’ouvrir un showroom ou un pop up store à l’avenir, car c’est également l’occasion d’échanger avec nos clients potentiels. » Pour séduire les Français, Bruno utilise le marketing digital et les réseaux sociaux et propose 101 nuits d’essai. Son développement inclut des produits complémentaires. L’acteur vise les 10 M€ de CA en 2016 en consolidant l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni.
Casper arrive en France
Casper est un phénomène marketing aux US. A l’instar de beaucoup de start up californiennes, la marque fondée par 5 jeunes ingénieurs et développeurs web a tissé sa légende et s’est attiré l’intérêt des business angels parmi lesquels quelques célébrités. Avec 7 fonds, ils ont investi quelque $70 millions dans l’aventure. D’autres acteurs n’hésitent pas à poster des photos de leur matelas Casper, un engouement marketing qui dépasse largement les frontières américaines… Autant dire que la marque était attendue en Europe. Elle a choisi Berlin pour implanter son siège européen et s’y est installée en avril dernier avec un rayonnement commercial en Allemagne, en Autriche et en Suisse. L’Angleterre a suivi. Paris est le prochain marché de la marque, d’ici mars 2017. Si tout le développement des produits est réalisé à New York, où siège désormais Casper, ces derniers sont fabriqués dans les pays où ils sont vendus. Ce qui explique pourquoi l’entreprise prend plusieurs mois avant de s’implanter sur un nouveau marché. « Les réglementations varient, les dimensions, les habitudes de sommeil, etc. Or nous avons une vision à long terme. On ne vend pas seulement des matelas, on veut aider les gens à mieux dormir » explique Carolina Annand.
Eve Sleep : le matelas se juge au réveil
Lancé au Royaume Uni en février 2015 et un an plus tard en France, le Britannique Eve Sleep a vendu 25 000 matelas en 18 mois et prévoit un CA de £ 20 millions d’ici la fin de l’année. La marque communique beaucoup sur les réseaux sociaux et s’assure un relais via AdWords de Google. « Nous investissons beaucoup dans le service, assure Charles DigbySmith. Il y a un fort enjeu de renommée et de notoriété dans ce business. Nous avons construit une marque à fort contenu et à forte personnalité. » Pour se différencier, Eve Sleep communique non sur la « bonne nuit », mais sur l’énergie au réveil (d’où la couleur jaune des matelas à l’origine). La composition des matelas fait appel à 3 types de mousses « spécifiques ». En plus de son fournisseur britannique, Eve a monté une deuxième ligne de fabrication à Leipzig en Allemagne et envisage un troisième partenariat industriel en France. La diversification fait aussi partie des projets : « Nous lançons un duvet, mais là s’arrête notre offre de literie, car notre vocation n’est pas de devenir un acteur vertical du lit. Nous allons plutôt nous diversifier à l’horizontal avec des produits lifestyle autour de l’énergie et la forme, c’est notre positionnement. »
Ilobed, le made in France à petit prix
Lancé en mars 2016, Ilobed s’inspire directement de l’américain Tuft & Needle. Son fondateur, Clément Thénot, raconte avoir été époustouflé en découvrant ce concept de livraison dans un carton lors d’un séjour américain. Concept qu’il a voulu transposer, patriotisme compris, dans l’Hexagone. « Le made in France faisait partie du projet, raconte-t-il. C’était un challenge d’y parvenir tout en proposant des prix moins élevés que nos concurrents. » Un peu moins cher que ses concurrents, Ilobed fait en effet fabriquer ses matelas par un industriel lillois. Les produit marient une couche de 5 cm de mousse à mémoire 50 kg/m3, 3 cm de latex micro-perforé 65 kg/m3, 13 cm de mousse polyuréthane 35 kg/m3 et un coutil en polyester anti-bactérien Oeko-Tex. Ilobed est encore en mutation : « Nous réfléchissons à faire évoluer notre produit, dans le design ou la composition, pour le différencier. Nous envisageons aussi des boutiques digitales à moyen terme, des surfaces de vente très petites et sans stock, avec la possibilité d’acheter sur une tablette uniquement. Et nous cherchons à externaliser la logistique, parce que les volumes deviennent trop lourds à gérer en interne. »
Justinbed, pour tous les âges
La boutique en ligne Justinbed (ex-Bemybed) s’adosse à la société Kadolis, spécialisée dans la fabrication des matelas pour bébés. « Notre usine a naturellement développé le matelas pour adultes afin de proposer la même facilité de livraison avec essai à domicile : une alternative plébiscitée, raconte Vladimir Swistunow, dirigeant de Kadolis. Ce matelas satisfait 80 % de la population et 98 % de nos clients le gardent. » Côté industriel, le groupe s’appuie sur un partenaire espagnol déjà fournisseur de ses produits pour bébés. Justinbed se différencie par sa cible élargie à tous les âges et son offre simplifiée, mais complète, proposant depuis le début des ensembles de literie : « On nous achète de plus en plus d’ensembles matelas + sommiers. » Pour chaque produit, la définition est arrêtée aux matières et configurations statistiquement plébiscitées sur le marché. Dans cette logique, la société va lancer des « packs sommeil » tout inclus, histoire de rendre plus visible aussi son linge de lit.
Lusseo, le luxe (relativement) accessible
A la différence des sites de vente de matelas récemment apparus, Lusseo se positionne sur la literie classique haut de gamme. La marque créée en 2011 a un ancrage profond dans l’industrie lainière. Son fondateur Vincent Balestrat a dirigé la Société charentaise lainière entre 1997 et 2011 avant de basculer son activité dans une nouvelle forme de commerce, en modernisant son nom au passage. Ce Charentais souhaitait rendre abordable les lits premium en éliminant les coûts de distribution traditionnels. La vente directe est le seul point commun entre Lusseo et les bed in box : « Nous gardons la technologie du ressort ensaché, car c’est la meilleure qualité, affirme-t-il. C’est d’ailleurs ce qui équipe l’hôtellerie. De ce fait nous restons sur un mode de transport traditionnel. » Les coûts logistiques restent donc élevés, mais cela permet de proposer la qualité premium à des prix de 1800 € en 140 cm à 2300 € en 180 cm, livraison et installation incluse. Difficile, dans ces conditions, de pratiquer la même politique de service que les vendeurs de matelas « light » : pas de jours d’essai, ni retour gratuit. En revanche, une proposition complète d’ensemble literie (avec des compléments textiles de La Compagnie du Blanc) sont disponibles. La literie est fabriquée par une société américaine, fournisseur de l’hôtellerie de luxe.
Le Matelas Français
En déposant la marque Le Matelas français, Damien Saillard n’avait plus d’autre choix que de faire fabriquer ses matelas dans l’Hexagone. Un sacré casse-tête, raconte-t-il : « Les Français ont un savoir-faire exceptionnel dans la conception de matelas, mais lorsque j’ai démarré mon projet il y a 2 ans, j’ai constaté que très peu d’industriels étaient équipés des machines spécifiques pour coudre ce type de matière et pour compresser les matelas. » Depuis, les choses ont changé, face à la demande, les fabricants se sont équipés. L’originalité du Matelas Français consiste en un matelas bi-confort (Reverso) ayant un côté moelleux et l’autre ferme, pour plaire à toutes les sensibilités : « Personne ne faisait cela. J’ai trouvé un partenaire dans les Hauts de France qui a investi dans son site de production pour pouvoir réaliser cette opération de compression sans abîmer le matelas. » La société propose également des produits complémentaires : couette, oreillers et un sommier classique (donc avec un livraison longue classique). « Nous sommes en train de travailler à un projet de sommier facile à livrer et à assembler. » En projet aussi, des lieux d’exposition et d’essai, en partenariat avec des hôtels ou sous forme de pop-up éphémères pour aller au devant des consommateurs.
Minuit 7, un Français du métier
Fort d’un parcours de 35 ans au sein de Maga Meubles, Richard Vien est atypique dans l’univers online : « Je me suis occupé des achats, notamment, je connais tous les fabricants français et étrangers et j’ai visité quasiment toutes les usines. » C’est sa connaissance des produits et des clients – il a aussi été directeur commercial – qui l’a amené à se lancer sur ce marché naissant en 2015 en s’inspirant du développement de ce concept aux US. Pour obtenir un confort seyant au plus grand nombre, le matelas Minuit 7 réunit, comme d’autres, le latex et la mousse à mémoire, enveloppés d’une housse lavable en machine. Disponible dans 6 dimensions, il est approuvé Oeko-Tex et fabriqué par un industriel de l’Ouest de la France, ce que Richard Vien considère comme un atout. L’irruption massive de nombreux sites de vente de matelas l’amène aujourd’hui à affiner son positionnement : « La plupart des nouveaux entrants se présentent comme des start up, communiquent sur leur esprit innovant et ciblent les 25-35 ans. Nous nous adressons plutôt aux 35 – 50 ans, des consommateurs plus réfléchis, qui ne cherchent pas forcément un produit à la mode, mais font un achat raisonné. Notre positionnement est celui d’un connaisseur du secteur, avec un produit à 750 €, fabriqué en France. »
Tediber parie sur son image de marque
Julien Sylvain a créé la marque Tediber en novembre 2015 avec 2 designers, Juan Pablo Naranjo et Jean-Christophe Orthlieb. Il y a 7 ans, ils avaient déjà imaginé un concept de lits de camp en carton destinés aux opérations humanitaires, Leaf Supply : « Pour Tediber, nous avons fait développer une mousse polyuréthane à haut indice de fermeté, un confort adapté aux habitudes des Français, raconte l’entrepreneur nordiste. Le matelas de 25 cm d’épaisseur est conçu pour aller sur n’importe quel support ». Ce produit est fabriqué par un industriel belge. Pour émerger, Julien Sylvain investit beaucoup dans la notoriété de sa marque : « Nous nous efforçons d’être irréprochables. La qualité de service fait que les clients nous recommandent. Nous sommes capables de livrer en 1 h 30 à Paris ! » Tediber a recruté Aude du Colombier, l’ancienne directrice marketing de Google France, et a lancé en juillet une campagne d’affichage dans le métro parisien. La société a bénéficié en avril d’un financement de 1,8 M€ par le fonds 360 Capital Partners et vient de recevoir d’Unibail Rodamco un prix des jeunes créateurs du commerce qui va lui permettre d’ouvrir des pop-up. La marque a également inauguré une salle d’exposition dans le 18è arrondissement.