Du PLAB au PAMA, les grappes d’entreprises ont longtemps assuré une mission de défense des intérêts des entreprises adhérentes et de promotion de leurs savoir-faire. Mais elles s’affirment de plus en plus comme des « accélérateurs de projets » en leur offrant une plateforme commune, et un accompagnement dans la conception de produits innovants et la conquête de nouveaux marchés. Résultat : les entreprises se regroupent pour travailler en mode projet, comme le montrent les exemples de Terre de Luxe, Convergence Paris et AMF.

Lancement de Convergence Paris : de gauche à droite Christophe Sourice, Christophe Vitard, et Thierry Minet (Maison&Objet, janvier 2014).
Les associations qui regroupent des fabricants de meubles et d’aménagements des espaces de vie ont depuis leur origine par exemple depuis 1992 pour le PLAB (Pôle Lorrain de l’Aménagement Bois, 110 entreprises adhérentes), et depuis 2010 pour le PAMA (Pôle d’Aménagement de la Maison en Alsace, 100 entreprises adhérentes) un rôle institutionnel de défense des intérêts communs de leurs adhérents. Cette mission se traduit par un ensemble d’actions pour promouvoir leurs savoir-faire, par la réalisation d’études de marchés pour déceler les opportunités de croissance, ou encore par des actions ponctuelles visant à développer leur CA, en obtenant pour leur compte les financements publics permettant de soutenir ces initiatives. Parmi de nombreux exemples de ce type d’actions, on peut citer le dossier déposé récemment par le PLAB pour obtenir une Indication Géographique « Siège de Liffol ». Il y a aussi l’organisation de stands collectifs sur plusieurs salons.
Apprendre à travailler ensemble
Cependant, le rôle de ces « grappes d’entreprises » a profondément évolué en réaction aux évolutions du marché : « Longtemps, on a produit pour vendre, aujourd’hui, il faut vendre pour produire, déclare Didier Hildenbrand, le directeur général du PLAB. Cette mutation intellectuelle a profondément impacté le fonctionnement de notre association. » Le dirigeant fait ainsi référence au temps où les industriels du meuble créaient et fabriquaient d’abord leurs collections, avant de chercher ensuite des débouchés qu’ils trouvaient aisément dans les magasins de meubles. On connaît la suite : depuis la mondialisation et l’ouverture des marchés, les distributeurs se sont tournés vers des fournisseurs moins chers, produisant de plus en plus loin, et les fabricants français pénalisés par des coûts de production élevés ont été amenés à se tourner vers de nouveaux marchés.
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Par la même occasion, beaucoup d’entre eux ont dû revoir leur modèle économique et inventer de nouvelles façons de travailler. C’est pour les accompagner dans cette mutation que les groupements d’entreprises ont eux aussi changé leur fusil d’épaule : « Nous ne fonctionnons plus par filière, mais par marché. Nos entreprises sont aujourd’hui tournées vers les donneurs d’ordres de l’hôtellerie et du contract, en France et à l’international, dont il faut comprendre le fonctionnement pour pouvoir leur proposer une offre globale qui réponde à leurs attentes », poursuit le directeur général du PLAB. Cette évolution explique aussi pourquoi ces groupements se sont élargis en termes de produits de l’habitat.
Des « accélérateurs de projets »
Pour aller sur les nouveaux marchés des projets et de l’international, il faut à la fois disposer d’une capacité industrielle suffisante, et d’une offre innovante, ou transversale qui réponde à un besoin global. C’est dans ce sens que les groupements d’entreprises sont devenus des « accélérateurs de projets », aussi bien individuels que collectifs, en amenant les entreprises à se rapprocher pour élaborer des produits qu’elles n’auraient pas pu concevoir de façon individuelle. L’organisme peut aussi proposer la mutualisation de certains moyens pour accélérer les projets.

Cuisine Confort (Cuisines Schmidt, projet Maison des seniors PAMA).
Ce type d’accompagnement des entreprises est aussi au cœur de la mission du PAMA : « Une fois que les besoins des donneurs d’ordre ont été identifiés, notre rôle est de mobiliser les compétences d’experts, comme par exemple celles d’un ergonome ou d’un designer, qui sont mises à la disposition des entreprises, pour les accompagner dans le développement de leurs produits et savoir-faire, explique Angélique Gasmi, la directrice générale du Pôle. C’est ainsi que nous avons identifié, par exemple, les 3 caractéristiques du mobilier attendues par les utilisateurs séniors, l’ergonomie, la sécurité et le confort. »
ROBOTISER POUR GAGNER EN COMPÉTITIVITÉ
Cette méthode a permis la mise au point et le lancement sur le marché de nombreux produits innovants, du concept de cuisine ergonomique Confort de Schmidt au plan de toilette évolutif Dejuna Evolutif de Varicor, par exemple. Le PAMA soutient aussi l’innovation par la réalisation de prototypes, par des tandems composés d’entreprises et de « designers résidents » mutualisés, qui les aident à développer des produits pour leurs clients, en mettant en œuvre des process ou des matériaux nouveaux.
Du travail collaboratif à la société commerciale
Pour aller plus loin, la grappe d’entreprise peut aussi être à l’origine de la réunion de certains de ses membres sous une marque commune, comme c’est le cas de Terre de Luxe, un collectif regroupant 14 manufactures de Loraine meuble, faïencerie, linge de maison… créé en 2009, et intégré au PLAB en 2014. « Le concept de Terre de Luxe, c’est de mettre en réseau des acteurs qui ont un positionnement commun, pour valoriser collectivement leurs savoir-faire, avec l’idée que chacun d’entre eux puisse devenir un apporteur d’affaires pour l’ensemble de la marque, explique Didier Hildenbrand. On franchit un pas de plus dans une offre globale, mais chacun reste indépendant pour son activité commerciale. »

Hôtel Park Hyatt Paris Vendôme (projet Alliance Manufacture de France).
Autre cas de figure, le groupement d’entreprises peut aussi naître de façon informelle, et à l’initiative des chefs d’entreprises eux-mêmes, à l’image de Convergence Paris, une marque de mobilier créée en 2014 par 3 fabricants de l’Ouest de la France, adhérents à l’UNIFA : La Boissellerie, Meubles Minet et Sourice. « Notre idée de départ était d’associer nos 3 savoir-faire et notre proximité géographique, pour élaborer une réponse complète à l’aménagement des espaces de vie, du domestique à l’hôtellerie, raconte Thierry Minet, dirigeant de la société éponyme. Nous avons donc conçu et lancé une première collection contemporaine, signée d’un designer extérieur, qui illustre ces savoir-faire. » Pour se faire connaître, la marque a exposé successivement sur Maison&Objet, à Milan et Dubaï, avec le soutien du GEM. Une initiative prometteuse, puisque Convergence Paris a livré une première commande à un distributeur chinois au printemps 2016. « Nous réfléchissons maintenant à passer à la vitesse supérieure avec, si l’activité le permet, la création d’une structure commerciale commune », ajoute le dirigeant.

C’est précisément le pas qui a été franchi par le plus avancé des groupements d’entreprises, Alliance Manufactures de France (AMF). Créée en 2014 par la réunion de 10 entreprises membres du PLAB et sous l’égide de ce dernier, dont 4 fabriquent du mobilier, AMF est une société commerciale, qui vend des compétences plus que des produits, à destination des marchés de l’aménagement des espaces de vie haut de gamme, de l’hôtellerie de luxe au yachting. « Nous avons constaté une véritable attente de la part des donneurs d’ordre, en matière de réponse globale et coordonnée à leurs projets, constate Adeline Norroy, chef de projet du groupement. Ce qui se traduit en activité, puisque nous avons réalisé un CA supérieur à 600 000 euros en 2015, pour notre première année pleine. Ce qui est certain, c’est qu’aucune des entreprises du groupement à titre individuel n’aurait eu accès à ces marchés. » Comme l’explique sa dirigeante, l’esprit d’AMF est différent d’une grappe d’entreprise, parce que chaque membre a investi financièrement, et s’est engagé sur un ensemble de principes de fonctionnement afin de capter et de traiter des affaires : ainsi, chaque dossier traité donne lieu à la nomination d’un chef de file qui coordonne les opérations, pilote la partie études, la réalisation des prototypes, et devient l’interlocuteur unique du client.
[F.S.]
3 Questions à Dominique Weber, président de l’UNIFA

Le projet sectoriel de l’UNIFA 2016 – 2020 compte parmi ses grands axes le développement de projets collaboratifs entres les entreprises. Pourquoi ?
Pour un grand nombre d’entreprises françaises, il faut aujourd’hui passer de l’objet au projet. Face à l’essoufflement du modèle de la distribution traditionnelle, elles doivent se tourner vers les marchés de projets, et s’organiser pour pouvoir répondre ensemble de façon plus qualitative et plus volumétrique, à des donneurs d’ordre qui sont quête de solutions globales plutôt que de problèmes qui s’additionnent. Nous devons aussi jouer la carte de la proximité géographique, qui est un plus quand il y a une exigence de qualité.
Quelle est la marche à suivre pour les entreprises qui veulent développer ce type de projets communs ?
Vendre ses prestations à un groupe hôtelier, un investisseur ou un promoteur, cela ne s’improvise pas. Il faut donc apprendre à travailler ensemble, à se connaître et à se faire confiance, pour additionner ses compétences, et être plus performant en termes de prix et de service, plus pertinent dans son organisation. Je crois que l’impulsion peut être donnée par les grappes d’entreprises existantes, mais ensuite les entreprises doivent prendre le relais, et créer leur organisation collective, en se choisissant en fonction de leurs savoir-faire complémentaires, et de leur présence sur un même territoire, pour faciliter l’avancement des projets.
Quelles sont les solutions pour que les projets collaboratifs se transforment en chiffre d’affaires ?
Il faut, à un moment donné, franchir le pas de créer une structure commerciale commune, qui assure la cohésion de l’ensemble de la grappe d’entreprise, avec un fonctionnement transparent accepté par tous dans l’intérêt commun. Alliance Manufacture de France est en train de démonter que ce type d’organisation peut fonctionner, et que les donneurs d’ordre sont intéressés par les savoir-faire qualitatifs des entreprises françaises, quand elles savent les vendre. Un projet comparable est actuellement en gestation dans l’Ouest de la France, autour de la plate-forme de compétences SolFi2A de Montaigu, dont j’ai bon espoir qu’il verra prochainement le jour, avant d’être suivi par d’autres initiatives de ce type.