Comment les entreprises peuvent-elles utiliser leur marque pour répondre aux attentes d’aujourd’hui, et créer du lien avec les clients ? Comment peut-elle contribuer à donner du sens aux produits ? Comment faire évoluer sa marque pour conquérir de nouveaux clients, sans s’éloigner de ceux que l’on a déjà ? Telles sont les questions qui étaient au centre de la journée organisée par le french Design by Via et l’Ameublement français le 23 octobre.
Pour les acteurs du marché, la marque est un moyen d’exprimer un ensemble d’options stratégiques qui s’incarnent dans le produit – créativité, fonctionnalité, durabilité, savoir-faire, inscription dans la tendance… – et constituent l’ADN d’une entreprise. C’est la réunion de toutes ces composantes qui fait l’image de marque, la valeur ajoutée du produit, le prix que le consommateur est prêt à payer pour l’acquérir et la profitabilité de l’entreprise. Mais attention, les règles du jeu et les attentes des clients ont changé, comme l’ont montré les intervenants de cette journée sur le thème « La Révolution des marques ».
Mettre le client au centre de la marque
Pour Meryem Amri, Directrice connaissance et expérience client à l’Union des marques (UDM)(1), c’est le client qui doit aujourd’hui être au centre de la stratégie de marque. La valeur des marques ne cesse de croître – la valeur cumulée des 100 plus grandes est passée de 988 à 2130 milliards de dollars entre 2001 et 2018 – et les nouveaux usages sont souvent matérialisés par une ou des marques, par exemple l’américain Casper et le français Tediber pour le concept innovant de matelas universel vendu sur Internet et livré roulé en mode express. Mais surtout, nous sommes entrés dans une sorte d’« ère du soupçon » : notre modèle de société de consommation est remis en question, 57 % des Français estiment qu’il faut sortir du mythe de la croissance infinie, et 52 % d’entre eux affirment ne pas faire confiance aux grandes entreprises*.
Dans ce contexte, Meryem Amri estime que les marques doivent se tourner vers le client – dans le cadre d’une stratégie « customer centric » – pour lui offrir une expérience différenciante et surtout cohérente, en respectant quelques principes comme ne jamais oublier que l’expérience du client est une expérience de marque, toujours panacher l’excellence technique avec le facteur humain, utiliser la personnalisation pour nourrir la fidélité dans le temps, ou encore infuser de l’émotion pour aider à la différenciation. Elle propose pour cela de prendre en compte 5 grands enjeux : un enjeux éthique, pour redonner du sens à la marque, répondre à la défiance et l’anxiété du consommateur, en améliorant sa qualité de vie ; un enjeu d’écoute, en étant réellement « customer centric », car 80 % des entreprises pensent offrir une expérience client supérieure à la moyenne, alors que 8 % seulement d’entre elles offrent une expérience de qualité selon les clients**; un enjeu de réceptivité, consistant à investir les nouveaux territoires médiatiques et points de contact, face à la baisse d’audience des médias classiques ; un enjeu d’efficacité, qui doit inciter à mesurer et rendre les actions marketing plus efficaces et qualitatives ; et enfin un enjeu d’écosystème, consistant à faire face à l’évolution permanente des outils et actions, notamment en internalisant certaines tâches qui étaient confiées aux agences, comme la publicité programmatique et la stratégie créative.

Les marques et leur raison d’être
Il faut donc innover, mais en se posant de nouvelles questions en phase avec notre époque. Ainsi, pour Sébastien Marquant, expert à la société Immaterra, qui accompagne les acteurs économiques dans la mise en œuvre de modèles économiques plus efficients sur le plan environnemental, social et monétaire, « Il faut aujourd’hui se poser la question de la raison d’être de son entreprise, qui est une source d’innovation servicielle et de valorisation pour la marque ». Autrement dit, il ne suffit pas de proposer un produit, il faut aussi qu’il génère des bénéfices d’usage, sur lesquels l’entreprise se rémunère tout autant, et qui font partie de son modèle économique. « Quelles sont les raisons profondes pour lesquelles vos clients viennent vers vos produits ou vos services ? », telle est la question clé qui doit pousser l’entreprise à prendre des engagements ambitieux, et à tout mettre en œuvre pour les tenir, pour refonder la relation entre la marque et le client.
Des exemples parlants ? Celui de Décathlon : son activité est la conception et la commercialisation d’articles pour les sportifs, et sa raison d’être « rendre durablement les plaisirs et les bienfaits du sport accessibles au plus grand nombre. » Ou celui du fabricant de literie Adova Group, dont la raison d’être est de « créer des solutions adaptées à tous qui améliorent le sommeil de chacun tout au long de sa vie, faire du bien dormir un droit fondamental universel. » Des clés existent pour atteindre ce modèle plus vertueux, comme passer d’une marque contractuelle à une marque relationnelle, en coopérant pour gagner en efficience. Et l’intervenant de prendre pour exemple le groupe d’agencement Hasap, né du rassemblement de cinq entreprises aux expertises complémentaires, qui jouent collectif pour offrir au client une prestation globale, avec un seul interlocuteur. Ainsi, une offre intégrée peut générer efficience et innovation servicielle, quand par exemple un distributeur de mobilier de bureau intègre à son offre une amélioration du bien-être au travail qui est génératrice de performance pour son entreprise cliente, ou quand un fournisseur de mobilier ergonomique facilite le maintien à domicile de personnes âgées. Autre piste, accompagner l’évolution des usages en matière de consommation responsable, en passant d’un modèle de type « J’achète, je consomme et je jette », à un modèle de type « Je contracte, je coopère, j’utilise et je restitue ». Enfin, Sébastien Marquant invite, en dernier point, les entreprises à mettre en place un processus d’innovation serviciel dans l’entreprise qui soit un facteur différanciant pour la marque.
ADN des marques : un capital pour prospérer
Pour associer à la théorie des expériences concrètes, la journée a donné lieu à une table ronde, où des responsables de l’ameublement ont expliqué comment ils font vivres leurs marques, et comment ils en tirent leur valeur ajoutée. Comme l’indique Estelle Wierzejwski, directrice marketing et communication de Canapés Duvivier, beaucoup d’initiatives ont été prises pour faire évoluer cette marque depuis l’arrivée de son nouveau dirigeant Aymeric Duthoit en 2016 : « Nous avons créé un nouveau logo, et initié des collaborations avec de nouveaux designers, explique-t-elle, nous avons aussi développé notre présence sur les réseaux sociaux, et fait de notre show-room parisien une véritable maison pour notre marque. » Ce lieu est en effet devenu un lieu d’exposition, pour des œuvres d’art et photographiques, à travers lequel la marque exprime ses nouvelles valeurs de qualité, de créativité et d’exclusivité. « Notre volonté est maintenant de nous tourner vers des clients plus jeunes, sans perdre notre clientèle actuelle, ce que nous faisons en conservant notre ADN, tout en ayant un discours de vérité et de simplicité, ce que veut la jeunesse d’aujourd’hui ». Le fabricant doit aussi obtenir l’adhésion de ses distributeurs, et convaincre de nouveaux partenaires de le rejoindre.
Autre témoignage, le designer Emmanuel Gallina, qui travaille notamment pour des éditeurs de référence comme Poliform ou Burov, a évoqué l’importance d’avoir un discours cohérent et constant, à travers l’exemple de sa collaboration avec AMPM, la marque tendance de la Redoute : « Une option forte a été prise, consistant à amener de la créativité et de la différenciation, pour se rapprocher du haut de gamme tout en restant fidèle à un positionnement accessible, explique-t-il. C’est cette formule, impulsée sous la direction artistique de François Bernard, qui est à l’origine du succès. » Pour se différencier des très nombreux acteurs d’Internet, la marque est en train d’ouvrir un nombre croissant de points de vente, pour que les clients viennent vérifier que la promesse de qualité des produits est tenue. Enfin, Baptiste Nelter, directeur marketing et collections de Lafuma Mobilier a évoqué la métamorphose de cette marque créée en 1930, qui a longtemps été associée au camping, jusqu’au plan social des années 1980, qui a décidé de son orientation stratégique vers Lafuma Mobilier : « Le nouveau dirigeant Arnaud Dumesnil a dépoussiéré la marque, pour éviter qu’elle vieillisse avec ses clients. En remettant à plat son ADN, nous avons constaté que nous avions un discours trop technique sur notre fabrication, et nous avons créé des collaborations avec des designers, comme récemment le collectif Big Game, pour y ajouter du style, et devenir une vraie marque de mobilier. » Lafuma Mobilier fait mouche avec ses vertus en fonctionnalité et environnement, qui lui permettent d’être en croissance de 50 % dans les pays scandinaves. Des exemples de repositionnements de marques réussis à méditer.
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[Zoom]
Le design au service de la marque
Designer positionné dans le haut de gamme voire le luxe, Reda Amalou a fait part de son expérience pour montrer comment le design est un outil de construction et de pilotage de la marque. « On fait souvent appel à moi avec une idée floue et le sentiment qu’il manque quelque chose à son produit, explique-t-il. Pour répondre à cette attente, le designer doit s’imprégner de l’ADN d’une marque, pour l’interpréter à sa manière sans la trahir et en y apportant sa propre sensibilité », explique-t-il. Un exercice subtil auquel il s’est livré notamment pour le manufacturier de canapés Hugues Chevalier. « Cette marque est associée aux Arts déco et au chic parisien, aux placages de bois véritable, au cuivre, au cuir, et aux textiles, une base que j’ai utilisée pour les modèles de la collection Saint-Germain, en y insufflant quelque chose de singulier, une touche de modernité. » Le designer attire aussi l’attention sur le nom des créations, qui doit être évocateur, raconter une histoire.