Avec près de 18 % de parts de marché en France, Ikea met plus que jamais l’accessibilité au cœur de sa stratégie. Proximité, services, complémentarité du web, convivialité autour de la table, expérience magasin modernisée, approche pratique du développement durable… l’enseigne travaille son capital sympathie. Explications d’Olivier Baraille, PDG de la filiale française.
L’interview d’Olivier Baraille
Comment expliquez-vous la stabilité des ventes d’Ikea France en 2015 ?
Notre exercice fiscal n’est pas exactement calqué sur l’année calendaire puisqu’il commence le 1er septembre et finit le 31 août. Si l’on suit l’évolution des dernières années, on retrouve à peu près les mêmes rythmes de croissance, qui sont relativement stables. Nos résultats du premier semestre – du 1er septembre 2014 à fin février 2015 – étaient un peu en-deçà, parce que nous avons réalisé de gros travaux d’amélioration de nos magasins, ce qui a réduit sensiblement notre chiffre d’affaires. Nous avons investi en particulier 50 millions d’euros en Ile-de-France dans nos magasins de Paris Nord et de Plaisir, Franconville et Evry. En revanche, si l’on regarde la deuxième partie de l’année, du 1er mars jusqu’au 31 août, nous avons sur-performé le marché d’un point. Celui-ci semble repartir depuis février et nous avons bénéficié non seulement de cette reprise, mais aussi de la mise en place de notre stratégie. Ikea reste leader de l’aménagement de la maison en France avec 17,75 % de parts de marché.
Quelles sont les activités les plus profitables ?
Trois activités se sont démarquées.
En premier lieu, la chambre. C’était un des axes de croissance que nous avions déterminés l’année dernière. Cela a bien fonctionné, en partie sur les assortiments matelas et lits, mais cela inclut aussi le mobilier.
Deuxièmement, la cuisine. Les investissements que nous avons faits sur la gamme Metod [ndlr : démarrée en février 2014] portent aujourd’hui leurs fruits et la gamme rencontre son public.
Enfin, en troisième lieu, le e-commerce, qui enregistre une croissance à deux chiffres. Cela devient un magasin de taille importante dans nos ventes et ce canal de distribution devient extrêmement important pour nous.
Comment conciliez-vous le concept de magasin physique qui fait la force d’Ikea, et le e-commerce qui, lui, ne nécessite pas de venir en point de vente ?
Nous proposons 7 500 références en ligne, soit près de 90 % de l’assortiment, puisqu’il y a entre 8 500 et 9 000 références dans les magasins. Et le site ikea.fr a enregistré 140 millions de visites sur un an. Donc notre offre en ligne n’est pas à la traîne. Nous avons évolué en phase avec les consommateurs, en tenant compte notamment du développement important de l’urbanisation et du fait que de plus en plus de gens n’ont pas de véhicule. Le comportement d’achat de nos clients a changé. Il y a quelques années, ils venaient dans nos magasins pour regarder l’assortiment et faire leur shopping, et ils revenaient quelques mois après. Désormais, la préparation se fait beaucoup plus sur Internet. En un an, le site Internet a progressé de 20 % en termes de visites. C’est pour cela que nous développons les deux en parallèle. Nous allons donc encore investir dans ce canal de distribution qui représente un développement important. Mais à notre rythme, parce que notre priorité est axée sur l’accessibilité et l’expérience client dans nos magasins.
Allez-vous améliorer l’offre de services liés à Internet, en termes de gratuité de livraison notamment ?
Notre concept fait la différence par rapport aux autres distributeurs. Associer les prix bas, le design et la qualité des produits développés de façon durable est possible parce que nous faisons une partie du travail et le client fait l’autre partie en venant chercher les produits en magasin, en les transportant chez lui et en les assemblant lui-même. C’est pour cela que l’on peut proposer l’aménagement de la maison à des prix compétitifs. Partant de là, les services que nous proposons sont facturés à nos clients pour faire en sorte que ceux qui font la démarche de tout faire eux-mêmes aient un prix plus avantageux que ceux qui commandent, se font livrer et installer le produit. C’est la raison pour laquelle notre politique tarifaire sur Internet est différente de celle d’autres acteurs de la vente en ligne, tout en restant compétitive. On ne gagne pas d’argent sur les services, on ne fait que refacturer aux clients les prix pratiqués par nos prestataires de services.
Entre les centres commerciaux multi-enseignes et les magasins de plus petits formats, comment évolue votre concept pour s’adapter aux modes de consommation des Français ?
La base de notre concept du design démocratique reste la même : proposer des articles d’aménagement de la maison, design et fonctionnels à des prix si bas que le plus grand nombre peut en profiter. Avec une partie faite par le client et une partie faite par nous pour avoir le meilleur rapport qualité/prix possible. Ensuite, il y a plusieurs moyens de rendre l’assortiment « accessible ».
Le premier, c’est le format de magasin en fonction de son implantation dans la zone primaire de chalandise. En France, cela varie entre 37 000 m² pour le plus grand et 24 000 m² pour le futur magasin que nous ouvrirons à Orléans. Le point de vente d’Orléans est une nouveauté pour nous puisque c’est le premier qui ne fera « que » 24 000 m², alors qu’un magasin Ikea traditionnel en fait plutôt 31 000 ou 32 000 m². Pour être toujours plus proche des habitants, on a investi dans cette région orléanaise.
Le deuxième moyen d’être plus accessible est d’apporter plus de services. Ainsi, depuis le mois de septembre, tous les magasins en France proposent le « cliquez & emportez » : le client achète en ligne, l’achat est préparé dans le magasin et il le récupère sur place. Autre exemple de service d’accessibilité, nous mettons en place des systèmes de navettes pour permettre aux Parisiens de se rendre aux magasins de Thiais et Villiers, aux Strasbourgeois d’aller à ceux de Strasbourg et aux Messins à celui de Metz.
Ensuite, pour rendre l’offre disponible, il y a les dispositifs liés à la vente en ligne. Le site d’e-commerce ikea.fr nous rend accessibles 24 h / 24 et 7 j / 7.
Vous avez annoncé l’implantation d’un projet mixte dans l’éco-quartier de Nice Saint-Isidore, intégrant un magasin Ikea, des logements, des bureaux et des petits commerces. Est-ce là aussi une façon de vous rapprocher des habitants ?
C’est l’illustration de ce qu’on peut faire pour être le plus accessible aux populations en s’intégrant le mieux possible dans l’environnement où l’on se trouve. L’emplacement que nous avions trouvé à Nice devait s’intégrer parfaitement dans un éco quartier contigu au stade Allianz Riviera et se développer de pair avec des logements et des commerces. A chaque fois que nous faisons des projets d’implantation, nous essayons de nous intégrer dans un projet local, ouvrir un magasin Ikea réclame beaucoup de temps, ça a pris dix ans pour Bayonne. Le magasin de Nice, cela fait déjà des années qu’on travaille dessus et il ne va pas ouvrir avant le deuxième semestre de 2018.
Quelles autres implantations de magasins prévoyez-vous ?
Vous êtes revenu sur le projet annoncé il y a deux ans d’avoir 40 points de vente en France en 2020.
Nous avons ralenti le rythme prévu de 40 magasins en 2020. Avec 32 points de vente en 2016, nous ne pouvons pas ouvrir 8 unités sur les quatre prochaines années. Cela ne veut pas dire que nous arrêtons notre plan de développement, mais que cela prendra plus de temps. Les prochains magasins que nous prévoyons d’ouvrir sont Orléans pour 2016, puis Nice et Vénissieux à l’horizon 2018 – 2020. Et nous avons deux projets en cours de développement, au Mans et à Perpignan. Par la suite, nous réfléchissons à d’autres formats, probablement plus proches des 20 000 m². Nous avons déjà dans nos cartons plusieurs pistes, mais des projets d’une telle envergure prennent des années à être finalisés. Ce qui est sûr, c’est que notre intention reste d’être accessible à 100 % de la population française. Et il n’y a pas aujourd’hui que des magasins qui permettent d’être accessible : nous travaillons sur des alternatives, des dispositifs associés notamment au canal e-commerce.
Comme des casiers de retrait ?
C’est un test que nous avons lancé à l’automne, en complément du service « cliquez & emportez », dans notre magasin de Lille. Pour l’instant, on observe. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Nous verrons ce que cela donne et si nous le déploierons ou pas.
Où en êtes-vous en termes de digitalisation de point de vente et d’expérience client ?
Aujourd’hui tous nos magasins sont équipés pour proposer le wi-fi. Au-delà, nous avons créé plusieurs applications pour smartphones et tablettes pour nos clients, par exemple « Ikea Store », pour avoir des infos pratiques sur le magasin, les offres du moment, organiser sa visite, préparer sa liste d’articles avant et procéder aux achats dans le magasin. Nous avons développé depuis quelque temps l’application « catalogue » qui fait un relais entre le catalogue papier et un service en ligne et permet, en scannant un produit, d’avoir plus d’informations sur les solutions d’aménagement, des vues en 3D, des commentaires des designers, etc. Et puis nous avons été l’un des premiers à lancer il y a trois ans la réalité augmentée, c’est-à-dire que l’on peut montrer ce que donne un article du catalogue dans son intérieur.
Dans le même esprit, nous allons mettre en ligne un outil simplifié de planification de cuisines et des tutoriaux pour aider les clients à monter leurs meubles. Cela s’accompagnera d’une formule innovante d’accompagnement à distance dans la conception de cuisine. Le client n’aura plus besoin de se déplacer dans un magasin pour travailler avec nos collaborateurs, cela se fera en ligne via un système d’écrans partagés.
L’offre de services payants en magasins aussi se développe ?
Oui, nous avons beaucoup travaillé les services cette année. Nous allons notamment lancer un système de prise de rendez-vous avec le service clients, en choisissant un créneau horaire pour ne pas attendre, et un service de réservation à l’espace enfants « Småland ». Et au-delà du « cliquez & emportez » dont j’ai parlé, nous allons expérimenter le dispositif
« cliquez & roulez », qui offre la possibilité aux consommateurs de venir récupérer leur commande, effectuée en ligne, directement chargée dans une camionnette mise à leur disposition.
Enfin, on a voulu aller plus loin dans le confort d’achat en proposant une garantie de 365 jours de réflexion pour changer d’avis et retourner le produit.
Est-ce aussi pour enrichir l’expérience client que vous faites le focus cette année sur l’alimentation et la cuisine ?
C’est une stratégie qu’on met en place pour deux ans et qui va au-delà de l’expérience. Il nous semble opportun aujourd’hui de pouvoir aussi proposer dans nos magasins de passer un bon moment à table. C’est une attente. D’abord parce qu’il y a un intérêt manifeste pour la cuisine (on voit l’engouement pour les photos culinaires sur les réseaux sociaux), et puis la table a un rôle social important : les bons moments comme les décisions importantes se passent souvent autour d’une table.
Cette stratégie valorise les produits. Nous avions déjà investi dans les cuisines, que nous avons complétées avec neuf nouvelles finitions. On a renforcé notre assortiment également sur les tables et chaises, en particulier avec un système qui permet de combiner les choix de plateau et de pieds. Le client peut créer son propre design de table. Depuis le mois de septembre, les rayons vaisselle et ustensiles culinaires – « cuisiner et recevoir » – ont été refaits dans les magasins, avec une collection design et nous avons également lancé une nouvelle ligne d’électroménager toujours plus économe en énergie.
Et puis, nous avons travaillé la partie alimentaire. Nous avons investi cette année trois millions d’euros dans la réfection des salles de restaurant, quinze magasins seront refaits cette année. Nos épiceries suédoises et nos bistrots sont aussi réaménagés avec un nouveau concept dans une atmosphère scandinave chaleureuse. Cela s’accompagne bien sûr d’un gros travail sur l’assortiment alimentaire, avec par exemple des saumons certifiés MSC, des produits régionaux ou des boulettes végétariennes à base de légumes servies avec boulgour à un prix défiant toute concurrence. Cela touche même le merchandising puisque nous faisons désormais du cross merchandising entre les articles d’épicerie suédoise et les produits d’équipement.
Ikea s’est associé à la COP 21. De quelle manière ?
Nous voulions profiter de l’occasion de la COP 21 à Paris pour montrer que chacun à son niveau – gouvernements, entreprises et citoyens – peut avoir une action positive dans la lutte contre le réchauffement climatique. Du 28 novembre au 6 décembre, nous avons associé les citoyens parisiens en installant un dispositif sur les Champs Elysées : 25 plateformes ludiques et pédagogiques accompagnées d’une plateforme Internet (IKEA.fr/COp21).
D’autre part, nous avons sponsorisé les événements du Bourget pour accueillir les 40 000 délégués, de sorte qu’ils soient dans des conditions confortables.
Et troisièmement, nous voulions montrer l’engagement d’Ikea dans les énergies renouvelables en équipant les Champs Elysées avec une éolienne de 20 m de haut, 440 panneaux photovoltaïques pour alimenter les illuminations de Noël de cette grande avenue. Ces panneaux vont rester jusqu’au 29 décembre.

Les attentats du 13 novembre n’ont-ils pas remis en cause ces dispositifs ?
Si, nous en avons discuté avec nos partenaires, la Fondation Nicolas Hulot et l’Ademe, et avec la Préfecture. Nous avons dû revoir notre dispositif pour des raisons de sécurité. Nous avions prévu au départ de déployer aussi deux pavillons sur les Champs-Elysées pour exposer les solutions d’aménagement contribuant à expliquer comment vivre une vie plus durable à la maison, avec des workshops et des conférences des partenaires. Cela a été annulé et nous avons restructuré les dispositifs en libre-service en renforçant les mesures de sécurité. Tout ce qui était prévu dans les pavillons a été mis sur la plateforme Internet ikea.fr/cop21.
[Propos recueillis par L.Z.]