Malgré un nombre d’exposants et une surface globale en forte baisse, en raison des conditions sanitaires encore compliquées, le directeur général de Maison&Objet, Philippe Brocart, met en avant le bon climat d’affaires et la satisfaction des professionnels qui ont pris le risque d’exposer du 9 au 13 septembre. Il regarde déjà vers la prochaine édition de janvier 2022, qui sera marquée par une montée en gamme sous le thème du « Renouveau du luxe », et qui devrait être plus comparable aux éditions d’avant-crise.
Le Courrier du Meuble & de l’Habitat : Quel bilan tirez-vous de l’édition de rentrée de Maison&Objet ?
Philippe Brocart : Le bilan de cette édition de reprise, la première sous forme physique depuis dix-huit mois, est inédit et surprenant. En effet, nous avons eu une baisse globale du nombre d’exposants de 50 % environ, car certains d’entre eux n’ont pas souhaité prendre le risque d’être présent, en raison des inconnues qui subsistaient encore, concernant le contexte sanitaire, au moment de prendre leur décision [voir encadré bilan chiffré]. Mais ceux qui ont pris ce risque, et qui ont exposé, ont été récompensés. Ils ont en effet réalisé un salon bien au-delà de leurs espérances – et des nôtres – en termes de qualité de visitorat, et par le très bon niveau de prises de commandes. Je dirais que cette édition a été pour eux une réussite, parce qu’ils ont probablement profité de l’absence de leurs concurrents, et parce qu’ils sont souvent venus avec des nouveautés marquantes qu’ils attendaient de pouvoir exposer depuis dix-huit mois. N’oublions pas aussi le côté retrouvailles : les exposants ont été ravis de revoir leurs clients après tant de temps sans contact direct, et ces derniers l’ont été tout autant de pouvoir voir et toucher les produits. Ajoutons que le dispositif sanitaire mis en place a bien fonctionné, sans provoquer de blocages ni difficultés d’accès. En résumé, malgré une surface réduite de moitié, le salon a globalement très bien fonctionné.

Philippe Brocart, directeur général de Maison&Objet
La pandémie reste-t-elle un obstacle pour retrouver un niveau de visitorat d’avant-crise ?
Pour les acheteurs français et des pays limitrophes, il est encore un peu compliqué de se déplacer, il faut respecter les mesures barrières, porter un masque, montrer son passe sanitaire, etc. De ce fait, ceux qui sont venus l’ont fait avec une vraie motivation ; ils ont répondu à une sorte de nécessité, et ils étaient très qualifiés, ce qui explique aussi le bon niveau de prise de commandes. Un grand nombre d’acheteurs nous ont aussi dit et répété qu’ils avaient besoin de ce rendez-vous pour pouvoir renouveler leur stock et leur offre, et pouvoir à nouveau se projeter vers l’avant. Pour les voyageurs qui viennent de plus loin, la situation est contrastée : il y a eu une baisse importante du visitorat asiatique, avec des pays comme la Chine, le Japon ou la Corée, qui représentent un contingent important de visiteurs du salon, car cela reste très compliqué pour eux de venir en Europe. Ce qui explique en bonne partie la baisse globale de la fréquentation en septembre, avec l’absence des Britanniques. Mais une partie du visitorat étranger a répondu présent, puisque nous avons accueilli 28 % de visiteurs étrangers, dont près de 500 acheteurs américains, ce qui a un peu surpris tout le monde.
Constatez-vous un recul de vos exposants qui sont positionnés au grand export ?
Le contexte est actuellement plus difficile pour les entreprises qui font de l’export lointain, mais ce ne sont pas seulement les entreprises asiatiques. Il y a aussi beaucoup de marques européennes et françaises qui font fabriquer en Asie, et vendent ensuite leurs produits dans le monde entier. Il y a actuellement des tensions sur les approvisionnements et sur les prix des matières premières, et aussi sur le transport maritime et terrestre, ce qui explique pourquoi elles n’ont pas souhaité exposer en septembre. Beaucoup d’entre elles nous ont expliqué qu’elles n’étaient pas sûres de pouvoir livrer les commandes dans des délais acceptables, en raison des problèmes de chaîne d’approvisionnement. C’est un vrai sujet, certaines se posent clairement la question de rapatrier au moins une partie de leur fabrication en France ou en proche Europe, pour mieux maîtriser leur fabrication. Mais attention, même les fabricants de proximité ont besoin de composants qui ne sont pas toujours disponibles, ce qui peut bloquer toute leur production. Les entreprises qui ont un fonctionnement international sont donc pénalisées aujourd’hui, mais c’est valable pour tous les secteurs industriels.

M&O septembre 2021
Ce contexte a-t-il un impact sur le positionnement du salon ?
Le vent souffle en ce moment en faveur de la fabrication locale, ancrée sur son marché domestique. Quand on se rend à Milan, c’est pour voir du design italien, quand on va à Stockholm, c’est pour du design scandinave… Il nous semble donc légitime de proposer à nos visiteurs étrangers le meilleur de la création et de la production française. Voilà pourquoi nous avons décidé, pour la prochaine édition de janvier 2022, de mettre l’accent sur les spécificités de l’art de vivre à la française. Nous avons une belle carte à jouer en tant que salon transversal : on peut montrer le meilleur de notre production aussi bien dans le mobilier, les arts de la table, dans les ustensiles de cuisine, dans l’objet de décoration, etc. Ce positionnement nous permettra aussi de développer un discours sur le fabriqué local, le « sustainable », et l’éco-responsabilité des entreprises. Cette offre sera réunie sous la thématique de « Renouveau du luxe », qui a été définie par l’agence Nelly Rodi, notre partenaire de longue date. Même si tout n’est pas encore décidé, Nous allons fédérer dans le hall 7 tous les secteurs de signature – unique & eclectic, Today, Forever, pour créer un pôle à forte valeur ajoutée, avec des scénographies spectaculaires. Par exemple, nous envisageons d’y réunir toutes les jeunes maisons d’édition françaises au sein d’un village, car elles représentent la nouvelle création, qui associe le design et l’éco-responsabilité, dans notre pays. Nous prévoyons aussi d’y inclure les manufactures ou les artisans d’art qui travaillent aujourd’hui avec les grands architectes décorateurs français dans le monde entier. Cet espace sera complété par le parcours « in the city », qui ouvrira aux professionnels les portes de lieux exceptionnels, comme des showrooms et des galeries, pour découvrir des savoir-faire d’exception.
Une partie du salon se passe aujourd’hui dans l’espace numérique. Quels sont les avantages et les limites de cette migration ?
Il y a longtemps que nous avons créé le pendant numérique du salon, puisque notre plateforme MOM (Maison&Objet & More) existe depuis 2016. Mais la pandémie a fortement accéléré les choses, puisque nous avons doublé le nombre de marques en dix-huit mois. Elles sont aujourd’hui 2000 à y présenter leurs produits, et à entretenir tout au long de l’année des échanges avec leurs clients et prospects, qui ont pu être maintenus même pendant les confinements. Cette plateforme nous a aussi permis de créer l’événement en ligne, en organisant les Digital Fairs, et les Digital Days pendant les périodes de restrictions sanitaires, et de maintenir ainsi des échanges commerciaux à distance. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette plateforme est un formidable outil, qui vient en complément du salon, et que les acteurs du marché utilisent en fonction de leurs besoins : la majorité des marques exposent sur le salon physique, et sont présent sur MOM pour préparer la prochaine édition, en répondant aux questions des acheteurs, en leur donnant rendez-vous ; il y en a qui ne souhaitent pas exposer physiquement et restent sur la plateforme, et d’autres qui viennent d’abord sur MOM, pour tester les retours avant de prendre un stand sur le salon physique… Le plus important pour nous est que tous ces acteurs fassent partie de l’écosystème de Maison&Objet. Cependant, cette session de septembre a clairement montré que les acteurs des marchés de la décoration attendent et ont besoin d’un rendez-vous physique, je n’ai aucune inquiétude à ce propos sur le moyen et le long terme.

M&O septembre 2021
Quels scénarios envisagez-vous pour l’édition de janvier prochain ?
Nous allons continuer à renforcer notre offre numérique, comme le montre le lancement, lors de la session de septembre, de la nouvelle plateforme de streaming, Maison&Objet Academy. Son concept est simple : elle propose, sur abonnement, des contenus vidéos fournis par des experts qui ont pour but de répondre aux problématiques des fabricants, distributeurs et prescripteurs de notre écosystème, et de les informer des tendances du marché, pour les aider à optimiser leur activité. La plateforme contient déjà 30 à 40 vidéos, et sera alimentée à raison d’une quinzaine de nouveaux sujets par mois. Nous avons aussi créé le Baromètre Maison&Objet, qui mesurera une fois par trimestre, l’état du marché, les préoccupations et les attentes des professionnels, pour leur offrir un vrai miroir de leur activité qui sera mis en ligne sur le site du salon [voir CM&H n° 2874, daté du 3 septembre dernier, ndlr]. En ce qui concerne l’offre, les fabricants de meubles premium, en particulier français, pourront profiter d’un nouvel espace porteur économiquement et porteur de sens dans le hall 7. Si l’évolution de la pandémie continue sur sa pente favorable, nous tablons sur un nombre d’exposant comparable à une édition de janvier normale, et cette édition sera placée sous le signe de la montée en gamme. Enfin, cette pandémie nous a sensibilisé à la nécessité d’améliorer l’expérience visiteur, ce qui se traduira par des allées plus larges, des espaces de repos et de restauration beaucoup plus nombreux, un confort de visite que nous devons aux visiteurs qui viennent jusqu’à nous.
[Propos recueillis par F. S.]

M&O septembre 2021