Comme chaque année, notre enquête literie interroge plusieurs industriels et distributeurs du secteur afin qu’ils livrent leur vision sur la situation actuelle du marché, dressent un point sur la stratégie de leur entreprise et apportent un éclairage sur des défis et enjeux à venir. Et ceux-ci sont nombreux : après un exercice 2018 exceptionnellement étale (ou, plus précisément, en très faible croissance), la plupart s’accordent sur la fin probable, à terme, de la « course aux volumes »… toute la question étant alors de conforter, ou simplement trouver, d’autres voies de croissance.
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Luis Flaquer / DG Groupe COFEL
« Une voie de croissance : l’international »
« Sur 2018, le groupe a été en légère décroissance, à cause d’un mois de décembre en forte régression. Une chute marquée avait effectivement été constatée en décembre, comme pour la plupart. 2019 ne s’inscrit pas du tout sur la même tendance, pour l’instant, car nous sommes, à fin mai, en progression cumulée à 2 chiffres, que nous conserverons, au vu des commandes, à la fin de ce premier semestre : une évolution qui s’observe sur chacune de nos marques. A ce jour, l’ensemble de la production de l’ancienne usine de Mazeyrat-d’Allier [qui a fermé fin février dernier, ndlr] a été transféré sur nos autres sites qui, en conséquence, ont vus leurs effectifs augmentés pour assurer cette fabrication supplémentaire.
Globalement, concernant le marché, on constate que les consommateurs ont de plus en plus conscience d’importance du bien-être, ce qui va forcément se répercuter sur le produit literie. C’est la raison pour laquelle, nous, en tant que fabricants, continuons plus que jamais à communiquer sur ces arguments phares en ce sens… Le groupe Cofel s’est engagé sur cette voie il y a déjà des années, avec la création du SommeilLab Bultex, qui concentre nos recherches sur le sommeil en coopération avec l’European Sleep Center et l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance) : une action qui nous a permis, par exemple, de lancer l’e-Bed [voir plus loin, ndlr]. Cette importance croissance de la nécessité du bien-être, dans notre société, est vraiment une tendance de fond et, de ce fait, une grande opportunité pour les industriels de la literie. La course au volume est terminée, maintenant, il faut désormais travailler cet axe !
C’est suivant cette stratégie que nous dévoilons des innovations dans chacune de nos marques, à commencer par Bultex, qui signe le matelas connecté e-Bed, dont l’objectif est justement d’optimiser le bien-être du dormeur : une spécificité totalement en accord avec l’ADN de Bultex, connue pour être une marque « scientifique ». L’e-Bed, actuellement, est progressivement déployé pour pouvoir commencer la grosse saison qui s’annonce. Epéda, marque créée en France en 1929, fête donc ses 90 ans cette année avec, notamment, le lancement d’un produit « vintage » emblématique ; à noter, également, que nous lançons cette signature, progressivement, à l’international : nous y sommes en croissance de + 20 % sur les 5 premiers mois de 2019, après + 25 % en 2018 et + 15 % en 2017. Avec cette marque, nous souhaitons nous lancer vers des horizons beaucoup plus lointains que ceux de l’Europe proche, et c’est la raison pour laquelle nous avons décidé de participer au salon de Shanghai en septembre ; c’est cette orientation stratégique qui explique, en grande partie, notre décision de ne pas participer à EspritMeuble 2019. Nous devons faire des choix en termes de salons, et l’international représente, pour nous, une voie de croissance que nous voulons développer. Enfin, Mérinos remporte un franc succès avec sa FrenchLine, disponible chez les spécialistes. »
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Patrick Réguillon / DG Technilat & Biotex
« La meilleure voie de développement reste la différenciation, sur tous les segments de gamme »
« Le secteur de la literie est en forte progression depuis une dizaine d’années : mécaniquement, il est « normal » que cette évolution ralentisse… d’autant que le climat général n’est pas forcément très positif : la literie est un achat d’une certaine valeur, les consommateurs sont beaucoup dans l’attentisme. Cette stagnation signifie aussi, sans doute, que l’échéance de renouvellement d’une literie n’a pas encore été réduite comme il le faudrait.
Chez Technilat, nous observons une croissance aux alentours de + 10 % depuis 3 – 4 ans ; 2018 n’a pas dérogé à la règle avec + 15 % enregistrés sur l’année calendaire ; sur 2019, pour l’instant, nous suivons également une très belle courbe… Ce sont là les résultats de plusieurs actions : la finalisation de nos investissements industriels (la nouvelle usine est opérationnelle depuis 6 mois, nous permettant d’augmenter la capacité de production et de raccourcir les délais), et la commercialisation des nouveautés présentées fin 2018 sur EspritMeuble, à savoir la collection Nature et le sommier Synchroflex (à noter, par ailleurs, que nous avons participé à la Foire de Paris pour la première fois avec Technilat, et cela a été un véritable succès, qui nous encourage à la refaire en 2020). Le segment hôtellerie est également très porteur : c’est ce que nous constatons avec le showroom éphémère que nous avons récemment mis en place à Paris, pour lequel nous avons convié un très grand nombre de professionnels du secteur.
Pour un fabricant de literie, la meilleure voie de développement reste la différenciation, au sens le plus large possible… c’est-à-dire même sur l’entrée de gamme. En ce qui concerne, nous jouons à fond cette carte sur notre positionnement, en misant sur la montée en gamme : ainsi, nous esquivons la bataille par le prix, la concurrence d’Internet et des produits étrangers, en favorisant l’innovation et les belles implantations ».
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Eric Mandinaud / Consultant Literie IPEA
« Plusieurs défis majeurs vont se poser aux acteurs du secteur »
« Avant 2018, les 3 exercices précédents avaient été très bons – c’est-à-dire au dessus de + 3 % – ce qui a pu être interprété comme un rattrapage d’une certaine frilosité des consommateurs observée dès 2009, lorsque la crise générale s’est déclarée : la literie n’avait pas été trop impactée par rapport à d’autres secteurs, mais les achats ont tout de même été freinés plusieurs années, jusqu’à, donc, cette reprise flagrante dès 2015. Et en 2018, le mouvement s’est effectivement tassé : l’IPEA, dans la dernière édition de son Meubloscope, a communiqué dans un premier temps sur un marché de la literie étale ; puis, selon son dossier literie annuel, l’évolution sur cet exercice aurait été, en réalité, d’un petit + 0,3 %. Cette année 2018 a également été différente des autres sur un point flagrant : là encore, sur les précédents exercices, on avait pu observer d’énormes amplitudes (+ 8 / – 8, par exemple) d’une année à l’autre, sur des mois précis ; 2018 a vu le tassement de ce phénomène, en étant un peu plus « lisse », avec seulement 3 mois un peu « faux » (autrement dit, marquant eux aussi d’importantes variations par rapport aux mêmes mois de l’exercice précédent, mais dans des proportions moindres). Cela pour dire qu’en général, un marché chaotique, alternant fortes hausses et fortes baisses, ne présage généralement rien de bon… Cela a pu se vérifier. Disons que 2018 a été une sorte de régulation du marché, après de très belles évolutions sur la durée. Concernant les circuits, la Grande Distribution se serait légèrement repliée en literie, tandis que les spécialistes ont observé une légère croissance ; la VPC / pure players, de son côté, a été grande gagnante avec une progression significative.
2019 démarre bien, avec un cumul positif sur le premier trimestre. On se rend compte que désormais, mars devient un mois particulièrement stratégique : les spécialistes y calent beaucoup de communication, de nouveaux produits arrivent alors que les magasins offrent plus de place puisque sortant des soldes…
Immédiatement, et sur les années qui viennent, plusieurs défis de taille vont se présenter aux acteurs – fabricants et distributeurs – de la literie. Concernant les premiers, tout d’abord, subsiste la problématique de la clarification de l’offre : songez qu’il y a 3 décennies, une petite trentaine de marques animaient le marché ; aujourd’hui, avec la prolifération des MDD et l’arrivée des nouveaux acteurs, il y en a 5 fois plus ! Cela me fait dire que les « grandes » marques doivent placer la communication comme l’une de leurs priorités, car si elles bénéficient encore de potentiel avec une certaine catégorie de population plus âgée, quid du renouvellement à opérer auprès des jeunes générations, qui ne les connaissent pas forcément ? C’est ici un cas de marketing incroyable ! En deuxième lieu, concernant la distribution spécialiste, on s’aperçoit que celle-ci est, depuis 4 ou 5 ans, à une période charnière, en ce sens où elle commence à saturer en ouvertures : les créations de magasins n’ont été que très légèrement positives en 2018, si on déduit les fermetures. La « petite bataille » entre les différents circuits continue d’exister, les évolutions de chacun d’eux font le yoyo d’un exercice à l’autre, c’est là un autre enjeu pour l’avenir… Enfin, les acteurs du secteur vont se trouver confrontés à un autre défi de taille sur les prochaines années : l’évolution de la population acheteuse de literie. Globalement, le nombre de Français augmente, mais qu’en est-il de la structure de la population susceptible de s’équiper en literie les prochaines années ? Sur une tranche large de 20 – 80 ans, on sait bien, par exemple, que les plus âgés ne vont pas être ceux qui s’équiperont le plus en nouveaux matelas… Les perspectives de « débouchés », selon une étude sur l’impact du chox démographique que nous menons en ce sens à l’IPEA, sont ainsi moins encourageantes. Toute la question sera, alors, de trouver d’autres voies de développement pour les acteurs ».
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Christophe Patard / Directeur des opérations et d’enseigne Place de la Literie
« La valeur perçue d’un produit doit passer aussi par une marque »
« Au vu des résultats du marché obtenus en 2018, on peut, à mon sens, avancer 2 problématiques majeures. D’une part, comment quantifier, de manière précise, un marché national qui voit exploser le nombre de fabricants européens ? D’autre part, il faut souligner le recul du panier moyen – toujours à l’échelle nationale – essentiellement dû à une communication massive de la part des pure players, mais aussi à la multiplication des MDD… Aussi, je crois que l’évolution du marché de la literie n’est évidemment pas uniquement entre les mains des distributeurs ; les fabricants ont également un rôle majeur à jouer en termes d’innovation, de communication et de différenciation. Aujourd’hui, les grands noms de la literie française doivent absolument continuer de progresser, et protéger le circuit des spécialistes… afin que la valeur perçue d’un produit ne passe pas seulement par une épaisseur ou la beauté d’un coutil, mais bien par une marque !
Concernant les distributeurs spécialistes en général, on continue de constater que de gros efforts sont menés sur des réflexions visant à faciliter l’achat de la literie pour le consommateur : c’est, à mon sens, extrêmement positif. Attention toutefois, au comportement desdits consommateurs qui a beaucoup évolué, et qui fait qu’aujourd’hui, nous avons affaire à des personnes extrêmement bien renseignées… mais aussi méfiantes, suite aux déviances de certains au cours de ces dernières années. Il est donc impératif que l’ensemble des mesures prises par la distribution spécialiste soient parfaitement saines vis-à-vis du client final, cela afin de voir progresser le marché sur ce circuit.
Chez Place de la Literie, nous avons clôturé, fin mars, notre exercice annuel sur un résultat en progression à 2 chiffres, à périmètre constant : ceci a été obtenu, en partie, grâce à de très bons soldes d’hiver. Ce premier quadrimestre 2019 devrait ainsi être positif, malgré une légère baisse de fréquentation en avril et début mai… Après de nombreux changements survenus au cours des deux dernières années, une autre actualité majeure se dessine pour nous, avec la refonte intégrale de notre site web : nous le repensons pour être notre plus belle vitrine, mettant en avant nos différentes collections, et ainsi générer du trafic en magasins. Parallèlement, le développement se poursuit : 6 nouveaux magasins, au total, auront été signés sur ce premier semestre 2019, forts du succès de nos récentes ouvertures. »
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Maxime Sidot / Directeur opérationnel France Literie
« Les spécialistes ont déjà identifié de nombreux leviers de progression : il faut les exploiter à fond ! »
« J’explique l’exercice 2018 étale par deux causes essentielles qui ont précipité ou aggravé la situation : d’une part, la conjoncture, et plus précisément le contexte social, dans la mesure où bon nombre de magasins, en fin d’année ont fait des samedis à zéro chiffre car privés de leur clientèle à cause des blocages des zones commerciales, ou tout simplement fermés… Cela a évidemment eu une incidence sur l’exercice global du secteur. En second lieu, on constate que beaucoup d’acteurs se cherchent, que ce soit en termes de positionnement, de produits, de segments de prix, ce qui peut être très perturbant pour le consommateur… tout comme le nombre de marques qui existent aujourd’hui sur le marché. Or, l’achat de literie est réfléchi, il n’y a pas d’impulsion sur ce créneau ; et ce contexte perturbant n’a pour autre effet que de repousser la décision d’achat. Cela d’autant plus qu’aujourd’hui, on sait que notre concurrence s’est élargie à d’autres acteurs indirects, d’autres secteurs (high tech, loisirs, etc.)
France Literie a réalisé une année 2018 plutôt correcte, au vu de cette conjoncture ; le réseau a fait un bel exercice, y compris à surface constante. Ce premier quadrimestre 2019 est, lui, excellent, puisque nous avons tous les mois en croissance, avec un avril exceptionnel ! Notre plus grosse progression ne s’est pas faite seulement pendant les soldes, ce qui prouve l’efficacité de notre stratégie de communication, et la compétence de nos équipes en magasins, qui parviennent à se démarquer et à transformer. Cela fait quelques années, maintenant, que le positionnement de France Literie est stable, bien assis dans le paysage : c’est un choix gagnant. Ce travail que nous avons fait – et que nous faisons encore – est destiné, avant tout, à sécuriser – j’insiste sur ce terme – le réseau, pour ensuite le faire perdurer en développant un business serein.
Généralement, le circuit des spécialistes literie semble s’en être bien sorti en 2018. C’est encourageant, mais ils doivent encore plus tirer leur épingle du jeu. Nous sommes armés pour répondre aux consommateurs, lui apporter de la valeur ajoutée, à l’heure où il perd ses repères. L’enjeu est de lui offrir confiance et sécurisation, conseils et services, etc. Nous devons faire en sorte que la démarcation de ce circuit spécialisé, alors que les autres ont plutôt souffert, soit un mouvement de fond. Car c’est en effet vraiment à nous, spécialistes, d’entraîner ledit mouvement, de le transformer : nous avons identifié des leviers de progression (l’éducation du consommateur, par exemple) alors exploitons-les à fond !
Chez France Literie, l’un des objectifs majeurs pour le reste de 2019 est de continuer d’accompagner nos équipes, en poursuivant le programme de formation récemment mis en place : si la communication a pour effet d’attirer en magasin, la formation, elle, permet la transformation. Accompagner nos concessionnaires passe aussi par la mise à leur disposition d’une offre produits optimale, et c’est la raison pour laquelle nous avons refondu une grosse partie de nos collections, ce qui s’avère déjà très porteur… Il est question, aussi, d’entretenir la notoriété de l’enseigne (toujours placée au deuxième rang en notoriétés spontanée et globale, concernant les spécialistes literie), en maintenant le même niveau de communication qui a fait ses preuves : France Literie sera donc, notamment, de nouveau présente en TV très bientôt. Enfin, tout en restant fidèle à notre positionnement, nous voulons conquérir de nouvelles cibles, autrement dit des consommateurs qui ne seraient pas encore, à ce jour, dans notre portefeuille clients : or, sur notre segment de marché, il y a d’autres opportunités à exploiter ! »
>> Retrouvez la suite de l’enquête literie 2019, avec les interventions de Jacques Schaffnit (Adova Group), Geoffrey Thiriez (Thiriez Literie), Wolf Stolpner (Grand Litier), Gérard Delautre (APL), Ovidiu Petreaca (Hilding Anders), Michel Crespi (La Halle au Sommeil), ainsi qu’un point sur le Groupe MDL, dans le numéro de la semaine !