A mesure que la pression environnementale s’accroît, les fabricants de meubles, y compris les industriels, seront amenés à fabriquer des produits de plus en plus durables, en utilisant par exemple des matériaux qui pèsent de moins en moins sur la ressource, et des process toujours plus vertueux pour l’environnement. Si des petites structures semblent aujourd’hui en avance sur l’ensemble du marché dans l’utilisation de produits alternatifs ou issus de la récupération (upcycling), comment la production industrielle peut-elle intégrer ces mutations à venir ? le « talk » organisé par la galerie French Design by Via le 24 avril sur ce thème a apporté des éléments de réponse.
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Le développement durable – avec l’un de ses corollaires la biodiversité – est un thème de plus en plus présent dans les actualités et dans le débat public, notamment sous la pression des jeunes générations, qui ont compris que, si on ne prend pas des mesures massives pour limiter les ponctions sur les ressources naturelles et le changement climatique, notre planète est désormais en danger et menace leur avenir et celui de leurs enfants. Chaque année, l’ONG américaine Global Footprint network rappelle le jour de dépassement – le 8 août en 2018 – où les activités humaines ont déjà consommé les ressources que la terre est capable de produire en un an, à partir duquel nous puisons dans les réserves non renouvelables. Quelle est la position de l’industrie du meuble dans cette problématique ? S’il n’est pas question d’apporter une réponse globale à cette question, qui demanderait une étude vaste et approfondie, le French Design by Via a réuni, le 24 avril dernier dans le cadre ses « talks » (tables rondes), plusieurs intervenants concernés à échanger sur le thème « Mobilier durable et industrie : contradiction ou opportunité ? », autrement dit comment concilier production industrielle de mobilier et développement durable ? Il en ressort que des acteurs nouveaux ont fait leur entrée sur le marché du mobilier, soit avec un profil de start up relevant de l’économie circulaire (Maximum), soit éco-organismes ayant pour mission la récupération et valorisation des déchets de mobilier (Valdélia), et leur remise sur le marché quand c’est possible, tandis que les industriels prennent eux aussi des mesures pour rendre leurs produits plus durables (Gautier).

De gauche à droite, Pierre-Emmanuel Bertault (Gautier), Samy Rio (designer), Gaëlle Rolet (Maximum) et Lucie Verdier (Valdelia).
Qu’est-ce qu’un mobilier durable ?
Quelles sont les définitions des uns et des autres du mobilier durable ? Pour le designer Samy Rio, il s’agit d’un produit « dont on analyse la totalité du cycle de production – sourcing du matériau, mode de transformation, transport, valorisation en fin de vie – pour maîtriser son impact sur l’environnement. » Il est donc aujourd’hui possible pour lui de fabriquer un tel produit, mais surtout en série limitée, par exemple pour la galerie Kréo, en sélectionnant ses matériaux (bois, bambou), et en faisant des recherches sur les composants innovants sur le plan de l’environnement. Le designer soulève la question de la finition : un produit durable doit avoir une finition à la fois respectueuse de l’environnement et répondant à l’usage, sinon il devient vite inapte à l’emploi. Il y a aussi des limites : le designer ne peut pas contrôler tout le cycle de vie du produit. Si par exemple l’utilisateur décide en fin de vie de le brûler, il dégagera des émissions nocives, ce qui peut ruiner tous les efforts faits en amont, il faut donc miser aussi si la sensibilisation du consommateur. A la même question, Gaëlle Rolet, cheffe de projet chez l’éditeur Maximum, répond que le produit durable est celui « qui cumule la consommation la plus basse possible de matière première et d’énergie possible, une durée de vie maximale, le fait d’être réparable, et enfin une valorisation en fin de vie. » Ces impératifs sont ceux qui ont présidé à la création de Maximum : cet éditeur a pour ADN de récupérer des déchets produits de façon récurrente par l’industrie – exemples des échantillons-test de plastique qui précèdent la production de pièces en série, ou des armatures d’échafaudages en métal en fin de vie – pour les transformer en meubles avec le moins d’opérations possible. Dans le premier cas cité, Maximum transforme le plastique en coques de fauteuil par thermo-moulage, et dans le deuxième en piétements de tables contemporaines. Deux produits qui sont ensuite garantis à vie par l’éditeur, qui s’engage à remplacer les éléments défectueux.
S’exprimant en tant qu’industriel dans cette table ronde, Gautier explique par la voix de Pierre-Emmanuel Bertault, son directeur Qualité Sécurité Environnement, que le produit durable est d’abord celui qui dure longtemps, car par définition, on fera l’économie des matériaux utilisés pour son remplacement, un engagement qui se traduit pour la marque par une garantie 10 ans. Ensuite, c’est un produit issu d’une écoconception, c’est-à-dire une démarche d’amélioration continue sur tous les aspects du produit où on peut agir. Depuis 2002 – et l’obtention du premier label NF Environnement pour Gautier Office –le groupe a rendu ses produits plus durables pas à pas, en passant notamment en 2006 des finitions en laques PU (polyuréthanne, composées de 65 % de solvants) aux laques hydro (en phase aqueuse, 5 % de solvants), et en fabricant lui-même ses panneaux de particules, intégrant la récupération et valorisation de panneaux en fin de vie. Ces panneaux fabriqués à proximité du lieu de production améliorent aussi le bilan carbone de l’entreprise. Valdelia, l’éco-organisme qui est chargé de collecter les meubles en fin de vie pour les recycler ou les valoriser, devenu un acteur majeur du recyclage pour le secteur du mobilier professionnel, s’engage dans un axe nouveau : développer le réemploi. « Nous travaillons aujourd’hui avec 136 structures d’insertion sociale, à qui nous proposons des lots de mobilier dont un opérateur vient de se séparer, avec pour mission de les retaper et de les revendre, en collaboration avec des agenceurs ou des aménageurs », explique Lucie Verdier, cheffe de projets innovation de l’éco-organisme. Autrement dit, nous ne sommes plus seulement dans le recyclage, mais dans « l’upcycling » ou la ressourcerie, qui consiste à conserver au maximum le mobilier usagé, pour proposer un mobilier de seconde main à la fois apte à l’usage, et ayant demandé un minimum d’énergie et de matériaux neufs pour commencer sa seconde vie.
Étendre le mobilier durable à l’échelle industrielle
Pour ce qui est des meubles produits à partir de déchets industriels, il s’agit pour l’instant d’un secteur embryonnaire : « Des gisements de déchets sont identifiés en permanence, et non avons déjà 350 déchets différents référencés chez Maximum, ajoute Gaëlle Rolet. Les possibilités sont infinies, mais il n’y a pas assez d’idées, de structures pour répondre à une demande qui est devenue énorme. La réutilisation d’un déchet est de façon générale un process plus complexe que l’utilisation d’un matériau neuf. » Chez Gautier, la réflexion se poursuit, l’entreprise a lancé par exemple un service de reprise des meubles usagés dans les magasins, et propose des formules de location des meubles, en alternative à l’achat qui lui doit s’inscrire dans le temps long. Un meuble durable est-il plus cher ? « Oui et non, c’est une équation complexe, répond Pierre-Emmanuel Bertault. Les matériaux de substitution plus vertueux pour l’environnement sont plus chers, ils demandent souvent plus de main d’œuvre, mais on économise en réduisant les déchets et le transport, et on améliore son image. La bonne stratégie consiste pour nous à proposer un produit de plus en plus durable, tout en restant dans un prix de marché. »
De son côté, le designer Samy Rio alerte sur les pratiques de « green washing » notamment dans le meuble, qui consistent à afficher une fausse démarche environnementale pour améliorer son image auprès du consommateur final. « Il faut aujourd’hui remplacer certains matériaux clairement nocifs pour l’environnement et les personnes, comme par exemple le Mdf, qui relargue des solvants même après avoir été peint ou verni, assure-t-il. Certains pays ont pris des mesures pour l’interdire dans l’aménagement intérieur. » Selon lui, les choses avancent très vite depuis 10 ans, mais beaucoup reste à faire dans le mobilier. Il faut aussi changer le regard du consommateur final, habitué à acheter toujours du neuf comme s’il était en quantité infinie, alors que la valeur se nichera à l’avenir dans les produits vertueux, que les designers auront pour tâche de rendre désirables.

Talk sur le thème « Mobilier durable et industrie : contradiction ou opportunité ? » à la galerie French Design by Via le 24 avril 2019.
Des initiatives de plus en plus nombreuses se font jour pour organiser la récupération et le réemploi des meubles en fin de vie. « L’étape suivante consiste à recenser précisément où se trouvent les gisements de déchets, et à mettre en relation les démolisseurs et les porteurs de projets, susceptibles de les réutiliser dans leurs projets de réhabilitation, ajoute Gaëlle Rolet (Maximum). On voit aujourd’hui de plus en plus de sites Internet qui jouent ce rôle (1). » Valdelia travaille d’ailleurs dans cette direction, en élaborant plusieurs projets comme une matériauthèque pour les produits de récupération, une place de marché pour vendre le mobilier usagé en bon état – y compris issu des agencements – ou encore la création d’ateliers de reconditionnement pour pouvoir donner une nouvelle vie aux meubles.
(1)Par exemple www.materiau-reemploi.com
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[Zooms]
La filière lin et chanvre ouvre un show-room à Paris
Sous l’appellation « Linen Dream Lab », la Confédération Européenne du Lin et du Chanvre (CELC) a ouvert au mois d’avril à Paris 1er un nouvel espace qui a vocation à être une plateforme d’information et d’expertise sur tous les marchés où s’expriment les produits issus de sa filière. Les fibres de lin et de chanvre trouvent aujourd’hui des applications à 60 % dans le secteur de la mode, à 30 % dans l’ameublement et l’aménagement intérieur, et à 10 % dans des applications techniques (exemple casque d’équitation). Rappelons que la CELC met en avant le lin en tant que plante respectueuse de l’environnement, matériau simple et naturel : il est notamment écologique (zéro irrigation, zéro OGM, renouvelable, biosourcé…), zéro déchets (végétal valorisé à 100 %), biodégradable, résistant, léger pour le transport, respectueux de la personne (hypo-allergénique, anti-bactérien…), facile d’entretien… Par-dessus tout, il est produit localement, puisque 85 % de la production mondiale se fait en Europe, la France, la Belgique et les Pays-Bas cultivant un total de 117 400 hectares pour une production de 141 000 tonnes de fibres longues (la France à elle seule en cultive les deux tiers, 98 300 hectares pour 115 000 tonnes de fibres longues produites en 2018). En plus d’emprisonner pendant sa croissance quelque 250 000 tonnes de CO2 à l’échelle européenne, l’utilisation du lin est donc très intéressante pour réduire le transport et améliorer son bilan carbone.
Des innovations dans le mobilier
Le lin est un matériau ancestral, bien connu pour ses applications textiles, dans le secteur de la maison, aussi bien pour le linge de lit, que le linge de table et de toilette, sans oublier les tissus d’ameublement, revêtements muraux et rideaux. Mais la CELC mise aussi, comme le montre notamment son « Linen Dream Lab », sur des applications innovantes dans le mobilier sous la forme de matériaux rigides issus d’une association de lin et de résine, qui offrent des possibilités techniques et esthétiques nouvelles pour les designers. C’est le cas par exemple avec la Flax chair, conçue par le designer Christien Meinderstma pour Label breed, en panneau composite à base de lin, découpé et formé, et présentée comme une chaise « entièrement biodégrable ». L’éditeur SaintLuc est certainement un pionnier de ce matériau, avec le tabouret Tool (design studio Briand), réalisé en polyester à base biologique (60 % de fibres de lin, 40 % de résine organique), un produit fabriqué au Bangladesh dans le cadre du programme humanitaire « Gold on Bengale ». Chez le même éditeur, on peut aussi mentionner les fauteuils Hamac (Jean-Philippe Nuel), et Coach (Jean-Marie Massaud) qui mettent en œuvre respectivement une assise et une coque en matériau composite de lin, ou encore la table basse Duales (Noé Duchaufour-Lawrence), composée d’une structure en chêne massif et d’un plateau en fibres de fin. Grâce à l’utilisation d’un matériau alternatif, innovant et durable, ces créations permettent à SaintLuc d’affirmer sa double identité « éthique et technologique ».
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Habitat mise sur les tressages à base de fibres naturelles
L’éditeur et distributeur donne une place importante, dans sa nouvelle collection 2019, aux produits fabriqués avec des matières naturelles mises en œuvre sous forme de tressage, comme le rotin, le jonc de mer, les feuilles de palmier ou encore le jute, qui réduisent les impacts environnementaux de la fabrication et favorisent le recyclage en fin de vie. On peut citer dans ce registre les paniers Nicole et Loik en feuilles de palmier la lanterne Nikki en rotin, le cache-pot Nabaca en abaca, le tapis Nora en jute et laine, ou encore la chaise Bea et la fauteuil Victorine, en tressage de rotin sur un piétement en fil métallique.