Éco-conception, modèle disruptif, marque, export… les Journées de l’Ameublement français, qui ont eu lieu à Paris les 20 et 21 juin à Paris, ont donné lieu à un tour d’horizon des nouveaux challenges à relever par les fabricants. L’éco-organisme Éco-mobilier et l’Ameublement français mettent à leur disposition de nombreux outils, et la force de l’action collective, pour leur permettre d’accompagner les mutations en cours.
Chaque année, les Journées de l’Ameublement français se fixent un objectif : s’emparer des défis qui se posent aux industriels du secteur du meuble, pour y apporter des éclairages grâce à des experts, et des pistes de solutions. Au moment où on parle de plus en plus d’environnement, de changement climatique, de biodiversité, ce n’est donc pas un hasard si la matinée du 20 juin a été toute entière consacrée aux actualités, et aux initiatives de l’éco-organisme qui s’occupe du recyclage et de la valorisation du mobilier domestique, Eco-mobilier. Après avoir dressé un bilan de l’activité en 2018 – près de 5000 adhérents, près de 5000 points de collecte, près de 700 000 tonnes de produits usagés collectés, globalement valorisés à 94 % – sa présidente Dominique Mignon a défini un nouvel horizon pour le recyclage, avec la mise en place d’un nouveau contrat de services à compter du premier janvier 2020, d’un nouveau périmètre pour les produits collectés, d’un nouveau tarif, et d’une plateforme d’accompagnement à l’éco-conception, pour atteindre le million de tonnes de produits recyclés et surtout le « zéro déchet » à l’horizon 2023. Comme l’a expliqué Eric Weisman-Morel, directeur du développement, Eco-Mobilier réunit tous ses contrats dans un contrat unique, dont la grande nouveauté sera des tarifs modulés en fonction des qualités environnementales des matériaux mis en œuvre. Pour le meuble, le barème unique laisse la place à 4 niveaux de tarification selon l’utilisation de bois massif, dérivés du bois ou métal majoritaires, ou d’autres matériaux synthétiques, composites ou autres majoritaires. Pour les sièges, le critère du nombre de places assises laisse la place à un critère plus précis de poids, et le barème prend désormais en compte la présence ou non de rembourrage. Enfin pour la literie, si le critère des dimensions est conservé, on y ajoute un critère d’épaisseur pour les matelas. Ces changements ont un impact sur la codification des produits, qui conserve une structure à 11 chiffres, en intégrant une modulation fondée sur les matériaux (en fonction de leur recyclabilité) et de l’absence de perturbateurs en vue du recyclage.

Une nouvelle ère pour l’éco-conception
L’objectif de cette modulation est non seulement de fixer l’éco-participation au plus près les coûts réels de recyclage de chaque meuble usagé, mais surtout de favoriser l’éco-conception, qui seule permettra d’atteindre l’objectif de « zéro déchet », tout en se mettant en conformité avec les exigences de la loi anti-gaspillage actuellement en préparation. Voilà pourquoi le nouveau contrat introduit des bonus qui peuvent aller du simple au double en fonction des matériaux mis en œuvre, et donne de la valeur à l’incorporation de matières premières recyclées : ainsi, les panneaux de particules intégrant des déchets de bois recyclés seront désormais reconnus comme un facteur de modulation, sous réserve d’adhérer au programme « crédit recyclage », et de mettre en place une traçabilité de ses achats en panneaux.
Pour aller plus loin, Eco-Mobilier met en place une plateforme d’innovation et d’accompagnement à l’éco-conception en partenariat avec la société Re(set). Dans le cadre de ce dispositif, les entreprises peuvent obtenir une sensibilisation de leurs équipes, des outils – guide d’éco-conception, webinaire, rendez-vous individuel… – ainsi qu’un accompagnement personnalisé de leurs projets. Conséquence importante, si l’éco-conception était jusqu’à présent laissée à l’initiative isolée de chaque fabricant, elle bénéficie désormais d’un cadre institutionnel, en vue d’en faire une pratique généralisée. « Nous lancerons au 4e trimestre 2019 un appel à projet ouvert à tous, avec l’idée de lancer des projets pilotes, économiquement viables, et pouvant être développés conjointement par plusieurs entreprises adhérentes, ayant des intérêts convergents », commente Franck Gana, dirigeant de Re(set) en charge de la plateforme.
Mutations sociétales et nouveaux profils de consommateurs
La suite du programme a donné lieu à un décodage des mutations sociétales par Maryline Nguyen, directrice conseil de Sociovision. L’intervenante a mis en évidence, chiffres à l’appui, des tendances de fond qui influencent la consommation : des foyers de plus en plus nombreux et de plus en plus petits (35 % des ménages sont constitués d’une seule personne, contre 25 % en 1982), une mise à mal de l’autorité du chef de famille, la volonté croissante de tous d’être « unique », mais aussi les progrès de la « conscience verte », puisqu’elle touche aujourd’hui 52 % des gens contre 30 % en 2001. Parallèlement à la digitalisation croissante, on constate aussi une volonté de « ralentir » son rythme de vie, de privilégier sa vie de famille ou sa vie privée, un souhait pour 55 % des personnes interrogées, et de faire de son intérieur un cocon : 67 % des sondés préfèrent recevoir famille ou mais chez eux plutôt que de les voir à l’extérieur. Même les jeunes sortent moins, les Millennials passant un tiers de temps de moins dehors que la génération de 1987. Autre tendance de fond, on constate une montée de la « sobriété heureuse », autrement dit d’une économie de la fonctionnalité, où l’important n’est plus de consommer ni de posséder, mais de pouvoir répondre à des besoins fonctionnels, en recourant par exemple à des objets d’occasion, qu’on peut aussi échanger ou revendre, en louant plutôt que d’acheter, et en prolongeant la vie des objets, dans un souci de respecter l’environnement. 30 % des sondés sont aujourd’hui d’accord avec l’affirmation « Je consomme moins et finalement je ne m’en porte pas plus mal », contre 24 % il y a 10 ans.
Comme l’ont expliqué Justine Rouger et Jean-Marc Barbier, de l’équipe innovation du FCBA, leur vocation est précisément de détecter les nouveaux profils et nouveaux usages des consommateurs, pour pouvoir accompagner les entreprises sur toute la chaîne de valeur de l’aménagement, de la conception de produit à la validation, en passant par des étapes d’innovation, d’éco-conception, d’évaluation, de certification, jusqu’à la communication au moment du lancement. Dans leur intervention, les deux experts ont tout d’abord défini leur méthodologie de travail en quatre étapes, consistant à partir de l’analyse du besoin, pour passer à la génération d’idées, aux expérimentations (tests, validations), pour finir par le développement technique (industrialisation). A titre d’exemple, ils ont mis en avant l’étude réalisée sur les usages en cuisine et salle de bains, pour laquelle ont été identifiées six « personae » ou profils de personnes dits « prospectifs », autrement dit ayant des comportements qui tendent à se développer dans l’avenir. Pour chacun de ces « personae » – l’écolo, le high tech, l’essentialiste, le vintage, le minimaliste, le communautariste – l’exercice a consisté à synthétiser une personnalité, un mode de vie, des valeurs, des aspirations… pour définir un besoin et des usages. Un exemple ? L’écolo favorise l’achat de produits en vrac, réduit sa consommation d’eau, favorise les produits artisanaux, évite les produits jetables… De son côté, l’essentialiste évite les tâches ménagères, ne stocke quasiment rien, et réduit son électroménager à un réfrigérateur et un micro-ondes, autant d’éléments à prendre en compte pour un aménagement. Une méthodologie qui a porté ses fruits pour les projets Habitat Connect en 2018 (les objets connectés au service des espaces de vie), ou Fut’urbain en 2019 (les usages dans l’espace public).
Du bon usage des modèles disruptifs
Comment tirer profit des nombreuses mutations sociétales qui sont à l’œuvre ? Pour Christophe Sampels, président de Immaterra, qui est intervenu sur le thème « Comment l’économie de la fonctionnalité révolutionne les business models… et l’entreprise ? », il faut tout bonnement revenir à des questions fondamentales, comme « En tant que fabricant de meubles, quelle est ma raison d’être ? » Dans son allocution, sans doute la plus décalée de la journée, il a expliqué « qu’il ne faut plus aujourd’hui vendre un produit, mais une solution intégrée, c’est-à-dire un mélange de produits et de services, où le service – autrement dit l’immatériel – joue un rôle essentiel en améliorant les conditions de l’efficience. » Pour expliciter son propos, il a procédé avec des exemples, voir des fables. Ainsi, une information météo ne vaut pas grand-chose en soi, mais elle devient primordiale par exemple pour le boucher, qui doit savoir s’il vendra ou non des brochettes pour le barbecue du week-end. De même, un fabricant de miel, qui trouvait son activité peu rentable, a un jour découvert que le pollen transporté par ses abeilles contenait plus de 500 informations sur la biodiversité végétale alentour, que des laboratoires de recherche étaient prêts à payer très cher, ce qui a multiplié la valeur de ses ruches par 10 ! Dernier exemple, un célèbre manufacturier de pneus a eu l’idée non plus de vendre simplement ses produits, mais de vendre des « km roulés », avec un bon gonflage, qui limite l’usure et fait baisser la consommation de carburant… la valeur est finalement venue de ces nouveaux services, inclus dans un programme d’assistance, et d’éco-conduite. La morale de ces histoires ? Il y a certainement, selon leur auteur, des modèles économiques à faire évoluer pour augmenter la valeur du meuble en y adjoignant des services innovants…
En conclusion de cette journée, trois experts du marketing ont échangé leurs vues sur la notion de « francité », de retour sur le devant de la scène avec le retour en grâce du « made in France », une valeur pour 72 % des Français, contre 50 % en 1992. « La francité, c’est une histoire à raconter, c’est à la fois un défaut et une qualité, c’est l’obsession du sens et le goût du détail, c’est enfin ce qui nous pousse à l’excellence comme le dit Philippe Starck », a argumenté Jean-Paul Bath, directeur général du VIA. « La francité, c’est un ensemble de valeurs que les étrangers nous accordent, et un héritage qui doit se traduire par des marques, et le maintien voire la relocalisation de nos activités en France », a ajouté Fabienne Delahaye, fondatrice et présidente du salon Made in France (MIF) Expo. Une excellente transition à la matinée du 21 juin, qui s’est déroulée au siège parisien du MEDEF sur le thème « International et exploration de nouveaux business models », avec entre autres l’intervention d’experts des marchés internationaux, et un retour d’expérience de la part des entreprises membres de la première promotion du Club Export de l’Ameublement français.