Pour s’adapter aux mutations de la net économie, les fabricants de meubles vont devoir imaginer des nouveaux modèles économiques, pour pouvoir exister sur Internet. Mais comment procéder ? Quelles sont les outils à leur disposition ? Quelles sont les différentes formules possibles ? Tel était le thème central de la récente Assemblée générale de l’Ameublement Français, qui a alterné diagnostic général des forces en présence, et analyse de cas concrets de stratégies disruptives s’appuyant sur les outils numériques.

Avec la modernisation de l’outil de production, et l’appropriation de la demande française et internationale, qui sont des objectifs à court terme, la création de nouveaux modèles économiques liés à l’économie numérique, un objectif à moyen et long termes, est le troisième pilier du plan sectoriel 2016-2021 de l’Ameublement Français. Son président Dominique Weber en a fait l’un de ses chevaux de bataille : « Il nous faut comprendre les modèles économiques émergeants, pour en faire des leviers de croissance », déclarait-il dans nos colonnes le 7 juin dernier (article ici). Autrement dit, les fabricants doivent dès aujourd’hui prendre le virage du numérique, sous peine d’être exclus des mutations qui s’annoncent. C’est donc en toute logique que l’Assemblée générale 2017 de l’Ameublement Français, qui s’est tenue le 15 juin dernier à Paris, a eu pour fil conducteur les nouveaux business modèles rendus possible par le e-commerce pour les fabricants. Il est à noter que cette journée de réflexion et d’échanges, qui a réuni 150 personnes environ à l’auditorium le Hub situé au centre de Paris – également le siège social de quelques pépites françaises de la net économie – a privilégié les exemples de cas concrets d’entreprises du meuble qui ont pour fondement la net économie, ou ont mis à profit la dimension d’internet, situées en France et dans le monde entier. Son but était de permette aux industriels français de mesurer l’ampleur des changements à venir, et de se positionner dans ce nouveau paysage économique, ce qui traduit aussi la nouvelle gouvernance de l’Ameublement Français, et sa volonté de se rapprocher du tissu industriel et des défis concrets que doivent relever les entreprises.
E-commerce et meuble : le début de l’histoire
L’Assemblée générale a débuté par un premier temps fort – « Le e-commerce en pratique » – sous le signe du décryptage, avec une analyse d’opportunité du e-commerce spécifique à l’ameublement français par le duo de consultants Philippe Colliat (cabinet Quatrocento) et Alban Eral (cabinet Axessio). Les deux auteurs ont mené l’enquête en interviewant aussi bien des entreprises industrielles du secteur – Gautier, Ambiance Bain, WM88… – que des distributeurs et entreprises du web comme Maisons du Monde, Camif.fr, Delamaison, Amazon.fr, Vente-privée.com, etc. Première constatation : la vente du meuble sur Internet n’en est qu’à ses débuts, comme le montrent trois exemples : pour Amazon USA, le mobilier est l’une des catégories dont la croissance est la plus rapide ; le site Vente privée.com enregistre 50 % de croissance par an sur la maison depuis 3 ans ; le e-commerce a augmenté de + 30 % en 2016 pour Ikea, pour atteindre 1,4 milliard de dollars, soit 4 % du CA total.
Deuxièmement, il y a une véritable chance à saisir, grâce à un alignement des planètes particulièrement favorable. Pour les deux consultants, nous assistons à une levée des contraintes, puisque ce n’est plus ni compliqué ni cher de vendre sur Internet : on peut aujourd’hui externaliser ce service auprès d’un prestataire – avec deux options open source ou SAAS « logiciel en tant que service », une solution externalisée clés en mains – et le ticket d’entrée varie de 10 à 100 K€, ce qui signe la fin du « cauchemar informatique ». En ce qui concerne la logistique, il ne faut pas se focaliser sur la vitesse de livraison, et encore moins sur la gratuité, car les études montrent que le consommateur est davantage demandeur du respect des engagements, de la qualité, et d’être tenu au courant de sa commande, la gratuité de la livraison n’étant pas le standard. De plus, les opérateurs développent beaucoup de solutions nouvelles, comme le drive, la livraison en pied d’immeuble, à la porte d’entrée, ou clés en main pour les objets lourds avec des tarifs variables au choix du consommateur. Autre facteur favorable, même si les distributeurs sont en avance par rapport aux fabricants (dont le plus avancé ne réalise que 1 % de ses ventes sur Internet, contre 19 % par exemple pour Maisons du Monde), on constate la faible part de marché réalisée par les pure players – en comparaison avec l’habillement par exemple – les scores modestes de la grande distribution – parmi les plus avancés, Conforama ne réalise que 8 % de son CA sur Internet, et Ikea 4 % – et une distribution traditionnelle qui reste très en retrait sur le sujet.

De gauche à droite : Xavier Quiblier (Vente-privée.com), Cathy Dufour (Ameublement français) et Marine Ballias (Amazon.com).
Une opportunité pour les fabricants
La demande d’informations relative au meuble, la première étape vers l’achat, est cependant très vive sur Internet, comme en témoigne les 133 à 225 millions de recherches réalisées mensuellement en France sur les moteurs de recherche. Dans un tel contexte, quels sont, pour les fabricants, les différents scénarios pour être présent sur Internet ? A condition de remplir deux pré-requis – le Product Information Management (PIM) à savoir donner de l’information sur les produits, et la livraison directe consommateurs – les entreprises ont à leur disposition une multiplicité de solutions commerciales, du e-commerce stricto sensu aux places de marché, des ventes privées au drive to store, jusqu’au social commerce via les réseaux sociaux… Selon les auteurs de l’étude, le e-commerce peut -être envisagé à partir de 2 M€ de CA, avec un investissement de 100 K€ annuel, et un point mort atteint à 200 K€ de CAHT annuel. A partir de 8 M€ de CA, le feu est au vert : le point mort est atteint en 4 ans et 850 K€ de CA e-commerce.
Attention à bien prendre en compte certaines données, comme la marque : sur Internet, pas de marque signifie pas de trafic gratuit (naturel), peu de confiance et donc un faible taux de transformation. En l’absence de marque, il faut donc miser sur les places de marché – espaces de vente disponible notamment sur les sites des pure players – et sur les distributeurs multicanaux. Il faut aussi prendre en compte la question de la fidélisation, et pour obtenir une répétition des achats et une confiance des internautes, il est nécessaire de jouer la carte du storytelling (qui je suis, où je fabrique…), et multiplier les références, en m’associant avec d’autres marques complémentaires pour jouer la déco, multiplier les accessoires et les petits prix pour capter la clientèle. Attention aussi aux coûts à surveiller, l’acquisition de clientèle (12 à 18 % du CAHT en rythme normal) et la logistique (20 % du CAHT dont 5 % refacturé au client). Enfin, dernier élément à prendre en compte, il faut « pêcher là où est le poisson », et soigner sa présence sur les réseaux sociaux : le but n’est pas d’attirer tout le monde sur son site, mais d’être présent aux carrefours d’audience – l’équivalent des centres commerciaux dans le réseau physique – comme Facebook (22 millions d’utilisateurs quotidiens en France), Instagram (un réseau drivé par les « influenceurs »), et Pinterest, une étape clé des internautes qui cherchent avant d’effectuer un achat dans la décoration. En conclusion, il faut aujourd’hui raisonner « omnicanal », c’est-à-dire être présent partout, du web à la boutique, des réseaux sociaux aux applications mobiles, pour suivre le consommateur dans la multiplication des canaux et modes d’achats.

Philippe Colliat (cabinet Quatrocento).
Fabrication : les lignes bougent
Le deuxième temps fort de la journée a été la restitution de l’étude commandée par l’Ameublement Français à l’institut Alcimed sur les business models innovants dans le secteur du meuble et de l’agencement à une échelle internationale (9 pays étudiés). Les auteurs de l’étude ont tout d’abord relevé un grand nombre de tendances et sous-tendances, parmi lesquelles ils ont extrait celles qui leur semblent les plus notable. Ils ont noté en premier lieu un rattrapage des pays qui ont été historiquement des sous-traitants, et deviennent des fabricants à part entière et donc de nouveaux concurrents, comme c’est le cas de la Chine et de la Pologne. Deuxièmement, l’intégration des nouvelles technologies dans le meuble s’accélère, comme le laisse présager la collaboration de Steelcase et Microsoft dans des nouveaux concepts de bureaux connectés. En troisième lieu, c’est le retour de l’émotion : les fabricants montrent leurs produits sous un autre angle, en ouvrant leurs ateliers pour dévoiler leurs secrets de fabrication par exemple…