Le salon international des aménagements des espaces tertiaires, organisé du 23 au 27 octobre à Cologne (Allemagne), a illustré les profondes mutations qui affectent actuellement les espaces de travail. Engagés dans la tendance de l’« activity-based work », selon laquelle ce sont les tâches à accomplir qui dictent les aménagements à réaliser, les exposants ont rivalisé d’imagination pour lancer de nouveaux concepts dédiés au mode de travail individuel ou en mode projet, ou encore aux espaces hybrides de détente-travail. Voici notre tour d’horizon de ces tendances et innovations.
Toutes les personnes en activité le constatent : les espaces de travail tertiaires sont en pleine mutation. Le poste de travail individuel et fixe, la cellule composée d’un bureau, d’un siège de bureau et d’un rangement pour ses dossiers, recule à la vitesse grand V, parce qu’il correspond de moins en moins au travail dématérialisé, et délocalisé d’aujourd’hui. Grâce à l’ordinateur portable, à la tablette, voire au smartphone, tous reliés à l’espace numérique sans fil, on peut aujourd’hui travailler à peu près de partout, n’importe quand, pourvu qu’il y ait du réseau Internet, d’autant plus que tout est de plus en plus stocké de façon dématérialisée sur le « cloud », et donc accessible de partout et en permanence. Il en résulte, pour chaque travailleur, une multiplication des espaces qui peuvent devenir des lieux de travail : les sites de co-working poussent comme des champignons, après avoir commencé par les grands centres urbains, ils s’étendent aux villes moyennes, les hôtel et lieux d’hébergement ouvrent de nouveaux espaces de travail temporaires pour rentabiliser leurs établissements en journée, de plus en plus de salariés travaillent au café, sans oublier le développement du home office – le bureau à domicile – où certains travaillent une ou deux journées par semaine, conciliées par exemple avec une garde d’enfants, quand ce n’est pas la totalité de leur activité qui peut être ainsi réalisée en télétravail.
Ces évolutions ne sont pas sans conséquences sur l’organisation des espaces tertiaires dans les entreprises, qui doivent les prendre en compte pour à la fois répondre aux nouveaux besoins de leurs salariés, tout en profitant de ces nouvelles pratiques pour réduire quand c’est possible leurs investissements immobiliers, en optimisant l’usage des mètres carrés disponibles. C’est ce contexte très stimulant qui explique la grande créativité dont font preuve les fabricants de mobilier et équipements de bureau, pour imaginer des nouvelles typologies de produits, souvent aptes à offrir plusieurs fonctions, souvent évolutives ou flexibles, pour répondre à cette nouvelle vie au travail. C’est sans doute l’enseignement majeur que les quelque 63 000 visiteurs internationaux – nouvelle hausse significative, voir les chiffres en encadré – qui se sont rendus à Orgatec 2018 garderont en tête, en repartant du salon avec beaucoup de solutions nouvelles, mais aussi beaucoup de questions nouvelles, pour l’aménagement de leurs espaces tertiaires.
Concilier travail isolé et en groupe
Si on s’installe de moins en moins sur son poste fixe, alors comment et où travaille-t-on ? Il semble que le nouveau mot d’ordre tienne dans la formule « activity-based work », selon laquelle ce ne sont les plus aménagements qui conditionnent les modes du travail, mais au contraire les modes du travail qui définissent les aménagements… Autrement dit : les salariés s’orientent vers un espace de l’entreprise ou un autre, selon ce qu’ils ont à accomplir, travail isolé sur un dossier, échange en vis-à-vis avec un client, travail en mode projet, exposé devant ses collègues, réunion… Pour le travail isolé, qui requiert de pouvoir se concentrer dans un certain silence, les fabricants proposent des « bulles » avec isolation acoustique, des cellules où on peut s’asseoir confortablement seul ou à plusieurs pour échanger, autour d’un plan de travail horizontal, à l’image par exemple du concept S-POD proposé par Sorec Solutions (groupe Eurosit), un module semi-ouvert au design avantageux, garni de sièges. Plus proches d’un siège au dossier surélevé et insonorisé, les propositions d’alcôves à implanter au sein d’un plateau ouvert (open space) et faciles à composer ou à déplacer sont nombreuses. On peut évoquer par exemple Fields, du fabricant suédois Kinnarps, Plenum, auquel le designer espagnol Jaime Hayon a apporté une double touche d’élégance et de fantaisie (Fritz Hansen), ou encore la collection Eleven High Back (PearsonLloyd pour Alias). Pour téléphoner en toute confidentialité, on peut même opter pour le format cabine téléphonique, avec par exemple le modèle Mini, composé de deux murs opaques, une paroi vitrée et une porte, sans oublier une tablette, un éclairage LEDs et un système de ventilation intégrés, pour pouvoir faire face aux négociations qui s’éternisent.
En ce qui concerne le travail en mode projet, ou en format réunion, les propositions sont aussi très nombreuses, avec ici encore une influence prépondérante du numérique, qui génère des configurations de tables de réunion organisées autour d’un écran, pour que chaque participant puisse partager avec les autres le contenu de son ordinateur portable, comme on a pu les voir sur les stands Eurosit, ou Estel. L’espace de réunion numérique peut lui aussi être organisé dans une mini-architecture close et isolée sur le plan phonique pour ne pas gêner les autres salariés présents. Autre tendance très présente sur le salon, la table de réunion surélevée, utilisée avec des tabourets hauts, qui crée une posture plus dynamique de la part des participants, pour une réunion plus tonique, tout en se prêtant davantage à une restauration sur le pouce, comme par exemple avec la table 1510 dessiné par Wolgang C.R. Mezger pour Thonet. On peut aussi parler parfois d’un « îlot de réunion », une notion qui recouvre des structures plus ou moins ouvertes, équipés de fonctions éclairage, et rechargement des portables et port USB, où peuvent venir se réunir un nombre variable de participants, faciles à déplacer sur un plateau ouvert, ou d’une salle à l’autre, dans un esprit de flexibilité. C’est le cas par exemple de Vagabond, une structure métallique sur roulettes avec un plateau central proposée par Materia (groupe Kinnarps).
Propositions hybrides mi-détente mi-travail
Les espaces tertiaires d’aujourd’hui et de demain, ce sont aussi de plus en plus de zones hybrides, propices à la détente, mais qui n’excluent pas pour autant d’y travailler, de façon plus informelle, à l’image de ce que l’on voit de plus en plus dans les sites de co-working. Le mobilier que l’on trouve dans ces espaces comporte essentiellement des sièges confortables soit équipés de tablettes amovibles, soit accompagnés de tables basses, et il est celui qui ressemble le plus au mobilier domestique, dont il reprend largement les codes, tant au niveau des matériaux (bois, velours, laine), qu’au niveau des couleurs (coloris tendances, pastels). C’est dans cette catégorie que l’on peut classer le nouveau sofa Soft Work, signé par le duo Edward Barber et Jay Osgerby pour Vitra, un produit à la fois confortable, modulaire, et équipé de tablettes amovibles pour y poser son ordinateur, ainsi que de plateaux horizontaux pour poser ses affaires et délimiter un espace individuel. Un nouveau registre dans lequel s’engouffrent de nombreux fabricants, comme c’est le cas de Sokoa avec par exemple Klik (Iratzoki et Lizaso), une gamme d’assises composée de piétements bois ou métal et de coques déclinées en bois résine ou feutre, ou Alki, qui propose avec Egon (même duo de designers), tout un écosystème de canapés rembourrés, poufs et tables basses reprenant des codes similaires, notamment le chêne massif. De nombreuses assises souvent créatives, déclinés en modèles d’une à trois places ou plus – Openest (Patricia Urquiola, Haworth), Link (Fantoni)… – s’inscrivent dans ce registre très ouvert, sans oublier Vertigo (design EOOS pour Poltrona Frau), un élégant canapé qui se transforme, en position ouverte, en couchage en cas de dossier fini tardivement. Pour meubler cet espace, les fabricants proposent aussi des rangements modulaires, faciles à agencer et aménager à la carte, et même des assises d’appoint à sortir et ranger dans leur niche, à l’image de Yam’s (Eurosit), dans une perspective d’optimisation de l’espace.
Un axe d’innovation : l’ergonomie
Dans ce paysage mouvant, deux tendances survivent, à commencer par le bench (banc), à composer en ajoutant à volonté des postes de travail connectés et séparés par des panneaux acoustiques verticaux, qui lui aussi adopte les codes de l’habitat, notamment à grâce à des piétements en bois. Avec Heldu (Iratzoki & Lizaso), un fabricant comme Alki propose même un programme composable entièrement en chêne et cuir. Deuxièmement, le bureau de direction reste une référence avec son siège, son caisson bas et son rangement associé, chez des fabricants comme Walter Knoll (modèle Tama), ou les italiens Fantoni (modèle Outline) ou Las Mobili (modèle Elite), un produit souvent identifiable par son placage en bois d’ébénisterie sombre.
Mais les avancées les plus marquantes se situent sur le terrain de l’ergonomie, enfin identifiée par l’ensemble des acteurs comme un levier essentiel de prévention des maladies professionnelles liées aux mauvaises postures et à la station assise prolongée. Cette tendance se traduit en premier lieu par la généralisation des solutions de bureaux motorisés réglables en hauteur, par presque tous les fabricants. A titre d’exemple parmi tant d’autres, Sokoa propose le bureau Altua (design Ezda), équipé d’un système électronique fiable permettant de mémoriser les différentes positions, pour permettre une alternance des phases de travail assis et débout. Spécialiste des problématiques de l’ergonomie, le fabricant américain Humanscale propose avec Quickstand éco une solution alternative, puisqu’il s’agit d’une colonne avec un plateau pour l’ordinateur, réglable en hauteur par un système de contrepoids, le tout étant à installer sur le plateau du bureau, pour obtenir une position de travail idéale.
Bien entendu, l’ergonomie progresse aussi dans les sièges de travail, qui adoptent des réglages de plus en plus pointus pour s’adapter à la morphologie de l’utilisateur et corriger sa position, mais aussi de plus en plus intuitifs : il suffit de régler la hauteur d’assise, et le siège fait le reste. C’est le cas du modèle Morphos (design Christophe Marchand) lancé sur le salon par Eurosit, qui s’adapte à toutes les postures et morphologies, ou encore de Eden 02 (design Iratzoki & Lizaso pour Sokoa), du fauteuil Smart et sa résille dorsale couturée pour maîtriser sa déformation (Humanscale), du fauteuil polyvalent Xact (Kinnarps), ou encore du modèle AT Motion (Wilkhahn) qui se déforme véritablement même dans la diagonale pour suivre les mouvements de l’utilisateur… Enfin, l’ergonomie concerne aussi les accessoires de bureau, avec par exemple les nouveaux bras support-écran M 2.1, M 8.1 et M 10 de Humanscale, à la fois mobiles, robustes, et simple à monter et démonter sans outils en quelques mouvements.