Notre rendez-vous mensuel avec cet économiste renommé, qui évoque les évolutions de l’environnement économique global, et ses conséquences sur le marché de l’ameublement français.
2014 : une année plus compliquée
Les Français sont inquiets, mais pas les marchés boursiers et financiers. Essayons de comprendre. Les Français sont inquiets devant la montée du chômage, principale cause de leurs soucis. Et c’est bien normal. Le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, ceux qui n’ont pas d’emploi et sont en recherche effective, a augmenté de 0,7 % entre avril et mai, atteignant le chiffre de 3,389 millions de personnes. Au total, toutes catégories confondues, ce sont près de 5,7 millions de personnes qui sont touchées. Pour les entrepreneurs, le climat des affaires se dégrade. Par rapport à une moyenne de 100 dans l’enquête sur plus de 10 ans, le chiffre atteint 92 en juin contre 94 en mai. Par secteurs, les services s’inscrivent au même niveau (mais à 90), l’industrie perd un point (de 99 à 98), le commerce de détail perd deux points (de 98 en mai à 96 en juin) et surtout le bâtiment quatre (de 94 à 90). Plus inquiétant, « l’indicateur de retournement passe dans la zone défavorable » , indiquant le risque d’une détérioration nouvelle de la situation.
On comprend donc que les chiffres de la croissance française méritent toute notre attention. Le premier trimestre 2014 a montré une croissance nulle et on attend 0,2 % au deuxième trimestre. Pour la suite, une certaine amélioration devrait continuer, mais à un rythme modeste, pour donner 0,7 % pour l’année 2014. Derrière ces chiffres et cette morosité, on trouve des points négatifs pour le secteur du meuble et d’autres qui sont plus contrastés. Le plus négatif est évidemment le secteur du logement qui n’arrête pas sa chute. La production est ainsi en baisse de 0,5 % d’un trimestre à l’autre au troisième trimestre 2013, de 0,4 % au quatrième et de 1,4 % au premier de l’année 2014. Derrière la morosité générale des entrepreneurs, il y a les marges toujours trop faibles, même si elles commencent à se reprendre, en conséquence sans doute de l’effet positif du CICE. Derrière la crise du logement, il y a le poids des normes et le prix du terrain, qui font toujours chuter l’offre et tiennent les prix de l’habitat artificiellement trop élevés.
Ce qui est assez positif, dans cet ensemble de nouvelles, concerne le revenu des ménages. Le revenu disponible brut a augmenté de 1,3 % en début d’année 2014, après une chute de 0,3 % fin 2013. Mais le taux d’épargne a augmenté, passant de 14,7 % du revenu en fin d’année 2013 à 15,9 % en début d’année et, aux mêmes dates, l’épargne financière de 5,6 % du revenu à 7,1 %. Au fond, avec l’amélioration en cours du revenu des ménages, avec un peu plus de croissance et d’emploi, avec un peu plus de salaires, avec vraiment peu d’inflation, avec relativement moins d’impôts pour les plus bas revenus, il y a en face une inquiétude qui fait remonter le taux d’épargne à son niveau le plus élevé depuis plus d’un an. Si les revenus globaux montent, un peu, les Français restent toujours inquiets. Il faudra bien, pour débloquer la situation, baisser la rémunération du livret A. Nous attendons 1 % avec l’application « politique » de la règle qui prend en compte l’inflation, mais il faudrait aller vers 0,75 %, si on l’applique strictement. Alors les Français pourraient dépenser plus, surtout les taux d’intérêts pourraient baisser davantage pour le crédit à la consommation et pour la construction.
Pour les crédits à la consommation, la baisse des encours s’est interrompue en début d’année, ouvrant la voie à une très modeste reprise. Quant aux crédits à l’habitat (820 milliards d’euros), leur avancée est stable, aux alentours de 3 %.
Pour que les Français dépensent plus, il faut que les taux d’intérêt continuent de baisser pour les dépôts et les crédits bien sûr, que le secteur du logement aille mieux et que la situation économique s’éclaircisse. Pour le logement, tout dépend désormais de décisions politiques. Les entreprises du secteur ont indiqué depuis longtemps qu’elles voulaient une situation plus simple et plus stable, des normes moins contraignantes (qui rehaussent indûment les prix pour tous) et surtout un dégel des permis de construire. C’est le prix du sol qui « fait » le prix du logement, qui bloque une part excessive du revenu et de l’épargne, qui pèse sur la croissance et sur le secteur du meuble. La Ministre Sylvie Pinel s’est engagée à agir dans ce domaine, dont le Premier ministre a fait un de ses chevaux de bataille. On se demande pourquoi les choses n’avancent pas plus vite, sachant que le secteur est proche d’une situation sinistrée.
Nous le disions au début : les Français sont inquiets, mais pas les marchés financiers ! Nous vivons une sorte d’euphorie boursière et financière. Les taux d’intérêt à long terme dans le monde sont partout bas et la France, en particulier, s’endette à 1,8 % à 10 ans contre 1 % pour l’Allemagne et… 2,6 % pour les Etats-Unis ! On pourrait dire que ces taux si bas viennent du fait que la croissance attendue est faible, mais ce n’est plus le cas, ou bien que l’inflation n’est pas crainte du tout (mais elle est à 2,1 % aux Etats-Unis et remonte peu à peu en zone euro vers 1 % cette année, 1,7 % l’an prochain). Alors ? Pourquoi des taux d’intérêt si bas qui expliquent une bourse si forte ? Tout simplement parce que les politiques monétaires américaine, japonaise, anglaise continuent d’acheter des bons du trésor de leurs pays et font ainsi baisser les taux longs chez eux, puis partout, en créant de la liquidité.
Mais attention à ne pas penser que ceci va durer éternellement : le Royaume-Uni d’abord, les Etats-Unis ensuite, vont monter leurs taux courts et réveiller les marchés. Ils se diront alors que l’inflation est quand même là et qu’ils financent une économie à 0,2 % en termes réels aujourd’hui, donc à taux négatif demain… et vont demander plus. Ces taux bas d’aujourd’hui sont donc trop bas pour être stables. Il faut en profiter maintenant pour s’endetter pour investir, pas pour penser que c’est éternel.
Au fond, outre les réformes d’ensemble qui sont nécessaires pour faire repartir la croissance en France: flexibilité du marché du travail, il y a un élément qui dépend de nous, le déblocage du secteur du logement. Plus tôt ceci est annoncé, plus vite le secteur avance, plus vite les autres se dégrippent. Le secteur du meuble, bien sûr, ce n’est pas que le logement neuf, mais il y contribue !