Quelque chose s’est cassé au milieu de ce mois de septembre 2014 en France. Brusquement la demande a fléchi, non seulement pour les biens durables, mais aussi les produits textiles, jusqu’à l’alimentation. Une telle réaction, par sa violence et son extension, n’était prévue par personne. Elle met en cause les prévisions de ventes de tous, et aussi celles de croissance de la puissance publique, même rabotées à 0,4 % cette année et à 1 % l’an prochain. L’explication du choc de la date est celle de l’arrivée du solde des impôts. Elle a surpris ceux qui ne faisaient pas tous leurs calculs, dans le monde compliqué de la fiscalité où nous vivons. Plus profondément, cette inquiétude pour la demande de meubles, qui va jusqu’à atteindre l’alimentation, d’habitude bien plus résistante aux chocs, vient d’autres sources. La première est celle de la croissance mondiale qui faiblit et de toutes les mauvaises nouvelles qui nous entourent. Désormais, on perçoit que les pays émergents s’interrogent sur leur devenir, Chine en tête, la Russie étant pour sa part au bord de la récession. Les autres pays émergents, et plus généralement le Moyen-Orient, sont au cœur d’une crise qui affecte le monde.
LA ZONE EURO PARAÎT LA PLUS FRAGILE
La sortie de crise paraît ainsi plus compliquée et plus longue encore que prévu, et surtout plus tendue entre les différents pays. Pour « chercher » de la croissance, les taux d’intérêt sont abaissés au maximum, à la fois à court et à long terme, avec l’idée, incidente, de faire baisser le change (alias le dollar). Les salaires sont sous pression dans beaucoup de pays. Les Etats-Unis sont à l’avant-garde de la sortie de crise, mais en ayant utilisé toutes leurs ressources monétaires. Et ils s’inquiètent aujourd’hui de la remontée des taux et de celle du dollar ! Comment l’éviter ? C’est cette inquiétude qui se transmet aux marchés des actions et fait plonger les bourses. Et pourtant, les Etats-Unis vont vers 2 % de croissance cette année, vers 3 % l’an prochain. Tout le monde ne peut en dire autant.
La zone euro paraît la pièce la plus fragile de cet ensemble. Il fut un temps où l’Allemagne faisait figure de locomotive de la croissance en zone euro, derrière les Etats-Unis. Tel n’est plus le cas. Coincée entre des Etats-Unis qui font « plus attention », une Chine qui « achète moins », un Japon très compétitif pour avoir fait chuter le Yen et une zone euro à l’arrêt, les exportations allemandes ne peuvent que freiner. Les interrogations sur la zone euro sont alors d’autant plus vives que l’on se demande d’où pourraient venir ses soutiens. De la demande interne, non. Des soutiens monétaires : au mieux pas beaucoup, et pas tout de suite. Des soutiens par de grands programmes de travaux public, de recherche, d’aides à l’innovation et à l’économie numérique : c’est en discussion, avec une certaine opposition de l’Allemagne, une résistance au moins.
LES FRANÇAIS ATTENDENT ET ÉPARGNENT PLUS
La France, dans ce contexte, paraît fragilisée. Pas de croissance, pas d’inflation, un chômage qui monte encore et des ménages toujours plus inquiets. Assez étrangement, les Français reconnaissent à peine que les prix augmentent moins, alors que très souvent ils baissent. Et ils n’en profitent pas pour acheter. Même s’ils se disent, dans les enquêtes, que les prix vont remonter (mais comment et d’où ?) ils épargnent davantage et repoussent leurs achats de biens durables.
Les Français sont donc très inquiets, inquiets de la situation actuelle et future de l’économie, de la politique du gouvernement, de Bruxelles, inquiets de tout. Au lieu de profiter des prix qui baissent, ils attendent et épargnent plus, ce qui ne peut que renforcer la morosité ambiante. Dans la tête des Français, c’est une mauvaise configuration qui s’installe : pas d’inflation aujourd’hui mais plus demain, pas de croissance aujourd’hui et à peine plus demain, donc des impôts aujourd’hui et un peu plus demain, en particulier si la politique familiale est revue pour être moins favorable aux classes moyennes. C’est donc de l’épargne financière aujourd’hui et plus demain, même si elle n’est pas rémunérée.
UN ENJEU : DES « VICTOIRES RAPIDES »
Pour en sortir, il faut évidemment que la croissance reprenne et, d’abord, la confiance. Or le climat pousse à l’inquiétude, avec les bourses qui baissent, les pressions « bruxelloises » et les lois sur la reprise économique (loi Macron) dont le bénéfice paraît diffus et lointain. Si, en théorie, on peut penser que les pressions sur les prix de certaines professions (taxis, pharmaciens…) auront à terme un effet favorable sur la croissance de tous, libérant du pouvoir d’achat, le processus intermédiaire s’avère complexe. En effet, ceux qui souffriront de cet ajustement le savent directement et immédiatement. Ils réduisent par avance leur demande, tandis que les effets globaux à en attendre sont plus lointains et incertains.
Bref, quand Monsieur Valls a parlé de menace de déflation, lors de sa prise de responsabilité, il a inquiété et alarmé. Sans que tout ce qui se passe soit évidemment imputable à ses propos, il faut reconnaître qu’il a orienté les esprits vers un terrain nouveau. Ajoutons que toutes les mesures politiques en cours, qu’il s’agisse des professions réglementées d’un côté, ou bien d’économie de la dépense publique de l’autre, sans compter les débats portant sur le chômage et les dépenses de santé conduisent, à court terme, plus à inquiéter qu’à rasséréner.
De tels choix publics ne peuvent se poursuivre ainsi, sans offrir des voies plus favorables, des améliorations, des « victoires rapides ». Aider le logement en simplifiant la construction et en réduisant les normes, soutenir spécifiquement le secteur du meuble qui est très exposé, seraient des voies à explorer si nous ne voulons pas être guéris. Trop tard ?