Cauval a annoncé la nomination de Jean-Louis Baillot au poste de directeur général opérationnel du groupe, effective début décembre. Celle-ci intervient dans le cadre du renforcement de la stratégie de l’entreprise, fondée sur « l’identité et la force » de ses marques, qui fait suite à une période de réorganisation lourde… Celui qui fut notamment DG d’Ikea France, durant 13 ans, s’exprime sur ses missions futures.
Comment votre nomination a-t-elle été décidée ?
Très simplement, je connais Gilles Silberman à travers les organisations professionnelles du secteur auxquelles j’ai pu prendre part (voir encadré) ; en revanche, je n’ai jamais été client du groupe Cauval [Ikea possède sa propre marque de literie, ndlr]. J’ai donc eu l’occasion de beaucoup discuter avec lui, jusqu’au jour où il m’a demandé, il y a de cela environ 2 mois, si je pouvais éventuellement prendre la direction du groupe ; je n’ai pas accepté tout de suite, car j’avais bien évidemment besoin d’un temps de réflexion. Ce n’était pas le tout de dire oui, il fallait aussi que je me demande si je pourrais apporter quelque chose à l’entreprise… et m’assurer, aussi, que lui, de son côté, serait capable de prendre le recul nécessaire car tout simplement, il semble difficile d’avoir 2 pilotes dans l’avion ; il m’a confirmé que ce serait le cas, ce qui m’a décidé. Vous savez, Gilles Silberman est vraiment une figure emblématique du groupe, donc ce n’était pas forcément évident… Mais il a été à l’initiative d’un très gros travail de réorganisation, de restructuration depuis plusieurs années, donc sans doute était-il temps aussi, pour lui, de laisser « un peu » la main à un directeur opérationnel. Nous verrons comment les choses se dérouleront, mais pour ma part, considérant les échanges que nous avons eu jusqu’ici, je pense que nous sommes en phase.
Ce poste de directeur opérationnel n’avait jamais existé, jusqu’alors, au sein du groupe ?
Non. Il y a eu des directeurs généraux, mais qui ne couvraient pas l’ensemble des activités du groupe. C’est donc, dans un sens, quelque chose de nouveau.
Beaucoup passent de l’industrie à la distribution, mais l’inverse est beaucoup moins vrai… C’est pourtant votre cas !
La question ne s’est pas posée dans ces termes. Cela était plus une question d’opportunités, de savoir si, grâce à la connaissance que je pense avoir de ce secteur et de son marché, je pourrais apporter quelque chose à la société… Industrie ou distribution, pour moi, il n’y a pas de dichotomie : ce sont avant tout un marché, des clients, à propos desquels je possède une certaine expérience.
Justement, quelles expériences concrètes vécues chez Ikea pourraient vous servir au sein du groupe Cauval ?
Beaucoup de choses, mais il y a tout de même un ordre de priorité. Tout d’abord, il faut impérativement être orienté clients : dans le cadre d’une industrie, nous avons bien évidemment des clients finaux, mais aussi des clients distributeurs, qui sont des partenaires. Aussi, il est important, aujourd’hui, d’avoir cette philosophie de la satisfaction du client. Je sais bien que cette idée est un peu galvaudée aujourd’hui, toujours est-il que certaines entreprises ne sont pas – ou pas suffisamment – orientées clients… or on s’aperçoit que celles qui ont les meilleurs résultats sont les mêmes qui font de ce point une priorité.
Ensuite, en ce qui me concerne, je viens du low cost : autrement dit, j’ai appris tout au long de ma carrière que pour vendre des produits avec profitabilité, il fallait avoir des coûts les plus bas possibles. Cela ne veut pas forcément dire que ce sont uniquement les coûts industriels sur lesquels il faut rogner : cette philosophie doit plutôt être appliquée dans tous les rouages de la société, en d’autres termes… ne pas dépenser plus que ce que l’on a. En second lieu, même si aujourd’hui, on parle d’Ikea comme un succès, il faut se dire que l’enseigne a elle aussi été petite au début, a connu des difficultés, a rencontré de l’adversité… et j’ai justement appris que devant cette adversité, il fallait faire face, ne jamais baisser les bras, et être quelque part un peu « têtu ». L’important, aussi, est d’oser faire les choses différemment, et de les simplifier – nous avons souvent tendance à les rendre plus compliquées qu’elles ne le sont – notamment au niveau des process, des hiérarchies, etc.
Quel regard apportez-vous sur la situation du groupe et les tourments qu’il a connus récemment ?
Vous savez, depuis que je suis dans cette profession, enfin plus précisément sur les 5 dernières années, on a toujours annoncé la mort de Cauval… La situation du groupe est effectivement très complexe, dans la mesure où ce qui est l’un des plus gros groupes industriels français – avec près de 3 000 salariés – est dans le même temps une société qui ne gagne pas d’argent. Alors bien évidemment, dans de telles conditions, il est compliqué de « tenir ». Il faut donc se pencher sur les causes de cette situation, pour mettre en place des choses afin que demain, le groupe retrouve sa profitabilité… Le groupe jouit de sites industriels aux grandes compétences, de très belles marques à la forte notoriété et au savoir-faire incontestable, et sait faire preuve d’innovation… Or, les difficultés financières dont peut souffrir une société s’apparentent à des grains de sable dans ses rouages : cela pose des problèmes d’achats de matière, de logistique, de livraison, etc. jusqu’à devenir un problème permanent et récurrent. C’est notamment pour ces raisons que très vite, nous devrons commencer par nous concentrer sur son premier souci, à savoir celui de la profitabilité. Le groupe a souffert d’une image chahutée, ces derniers temps : je crois personnellement qu’il y a pourtant des choses à faire… sinon je ne l’aurai pas rejoint ! Après une restructuration lourde maintenant aboutie, Cauval doit simplement se donner les moyens pour prendre un virage, créer une nouvelle impulsion, afin de s’en sortir. Il n’y a pas de fatalité, et c’est dans l’adversité que le groupe peut se développer, sur un marché, qui plus est, encore porteur… Si je m’engage, c’est pour réussir, et non pas pour voir Cauval disparaître demain.
Quelles sont les nécessités de réorganisation et objectifs, immédiats et à moyen terme ?
Dans l’immédiat – je ne parle pas encore du moyen terme – 2 choses me paraissent essentielles. Tout d’abord, redonner confiance aux collaborateurs internes : après avoir été exposés, pendant plusieurs années, à des réorganisations lourdes, et ainsi avoir perdu toute visibilité, c’est tout simplement vital. Ensuite, il faut également redonner de la confiance à l’externe, aux clients historiques, car ceux-là aussi lisent la presse, voient ce qu’il se passe, et peuvent avoir – légitimement – quelques doutes sur la solidité de l’entreprise. Une société de distribution a besoin de sécuriser ses approvisionnements : il est donc bon qu’elle constate que son fournisseur a engagé un virage stratégique, et ainsi, retrouvant sa confiance, qu’elle lui redonne la possibilité d’exister… La disparition de fabricants et distributeurs est dramatique, car nous savons bien que la concurrence est bonne pour tout le monde, parce qu’elle permet d’être meilleure, de ne pas se reposer sur ses acquis, offrant ainsi un certain dynamisme au marché.
Vous avez une grande expérience de l’international… Que pensez-vous apporter au groupe en ce sens ?
L’international, en ce qui concerne la literie, est un peu particulier car c’est un secteur comportant beaucoup de marques, qui sont prégnantes sur certains marchés. Il a des pays dans lesquels c’est surtout le no name qui est important (les gens achètent avant tout des prix), donc il va bien falloir réfléchir sur les territoires où Cauval peut se développer. Il y a évidemment des possibilités en Europe – le groupe existe déjà en Angleterre, en Allemagne ou ailleurs – mais il y a peut-être plus de potentiel sur des marchés beaucoup plus lointains… surtout si on regarde les marques du groupe qui illustrent le savoir-faire français (Treca, Orient Express… autrement dit, les signatures haut de gamme de Cauval). Le groupe a donc des positions en Europe, qu’il faut tenir, mais il y a sûrement de la conquête a faire sur ces marchés. Tout en sachant qu’avant de s’attaquer à l’international, il faut s’assurer que les conditions économiques internes, sur le marché domestique, sont bonnes, sécurisées.