David Soulard (Gautier) : « Une année riche en émotions négatives et positives »
Comme bon nombre de secteurs économiques, l’industrie et la distribution du meuble ont été secoués en 2020 par la crise du coronavirus. Tandis que la fin de l’exercice approche, le directeur général de Meubles Gautier, David Soulard, dresse un premier bilan marqué par les deux coups de massue des confinements, mais aussi le regain d’intérêt des consommateurs pour le meuble et le « made in France ». Ce dirigeant d’une marque française emblématique évoque aussi le rôle croissant du net, et la nécessité d’être toujours plus agile, qui se traduit chez Gautier par l’ouverture d’une nouvelle usine pour fabriquer à la contremarque en juin 2021.
Le Courrier du Meuble : Étant donné le contexte exceptionnel dû au coronavirus, on peut penser que Meubles Gautier a vécu un exercice 2020 pour le moins atypique. Est-ce bien le cas et pouvez-vous en faire un premier bilan ?
David Soulard : Nous avons vécu une année pleine d’émotions, et d’événements successifs. Il y a eu le choc du premier confinement le 17 mars, auquel personne n’était préparé, suivi à partir du 11 mai par l’euphorie qui est née d’une reprise tonitruante des ventes en magasin, dès le déconfinement. Malheureusement, à cette relance de l’activité a succédé la consternation de la voir stoppée à nouveau par le deuxième confinement d’octobre. 2020 restera comme une année de « montages russes », avec des hauts et des bas, aussi bien pour notre activité, que pour le moral de nos équipes, de nos salariés et de nos partenaires franchisés. En raison de ces « stop and go » successifs, notre chiffre d’affaires sera certainement en recul, de l’ordre de – 5 à -7 % sur l’ensemble de l’année, car il ne sera pas possible de rattraper un cumul de presque 3 mois de fermeture des magasins.

Collection Addict, Gautier
Il y a cependant beaucoup de positif, avec un fabuleux redémarrage des ventes suite au premier confinement, qui a été la bonne surprise de cette année. Comment expliquez-vous ce retournement ?
A partir du 11 mai, Gautier a en effet bénéficié à plein d’une reprise ultra-dynamique de l’ensemble du marché du meuble, et a même enregistré des progressions inhabituelles de ses ventes, supérieures à la moyenne du marché, pendant plusieurs mois : + 62 % de son chiffre d’affaires en juin (contre + 35 % pour l’ensemble du marché), + 25 en juillet (contre + 12 % pour l’ensemble du marché), + 25 % à nouveau en août, un mois plutôt calme en général, et + 19 % en septembre. Je crois que le confinement a eu l’effet d’un révélateur et d’un déclencheur : contraints de rester chez eux, les gens se sont aperçus que leur logement n’était pas adapté pour y passer de longues journées en famille. Depuis des décennies, les dépenses prioritaires des ménages ont été les appareils numériques, les loisirs et les voyages, ces deux derniers domaines étant devenus problématiques avec la Covid-19. Le meuble et les aménagements intérieurs sont donc devenus des dépenses prioritaires, ce qui s’est traduit chez Gautier par une explosion notamment des ventes de rangements, mais aussi de dressings et de chambres pour enfants. Les parents ont compris que, pour que leurs enfants restent dans leur chambre et leur laissent plus de liberté, il fallait qu’ils soient installés confortablement. Il faut ajouter aussi l’essor du télétravail, responsable d’une hausse très importante de nos ventes de bureaux en home office. Nous avons constaté le même phénomène d’essor des ventes à la réouverture des magasins dans tous les pays qui ont confiné, ce qui nous rend optimistes pour le marché du meuble à moyen terme.

David Soulard, dirigeant de Gautier
Le deuxième confinement est-il aussi pénalisant pour Meubles Gautier que le premier ?
Le premier confinement nous a fait très mal, non seulement en France où les magasins étaient fermés, mais aussi à l’étranger où ils sont restés ouverts (Gautier possède un réseau de 71 magasins en France et une cinquantaine à l’étranger, principalement en franchise, ndlr). En effet, l’information s’est vite répandue partout dans le monde que la France était à l’arrêt, et effectivement nous avons fermé nos usines pour répondre à l’impératif de stopper la propagation du virus et aux attentes de sécurité de nos salariés. Mais le résultat à l’export est un arrêt pur et simple des commandes, car les clients pensent qu’ils ne seront pas livrés !
Pour cette raison, nous avons décidé de laisser nos usines ouvertes pendant le deuxième confinement, en prenant bien sûr toutes les mesures sanitaires nécessaires. Cela nous a permis de continuer à alimenter nos magasins à l’export, par exemple dans les Pays du Golfe, qui avaient déjà déconfiné, ce qui a compensé, en petite partie seulement, le recul de nos magasins français qui réalisent de loin les plus gros chiffres d’affaires.
On entend dire que les acteurs du e-commerce sont les grands gagnants de cette période compliquée. Qu’en pensez-vous ?
Il ne fait pas de doute que le rôle du web se trouve renforcé par la période que nous venons de vivre. Nous avons été cette année plus que jamais sollicités sur notre site Internet, et via les réseaux sociaux, pour des demandes d’information, des questions sur les implantations, des prises de rendez-vous… Mais pour nous le modèle gagnant reste le « phygital », c’est-à-dire la complémentarité entre le digital et le magasin dans le parcours d’achat. Autrement dit, pendant les deux confinements, 80 % de nos clients ont analysé les offres, et préparé leur achat sur Internet, et ils ont attendu la réouverture des magasins pour s’y rendre, afin d’y finaliser leur projet et d’y réaliser leur achat. Un schéma « web to store » qui rappelle le rôle incontournable du distributeur en tant qu’expert du produit et du conseil. Une règle qui se vérifie d’autant plus quand on a un achat important à faire, ce qui était souvent le cas en sortie de confinement, où le panier moyen a augmenté de 20 % environ dans nos magasins. Les ventes sur Internet, et le « click and collect » ont aussi profité de ce contexte : novembre va être un mois record des ventes pour nous, mais davantage pour des achats d’impulsion, des petits produits « coup de cœur » comme ceux de la gamme Addict.

Imagine, Gautier
Quels enseignements tirez-vous de la pandémie pour Meubles Gautier, et va-t-elle infléchir votre stratégie de développement ?
En ce qui concerne Internet, nous avons constaté que les attentes en termes d’information et de convivialité des clients sont de plus en plus grandes. Nous allons donc renforcer nos équipes de conseillers en ligne, pour améliorer la qualité de service, et donner un contenu humain à ces échanges. D’autre part, les deux confinements nous ont montré que les aléas de la conjoncture sont de plus en plus imprévisibles, et qu’il faudra donc être de plus en plus agiles pour répondre aux attentes en termes de capacités industrielles. Dans ce but, l’ouverture de notre nouvelle usine, sur notre site de Saint-Prouant (Vendée), qui était planifiée avant la crise de la Covid-19, est d’autant plus justifiée aujourd’hui. En plus de notre unité de Chantonnay, qui fabrique des gros volumes, et de notre usine du Boupère, qui fabrique des lots intermédiaires de 30 à 50 pièces avec un temps de réglage très performant, cette nouvelle usine nous permettra de fabriquer à l’unité des produits entièrement personnalisés – à la contremarque donc – pour répondre aux attentes d’un client qui veut choisir ses options et ses finitions. Cette nouvelle usine, dont la livraison a été retardée par la pandémie, est prévue en juin 2021. Elle permettra aussi de fabriquer sur mesure, à destination des marchés du projet et du contract. Les incertitudes liées au coronavirus nous incitent donc à produire de plus en plus en flux tendu, et à limiter les stocks qui créent toujours un risque d’invendus. J’ajoute que cette nouvelle façon de fabriquer vient compléter nos productions en grandes et moyennes séries pour nos partenaires de la grande distribution et nos magasins, qui sont le socle de notre activité. Cette nouvelle usine nous permet donc, selon l’expression consacrée « d’ajouter une nouvelle corde à notre arc. »
Cette année de crise sonne aussi peut-être le glas d’une certaine mondialisation à outrance, qui incite à aller chercher très loin quelque chose que l’on peut fabriquer tout près. Constatez-vous un retour en grâce du made in France ?
Il est certain que la crise du coronavirus a fait réfléchir un grand nombre de nos clients finaux, qui se posent de nouvelles questions sur la provenance, la qualité, le profil environnemental des produits qu’ils achètent, une tendance qui est accentuée par toute la problématique du changement climatique dont on parle de plus en plus. La moitié des clients qui poussent la porte de nos magasins abordent la question du made in France, de la proximité, de la réduction des transports, et disent qu’elle entre en ligne de compte dans leur achat. Il faut souligner la remarquable campagne de communication « Meublez-vous français » lancée cet été, qui a surfé sur cette prise de conscience, et qui est la première à associer à la fois les industriels de l’Ameublement français et les acteurs de la distribution. En mettant en avant les femmes et les hommes qui travaillent dans notre industrie, et l’excellence de nos métiers et savoir-faire, elle a montré au public qu’il y a derrière nos meubles tout un ensemble d’enjeux pour le maintien de nos emplois et de la vitalité des territoires où sont implantées nos usines.

Magasin Gautier Saintes
Comment envisagez-vous 2021 ?
Nous pensons que la sortie du deuxième déconfinement aura à nouveau un effet bénéfique sur les ventes, à l’image du premier : les projets qui ont été repoussés devraient se traduire en achats en janvier et février. Pour le reste de l’année, les prévisions sont plus difficiles à faire, elles dépendront de nombreux facteurs, dont les effets des difficultés économiques à venir, notamment sur le pouvoir d’achat des Français. Nous restons optimistes sur la demande en meubles, et nous fixons comme objectif un retour en 2021 au niveau d’activité de 2019, ce qui est possible et serait une bonne performance pour notre entreprise.
[Propos recueillis par François Salanne]