Au moment de quitter la présidence du Via, Henri Griffon, par ailleurs président en exercice du CODIFAB*, revient sur les étapes clés de cet organisme et explique en quoi il est plus indispensable que jamais, pour tirer l’ensemble de la fabrication française vers la création, elle-même condition sine qua non de l’exportation. Trois décennies après la création du VIA, les entreprises ont désormais entre les mains un outil opérationnel unique pour écrire une nouvelle page de l’histoire de l’industrie du meuble.
Si vous avez présidé le VIA ces trois dernières années, vous en êtes aussi un observateur attentif depuis sa création. Pouvez-vous revenir sur les grandes étapes de sa jeune histoire ?
Il faut bien comprendre que le VIA n’est pas né de la volonté des industriels de l’ameublement, mais de celle des pouvoirs publics. Dans les années 1980, le ministère de l’Industrie a compris que l’innovation est un enjeu majeur pour l’industrie française du meuble, et qu’il faut promouvoir le design français, pour faire pendant au design italien omniprésent. Le CODIFA – devenu CODIFAB par la suite – finançait déjà en bonne partie notre centre technique – le CTBA, devenu ensuite le FCBA –
grâce à notre taxe affectée en vigueur depuis 1971. Les pouvoirs publics nous ont imposé, de la même manière, de financer un organisme destiné à promouvoir la création et l’innovation dans le meuble, qui est devenu le VIA. Mais cette idée, qui était au départ une contrainte, s’est rapidement révélée être une formidable opportunité… Pour diriger cette nouvelle structure, nous avons nommé un expert du design, puisque designer lui-même et enseignant à l’ENSAD, Jean-Claude Maugirard, qui a véritablement posé les fondements du Via, en permettant à toute une nouvelle génération de designers de s’exprimer, et de percer : Philippe Starck, Pascal Mourgue, Martin Szekely, Sylvain Dubuisson… pour ne citer que quelques noms illustres. Ce qui est très important, c’est de souligner la grande liberté dont le VIA a pu disposer, dès le départ, pour défendre la création et le talent, dans le choix des projets soutenus, aussi bien que dans celui du Créateur de l’année au Salon du Meuble de Paris, où il jouait un rôle actif, et pour lequel la direction de l’UNIFA n’a jamais rien imposé.
Que faut-il retenir de la période suivante, sous la direction de Gérard Laizé ?
Jean-Claude Maugirard est resté près de quinze ans directeur du VIA et a été remplacé par Gérard Laizé en 1994 qui, lui, est resté plus de vingt ans : c’est dire si ces deux personnalités se sont investies et ont marqué l’histoire du VIA ! Jean-Claude Maugirard a beaucoup fait pour la création, et beaucoup de pièces iconiques du design français ont vu le jour sous sa direction – par exemple la chaise longue « pi » de Martin Szekely – en ouvrant des voies nouvelles. Mais les projets développés sous sa direction, souvent pointus en termes de procédés et de matériaux, sont restés assez éloignés des savoir-faire de la majorité de nos industriels, qui n’ont pas pu en bénéficier pour faire progresser leurs produits, alors que ces mêmes fabricants finançaient, par leur activité, tous ces projets… C’est pour rapprocher les recherches et les prototypes du VIA d’une part, et la réalité de notre appareil productif d’autre part, que nous avons nommé Gérard Laizé, qui est un homme de marketing, de produits, de marchés.
Pendant ses deux décennies d’activité, il a fait en sorte d’attirer les entreprises industrielles vers le design, et d’insuffler le virus de la création dans leurs gènes, en faisant preuve d’une grande énergie. Il a ainsi fait venir beaucoup d’entreprises au VIA – pas assez, penseront certains – mais avec de très beaux succès, comme par exemple Fermob, qui s’est véritablement relancée et métamorphosée grâce au design, en devenant un acteur très dynamique à l’international. Beaucoup d’entreprises de culture traditionnelle se sont rapprochées de designers pour collaborer avec eux et renouveler leurs collections, comme le montre, au fil des années, l’évolution du profil des lauréats des Labels VIA. Ils se sont nettement démocratisés.
Comment la création est-elle devenue un défi pour toutes les entreprises du marché ?
Après des années 1980 marquées par une crise économique, qui a provoqué plusieurs dépôts de bilan retentissants dans les industries du meuble, la situation s’est retournée juste après la Guerre du Golfe, car nous sommes entrés en déflation à partir de 1992. Cela signifie concrètement que le prix de vente des meubles a commencé à diminuer, lentement mais dans la durée, ce qui a entraîné l’élimination des concurrents trop chers, et une baisse de la profitabilité des autres. Dans le même temps, beaucoup de nos fabricants ont trop tardé à abandonner les produits stylisés pour se tourner vers le meuble contemporain, qui a pris petit à petit presque tout le marché. Et le mode de vie a changé : on déménage, on change de travail, on se remarie, on change sa déco plus souvent… Résultat : les consommateurs ne voulaient plus du meuble patrimoine que l’on garde toute la vie, mais au contraire des produits tendance, faciles à vivre et à renouveler. Depuis cette mutation, les fabricants font face à une équation majeure :
fabriquer des produits qui soient beaux, utiles et pas chers ! Ce qui correspond, n’ayons pas peur de le dire, à la culture Ikea. Autrement dit, il faut aujourd’hui faire appel à des designers extérieurs, être à l’écoute des changements, faire évoluer ses produits de façon réactive. C’est exactement la mission qui est celle du VIA, de mise en relation et de décryptage du marché, ce dont les entreprises ont besoin plus que jamais. Ce chamboulement du marché a été analysé, par les meilleurs spécialistes, dans la collection « Design & » en quinze volumes, éditée par le VIA, et qui est toujours d’actualité.
Le VIA entre-t-il aujourd’hui dans une nouvelle période ?
Son nouveau directeur, Jean-Paul Bath, présente un profil encore différent, puisqu’il est un ingénieur des travaux publics, avec une culture industrielle et, en même temps, une sensibilité artistique contemporaine, puisqu’il a été responsable de la communication du Centre Pompidou. Avec lui, nous entrons effectivement dans une nouvelle ère, qui doit être celle du pragmatisme, autrement dit celle où la création, la nouveauté, les nouveaux matériaux et procédés doivent se traduire non seulement en produits industriels, mais en produits de grande diffusion… Nous sommes entrés dans la période du « less is more » (le « moins » fait le « plus »), cela n’a plus de sens de faire un produit magnifique mais confidentiel, réservé à quelques passionnés ou collectionneurs. Aujourd’hui, la réussite, c’est la grande diffusion, le produit qu’on voit partout, que tout le monde – ou presque – peut acheter, et dont les journaux parlent, avec la formidable chambre d’écho d’Internet. Ce n’est pas un hasard si les grands architectes dessinent des meubles : ils peuvent les montrer partout et en faire des vecteurs de leur image et de leur communication ! L’enjeu n’est plus la rareté mais la diffusion, nous sommes donc passés d’un design « décoratif » à un design « démocratique ». Ce qui n’empêche pas de concevoir des produits de qualité ou haut de gamme, le luxe s’étant lui aussi démocratisé.
Un autre enjeu est apparu ces dernières années : celui de l’exportation. Pour se développer, les entreprises doivent vendre hors de nos frontières, mais pas n’importe quoi : seuls des produits créatifs, originaux, différenciants ont une chance de réussir à l’export. On voit bien que la créativité, l’intelligence du produit sont bien à la base de tout.
Précisément, qu’en est-il de la situation du CODIFAB, le financeur du VIA, dont vous êtes le président en exercice ?
La baisse du nombre d’entreprises du meuble, et la contraction de leur activité pour la plupart d’entre elles, ont entraîné mécaniquement une diminuation des ressources du CODIFAB, puisque celles-ci dépendent de leur facturation. Nous avons donc été contraints de réduire nos dépenses et de faire des choix. J’observe cependant une inversion de tendance, puisque le volume d’activité des fabricants français semble repartir à la hausse en 2015. D’autres changements nous poussent à l’optimisme : depuis 2010, les sept syndicats professionnels de la deuxième transformation du bois ont rejoint l’ancien CODIFA qui, du coup, s’est transformé en CODIFAB, avec des conséquences importantes : nous avons désormais plus de moyens pour financer des projets communs, notamment pour la promotion du bois, et créer des synergies entre nos métiers. Ce rapprochement s’est déjà traduit par notre déménagement au 120 avenue Ledru-Rollin, dans un immeuble que nous occupons avec nos nouvelles fédérations partenaires. Nous espérons aussi que les projets d’immeubles en bois de grande hauteur, portés par l’association ADIV’Bois et le CODIFAB, se traduiront par de nouveaux marchés à la fois pour les entreprises de la construction bois, et celles du meuble et de l’aménagement des espaces de vie.
Quelles seront les priorités du CODIFAB ces prochaines années ?
Les missions du comité restent les mêmes, à savoir financer une partie importante des activités de notre centre technique FCBA, financer la formation dans notre branche avec nos trois centres AFPIA en région, et soutenir la création dans les entreprises et l’exportation, en rappelant que la première est une condition de la seconde. Pour cette raison, je pense qu’il nous faut concentrer nos efforts sur la création et l’innovation d’une part, et l’internationalisation d’autre part, qui sont les enjeux actuels majeurs. Pour faire connaître les réflexions et les travaux de notre profession à l’extérieur, je souhaite la création d’un Observatoire du mode de vie, à l’image de ce qui existe avec Actineo pour les espaces tertiaires, qui nous permettrait de diffuser nos messages vers le consommateur final, et de le sensibiliser aux atouts d’un meuble domestique d’aujourd’hui, beau, utile et pas cher, que nous pouvons fabriquer en France… Mes trois années de présidence ont été des années de transition, qui ont permis de tout remettre en ordre et de désigner un nouveau directeur général pour repartir sur de bonnes bases. C’est maintenant aux entreprises de se tourner vers le VIA d’une manière décomplexée : elles disposent d’un outil opérationnel, qui a fait ses preuves et qui est mûr pour les accompagner vers la création et vers les nouveaux marchés. Autrement dit, le VIA sera ce que les industriels du meuble en feront !
[Propos recueillis par F.S.]
*Depuis sa création, le VIA est financé par le CODIFAB (Comité professionnel de Développement économique des Industries Françaises de l’Ameublement et du Bois) qui gère une taxe au service de la profession et plus spécifiquement de l’innovation et de la création.