Exposant phare de Maison&Objet, qui ouvre ses portes ce vendredi 22 janvier à Paris Nord Villepinte, le directeur général de Roset Cinna fait état des grandes options stratégiques du groupe
développer des gammes plus accessibles, affirmer ses positions dans le luxe, sur les 2 marchés du mobilier domestique et du contract, tout en restant fidèle à ses fondamentaux de création et de qualité de fabrication. Une invitation à découvrir les deux collections 2016 sur le salon…

Le Courrier du Meuble et de l’Habitat : Les débuts d’année sont l’occasion de dresser des bilans. Quel est celui du groupe Ligne Roset Cinna pour 2015 ?
Michel Roset : Pour l’ensemble du groupe, à savoir nos 2 marques Ligne Roset et Cinna, et notre département Ligne Roset Contract, notre dernier exercice se solde par une progression de 7 %, dont 70 % sont réalisés sur les marchés export. Ce bon résultat cache néanmoins de nombreuses disparités. Ainsi, nous sommes en petite croissance en France, à l’image de l’ensemble du marché, et les situations sont très différentes selon les zones géographiques. En Europe, certains marchés se maintiennent comme l’Allemagne, et d’autres sont en difficulté, comme l’Espagne, le Portugal et l’Italie, tandis que l’Angleterre a tendance à se résumer à quelques îlots de prospérité. Dans le reste du monde, la situation s’est fortement dégradée en Russie et en Amérique du Sud, tandis que le ralentissement de la Chine crée une inconnue sur le futur immédiat de ce très grand marché. Dans cet ensemble plutôt morose, seuls les Etats-Unis ont repris le chemin de la croissance et notre filiale y a réalisé de belles performances.
Quelle est votre stratégie pour vous adapter à ce contexte pour le moins mitigé ?
Parallèlement à notre réseau de magasins, qui s’étend sur 63 pays, nous avons décidé de développer notre activité dans le contract, ce qui donne des résultats puisque l’activité de notre département Ligne Roset Hôtels & Contract est en hausse de + 50 % sur le dernier exercice, et devrait représenter environ 12 % de notre chiffre d’affaires global sur l’ensemble de 2015. Une grande partie de cette activité se situe sur le marché de l’hôtellerie, que nous pouvons fournir depuis le milieu de gamme jusqu’au luxe. En effet, nos cinq sites de production situés en région Rhône-Alpes, sur 155 000 m²
au total, et notamment nos 2 usines spécialisées dans le siège et dans le meuble, nous permettent de fabriquer un grand nombre de pièces pour un coût compétitif pour les grands donneurs d’ordre du milieu de gamme. Nous avons également les structures nécessaires pour répondre aux attentes de l’hôtellerie ou du commerce de luxe, en travaillant avec des grands décorateurs – Didier Gomez, Jean-Philippe Nuel, Noé Duchaufour-Lawrence… – pour lesquels nous fabriquons des meubles et agencements sur mesure, qui incluent notamment les savoir-faire de l’ébénisterie et du travail du cuir. A titre d’exemple, nous pouvons à la fois fabriquer 4 000 chambres pour un paquebot construit à Saint-Nazaire, et réaliser le chantier de l’architecture d’intérieur très luxueuse du Sofitel de Rabat (Maroc).
Quelles sont vos initiatives pour stimuler les ventes de mobilier domestique ?
Il est vrai que le contexte a beaucoup évolué en un peu plus d’une décennie. Sur le marché français, suite au marasme économique ambiant, le profil de clients qui a longtemps fait le succès de nos marques, c’est-à-dire le couple de la classe moyenne et moyenne supérieure, a vu son revenu disponible baisser, et a donc de plus en plus de mal à acheter nos produits. Parallèlement, une offre concurrente s’est fortement développée, qui a attiré une certaine partie de cette clientèle, en proposant des produits plus accessibles en prix, et en les présentant comme du design, alors qu’ils sont le plus souvent des copies de produits existants, qui ne relèvent donc pas d’une véritable démarche de design. Pour renouer avec cette clientèle, nous avons développé des produits plus accessibles en prix, des luminaires, des tapis, des canapés, des sièges, des rangements, en ayant recours à des conceptions plus simples, des process de fabrication plus rapides, pour pouvoir les vendre de 30 à 40 % moins cher que les autres. Mais j’insiste sur un point : ces produits, qui sont notre entrée de gamme, bénéficient de la même exigence de mise au point que nos autres références, ils sont pensés puis développés par nos designers partenaires, notre bureau d’études, nos prototypistes, pour remplir parfaitement leur fonction, et pour durer. Ces produits répondent aussi à une autre problématique de notre temps : ils sont proposés en format compact, pour s’adapter à la surface réduite des appartements urbains, sans sacrifier au confort, à l’image des canapés MCD (Marie-Christine Dorner) ou Hudson (Didier Gomez). C’est aussi dans cette optique que nous avons développé le concept Hop & Up (Sandra Planchez), avec Espace Loggia, qui est un meuble « gain de place »
avec un lit à deux places qui monte jusqu’au plafond pour libérer de l’espace disponible. Nous avons aussi beaucoup étendu nos gammes d’accessoires, moins chers que les grosses pièces, notamment les luminaires, les tapis et les petits meubles.
Votre façon de produire est-elle impactée par ces orientations ?
Pour procéder à ces ajustements, nous avons en partie délocalisé la fabrication de nos produits les plus accessibles, chez des partenaires industriels qui maîtrisent les savoir-faire nécessaires à leur fabrication. De même, les produits qui exigent un métier spécifique comme les luminaires et les tapis peuvent être en partie ou entièrement externalisés. En conséquence, nous avons fait le choix de réduire le nombre de salariés que nous employons en production, ce qui a permis de décongestionner nos ateliers et de réduire la masse salariale, au profit de nouveaux profils de postes, comme les architectes d’intérieur ou chefs de projets dont nous avons besoin pour développer et mener à bien nos chantiers dans le contract. Cependant, notre ADN d’éditeur et fabricant de mobilier de création est intact : ce qui nous anime, c’est de découvrir des produits dont le dessin est innovant, et de développer par la suite des process qui nous permettent de les fabriquer de façon industrielle, en obtenant à la clé la qualité que nous souhaitons, pour un prix acceptable par le marché. C’est ainsi que, pour ne donner que deux exemples, la fabrication de produits complexes comme le canapé Facett (Ronan et Erwan Bouroullec) a exigé la mise au point d’un procédé de découpe et de piquage numérique à plat, un exercice que nous avons dû renouveler pour pouvoir fabriquer la collection Ruché (Inga Sempé) qui, elle, met en œuvre un revêtement matelassé en volume.
De telles innovations techniques sont-elles présentes dans vos collections 2016 ?
Tout-à-fait, et je prendrai l’exemple de la collection de sièges Elsa (François Bauchet, gamme Cinna 2016), qui se caractérise par une coque dans une esthétique fractale s’encastrant sur un piétement en hêtre massif, auquel le dessin et les assemblages complexes donnent sa personnalité. Pour réaliser ces piétements, nous avons dû faire appel à une technologie innovante, en acquérant et en programmant un centre d’usinage à 5 axes, du fabricant italien Biesse, qui nous permet de les produire à un coût acceptable. Cette machine est aussi celle qui rend possible la fabrication du canapé Manarola (Philippe Nigro),
un temps fort de la nouvelle collection Ligne Roset. Son piétement très sculptural sert de support à la ligne continue assise / dossier / appuie-tête, qui épouse la courbe naturelle du corps. La découpe complexe de ces pièces ne serait pas possible sans un tel équipement. Autre exemple d’innovation, la chaise et le bridge Ettoriano (Dondoli & Pocci, Ligne Roset) mettent en œuvre un matériau et un process innovants, à savoir trois couches de feutre assemblées par pressage, pour obtenir une coque à la fois très dure et enveloppante, aux formes parfaitement conformes au dessin d’origine. Conformément aux grandes lignes de notre offre, les nouvelles collections comportent aussi des produits plus « entrée de gamme », comme le canapé Softly (Nick Rennie, Ligne Roset), à la fois bien conçu dans un esprit confort et adapté aux surfaces réduites.
Vos nouvelles collections comportent aussi des rééditions. Une tendance ?
Dans l’époque compliquée que nous traversons, je crois qu’il n’est pas interdit d’avoir un peu de nostalgie pour des temps plus cléments, ce qui peut expliquer l’appétence actuelle pour la réédition. C’est dans ce sens que nous rééditions le Slice de Pierre Charpin (Cinna), un concept de siège à composer à volonté en ajoutant des « tranches »,
exposé dans un premier temps par la galerie Kreo en 1998, qui exprime un esprit ludique, avec des couleurs acidulées, et une certaine insouciance. Ce modèle était innovant par la juxtaposition de mousses d’intensité différentes, pour obtenir un confort plus « nerveux » que « moelleux ». Ici encore, ce sont les technologies numériques qui nous permettent de le fabriquer et de le vendre à un prix de marché, alors que l’édition initiale en nombre limité était réservée aux collectionneurs. Nous lançons aussi une autre réédition, le canapé Plumy (Annie Hiéronimus), un modèle « iconique » de la gamme Cinna, édité une première fois en 1980, très représentatif de la première génération « vautrée ». Dans un esprit déstructuré, la possibilité d’orienter à volonté les coussins de dossier et de déplier les coussins d’assise offre une grande liberté de postures et de relaxation.
Vous avez lancé, il y a quelques années, le concours Cinna. Quel est son objectif ?
Une marque patrimoniale comme la nôtre doit éviter de verser dans une identité muséale et de se figer sur ses acquis, surtout quand on s’intéresse à la création qui est toujours en mouvement. Le concours Cinna, qui est ouvert chaque année aux jeunes designers, est un moyen de rester proche des tendances les plus récentes de la création. Les produits lauréats, qui sont le plus souvent édités et intégrés à nos collections, parlent aux jeunes consommateurs, et sont destinés à attirer leur attention sur nos produits, pour leur montrer que nos efforts consistent à élaborer et éditer des produits qui répondent aux attentes actuelles et de demain. Dans cette optique, et même s’ils ne sont pas issus du concours, nous lançons en 2016 une collection de tables basses et consoles connectées, Dualist (Christian Ghion, Cinna) qui permettent de découvrir ou dissimuler un vidéoprojecteur, une nouvelle fonctionnalité très demandée.
A propos d’Internet, les ventes en ligne impactent-elles votre modèle de distribution ?
Nous avons pris dans ce domaine une décision importante, qui est le lancement courant 2016 de 2 sites marchands pour les produits Ligne Roset et Cinna, qui vont se substituer aux sites existants. Le site Ligne Roset, qui regroupe les 2 collections à l’international, bénéficiera de 3 plateformes pour les ventes aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, et dans l’ensemble Allemagne / Autriche / Suisse. Bien entendu, les commandes seront enregistrées sur le site par Ligne Roset, mais les ventes seront redirigées et effectivement réalisées par le magasin correspondant à la zone de chalandise du client internaute ; le magasin conservera aussi les coordonnées de ces clients pour sa stratégie marketing. Nous réfléchissons à la mise en ligne, sur ces 2 sites, d’outils de configuration des produits dans l’habitat. Un premier test, réalisé sur le marché britannique, nous a montré qu’un tel site marchand peut réaliser au bout d’un an un chiffre d’affaires équivalent à celui d’un magasin. L’ouverture de ces 2 sites marchands est aujourd’hui une nécessité pour ne pas perdre les volumes de vente croissants effectués dans le e-commerce, et pour stimuler notre présence sur les réseaux sociaux.
Comment abordez-vous cette année 2016 ?
Il est important, pour nous, comme nous l’avons toujours fait, de rester fidèles à nos fondamentaux : mettre en avant nos marques, et promouvoir nos valeurs de création, d’innovation en termes de lignes, de matériaux, de fonctionnalités, en gardant à l’idée qu’elles doivent toujours répondre aux attentes des consommateurs. Nous avons élargi nos gammes à des produits plus accessibles, pour répondre aux tensions actuelles sur le pouvoir d’achat, et à la situation des jeunes ménages, mais nous l’avons fait sans rien sacrifier à nos exigences de conception et de qualité : il suffit de venir sur notre stand de Maison&Objet (hall 8, Scènes d’intérieur) pour le constater.
[Propos recueillis par F. S.]