Tout juste élu Président de l’Unifa, Dominique Weber plaide pour une prise en compte des mutations du marché, qui placent le client final et ses exigences en position de force. Pour s’y adapter, les industriels doivent « mettre le paquet » sur la chaîne numérique
, afin de répondre aux attentes de donneurs d’ordre de plus en plus diversifiés, et refonder leur relation avec la distribution, les acheteurs et les prescripteurs, dans le cadre d’un pacte de confiance et de responsabilité.
Quel diagnostic portez-vous sur les Industries Françaises de l’Ameublement ? Quelles sont les raisons de la situation actuelle ?
La situation de nos industries n’est pas bonne, pour un ensemble de raisons économiques et culturelles, à commencer par un déficit d’investissements qui s’est cumulé avec les années, amplifié par un contexte de crise durable. Les fabricants français n’ont pas su réagir à l’envahissement du marché par les produits d’importation et se sont démobilisés. Il s’en est suivi une perte de notre compétitivité, qui a dissuadé les investisseurs de miser sur notre secteur. Parallèlement, l’idée de meuble patrimoine – celui qu’on achète pour longtemps, avec l’idée de le transmettre de génération en génération – qui a longtemps été l’ADN du meuble français, a pratiquement disparu, au profit d’un meuble produit de consommation, c’est-à-dire généralement moins cher, qu’on achète pour un temps limité, mais en fonction des tendances et des idées déco du moment. Beaucoup de nos entreprises n’ont pas su prendre ce virage à temps, et ont aujourd’hui disparu.
Comment peut-on aujourd’hui remettre les entreprises dans le sens de la marche ?
Le premier chantier que je propose est de gagner en compétitivité en modernisant l’outil industriel français. Mais il ne faut pas le faire seulement dans une optique capacitaire, qui consisterait à acheter des nouvelles machines pour produire plus et moins cher, car on voit bien que le marché n’est pas en augmentation. En nous inspirant de nos industriels qui marchent, il faut plutôt changer la nature de nos outils de production, en misant sur la chaîne numérique. Il s’agit en fait de mettre en place un système d’information intégré, qui démarre à la prise de commande et se prolonge jusqu’aux usines, en lançant automatiquement la fabrication assistée par ordinateur (FAO) du produit. C’est le seul système qui permet de répondre aux attentes actuelles du consommateur : celui-ci veut personnaliser son produit, et l’obtenir avec la qualité affichée et dans les délais qui lui sont annoncés. La chaîne numérique est la seule réponse fiable à la promesse commerciale du distributeur. Elle permet aussi au fabricant d’éditer une facture qui peut être payée dans les 48 heures par une plateforme de reverse factoring, et ainsi de se développer sans avoir besoin de fonds de roulement. L’enjeu majeur est donc aujourd’hui d’aider les patrons du meuble à transformer leur entreprise avec ce type d’outil, déjà très développé dans les pays anglo-saxons, et qui est l’un des chantiers stratégiques définis par le Medef, pour qu’ils puissent s’implanter sur les nouveaux marchés, en France et à l’international. Cette approche vaut aussi pour toutes nos entreprises, petites et moyennes, qui travaillent à la contremarque et misent sur la montée en gamme de leurs produits.
Le marché est désormais mondialisé. Comment les entreprises doivent-elles s’adapter à cette nouvelle donne ?
C’est là un autre des chantiers prioritaires que je fixe à l’Unifa : les entreprises doivent s’internationaliser, ce qui ne veut pas dire délocaliser automatiquement leurs activités, mais réfléchir à une stratégie qui fait la part des choses entre ce qui peut être raisonnablement fabriqué en France, et ce qui doit être fabriqué sur les marchés où on veut s’implanter, voire sous-traité à des partenaires locaux, en conservant le contrôle de la création et de la qualité. En effet, c’est grâce aux activités créées à l’étranger que nous pourrons nous développer, et ainsi garantir et amplifier les emplois créés chez nous. En insistant sur un point : les industriels ne doivent pas partir seuls à l’assaut d’un nouveau marché, surtout s’il s’agit d’un grand pays émergent. Je proposerai plutôt que nos entreprises se rapprochent, et confrontent leurs projets pour trouver ensemble des solutions mutualisées, en termes de fabrication et de distribution, mais aussi de logistique, en optimisant par exemple les containers et les droits de douane. Elles multiplieront leurs chances de succès, en partageant leurs réseaux et leurs expériences respectifs, sous l’égide de l’Unifa et du GEM. Comme le montrent nos confrères allemands ou italiens, il faut aujourd’hui réunir nos moyens, nos compétences et nos talents pour réussir.
Quel rôle peut jouer l’Unifa en la matière ?
L’Unifa doit avoir un rôle d’entraînement collectif et créer une dynamique commune dans nos industries. Nous avons des moyens importants, notamment grâce au Codifab, notre taxe affectée qui permet de collecter neuf millions d’euros par an et de les mettre au service de notre profession. Nous disposons aussi d’outils remarquables comme le Via pour l’innovation, le FCBA pour l’expertise technique, le GEM pour s’attaquer aux marchés export. Il faut désormais raisonner efficacité, et que toutes ces compétences se réunissent et travaillent en synergie pour tirer notre production vers le haut. Cette vision se traduira concrètement par des opérations collaboratives ciblées, qui nous permettront de nous rapprocher des principaux donneurs d’ordre du marché : les distributions de mobilier domestique bien sûr (avec la Fnaem) et professionnel, mais aussi les groupes hôteliers et les grands comptes, pour connaître leurs attentes et savoir comment y répondre. C’est avec cet objectif que nous sommes par exemple partenaires du salon Equip’Hôtel. A titre d’exemple, les deuxièmes Rencontres de l’Agencement, en février prochain, mettront à l’honneur l’innovation et l’intégration des outils numériques – notamment les objets connectés – dans les aménagements des magasins, restaurants, hôtels, lieux publics…. Voilà un thème qui mobilise les expertises, aussi bien celle du Via pour la dimension esthétique et fonctionnelle que celle du FCBA pour le côté technique, et qui est une source de valeur ajoutée pour nos produits.
En tant que Président de l’Unifa, qu’attendez-vous des industriels de notre secteur ?
Nous avons besoin, pour réussir à redresser notre secteur, d’une mobilisation plus forte que jamais de nos chefs d’entreprises, qui restent les principaux acteurs du changement… Nous serons à leurs côtés pour les accompagner dans leur mutation, répondre à leurs questions, et leur apporter les supports techniques et stratégiques dont ils ont besoin pour aller de l’avant. L’Unifa s’emparera des sujets importants de la profession, et fera en sorte de recréer de la proximité, du lien et de la convivialité entre ses adhérents, en soutenant notamment le grand rendez-vous annuel EspritMeuble, auquel elle apportera des idées et des contenus, sans se substituer toutefois à l’organisateur. Dans un souci d’efficacité, l’Unifa a mené une importante réforme de sa gouvernance pour se recentrer sur ses chantiers prioritaires, et en tout premier lieu la relance des actions collaboratives.