[Baromètre Maison&Objet] Le sourcing local, une idée qui fait son chemin
Maison&Objet n’est pas seulement un lieu d’échanges commerciaux, mais aussi un outil d’analyse du marché, comme le montre notamment le Baromètre, par lequel le salon sonde, trois fois par an, sa communauté de retailers, marques et prescripteurs. Sa dernière livraison de juillet dernier, sur le thème « Retour au local, où en est-on ? », montre à la fois une intention de revenir à un sourcing local, les gains qui en résultent mais aussi les freins qui s’y opposent, à commencer par un consommateur final peu enclin à payer plus cher pour un produit plus élevé en qualité et plus respectueux de l’environnement.
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Manifestation très internationale aussi bien par ses exposants que par son visitorat, Maison&Objet dispose d’une large base de données d’acteurs de l’architecture d’intérieur et de la décoration, qu’il met à profit pour sonder le marché, trois fois par an, afin de dégager des tendances de fond qui peuvent éclairer les entreprises dans leurs prises de décisions stratégiques. Telle est la fonction du Baromètre de Maison&Objet, dont la dernière livraison, en juillet 2022, a pour titre « Retour au local, où en est-on ? ». Pour effectuer cette étude, le salon a interrogé, du 30 mai au 10 juin dernier, via un questionnaire en ligne, un panel de 730 marques, distributeurs ou prescripteurs, les trois cibles de la manifestation*. Un sujet qui est indéniablement d’actualité : à la faveur de la crise de la Covid-19, la fabrication locale – dans le meilleur des cas le made in France – associée aux approvisionnements en circuits courts, est en effet apparue comme une solution pour contourner les très nombreuses contraintes sanitaires aux frontières, et la désorganisation du commerce international, qui ont perturbé le marché pendant toute la pandémie. La fabrication locale apparaît aujourd’hui comme une voie possible pour se prémunir d’autres crises similaires à venir. Mais elle recouvre aussi d’autres enjeux liés à la défense de nos emplois industriels et à une nécessaire réindustrialisation – l’axe de communication qui a été retenu par l’Ameublement français dans la campagne « Meublez-vous français » – dont le client final est de plus en plus conscient. Enfin, réduire les distances d’approvisionnement et de livraison, c’est réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport, et apporter sa pierre à la lutte contre le réchauffement climatique, dont l’été étouffant et incendiaire que nous venons de vivre laisse entrevoir les conséquences catastrophiques.
Une forte interaction entre l’Europe et l’Asie
Toute analyse commence par un état des lieux : les réponses au questionnaire ont tout d’abord permis d’en savoir plus sur les échanges entre continents, c’est-à-dire « qui fabrique où » et « qui achète où ». Ainsi, ce quatrième Baromètre nous apprend que, au sein de la communauté de Maison&Objet, 83 % des marques européennes fabriquent tout ou une partie de leurs produits en Europe. Elles sont aussi 36 % à sourcer leurs matières premières et matériaux, et 29 % à fabriquer certains de leurs produits dans la zone Asie-Océanie, ce qui traduit la forte interaction entre les continents européens et asiatique (a contrario, 8 % seulement des marques européennes fabriquent leurs produits dans la zone Afrique-Moyen-Orient). Les interactions entre l’Europe et les Amériques sont moins importantes, puisqu’il ressort que 80 % des distributeurs et prescripteurs américains sourcent leurs produits finis auprès de marques du même continent. Cependant, 42 % de ces distributeurs et prescripteurs américains achètent des produits de marques européennes – qui ont une forte image de qualité et de créativité, et sont un élément de différenciation par rapport à la production locale – tandis que 29 % achètent des produits sur le continent asiatique.
En premier lieu, ce baromètre nous apprend que le sourcing local est déjà une réalité très répandue : 90 % des acheteurs interrogés affirment se fournir en produits finis sur leur propre continent, mais 50 % d’entre eux déclarent qu’ils achètent aussi des produits de fabrication plus lointaine. Au global, ce sont 52 % des professionnels interrogés qui affirment avoir déjà une part de leur production ou de leur sourcing localisée, ce qui est un pourcentage élevé, mais appelle une réserve : les exposants et visiteurs de Maison&Objet sont plutôt en quête de produits créatifs et exclusifs, positionnés sur le haut de gamme, ce pourcentage d’achats locaux serait donc certainement plus faible si on intégrait au panel les acteurs des mass market, qui privilégient les prix et se tournent pour cela vers l’importation lointaine.
Baromètre M&O
Une volonté de raccourcir ses circuits d’approvisionnementsCe panorama des échanges intercontinentaux, issue des décennies de mondialisation, est-il en train de changer ? C’est l’un des chiffres clés de ce Baromètre, 88 % des professionnels interrogés déclarent que leurs clients « sont de plus en plus regardants sur l’origine des produits ou des matières premières. » D’autre part, 60 % d’entre eux considèrent que ce phénomène se développe depuis la crise du transport international et de l’inflation. En conséquence, et pour répondre à cette attente, un tiers des distributeurs et prescripteurs se déclarent prêts à enclencher un processus de relocalisation et, autre chiffre clé de l’étude, 71 % d’entre eux ont l’intention de le faire dans les 1 à 2 ans. Parmi les 48 % d’acteurs interrogés qui ne font pas ou font peu appel au sourcing local, 26 % prévoient de prendre ce virage, parmi lesquels 16 % veulent se sourcer dans un environnement voisin (circuits courts), 48 % au niveau du pays, et 36 % au niveau du continent. En Europe, trois pays bénéficient dans cette optique d’un intérêt particulier de la part des marques : le Portugal, l’Italie et l’Espagne.
Les facteurs de décision qui vont dans ce sens sont multiples, à l’image de de ceux avancés par le concept store canadien QE Home, qui met en avant des critères éthiques contenus dans la production locale, mais aussi le risque lié à la politique zéro-Covid de la Chine, qui perturbe les délais de livraison des produits. « Il est important de relocaliser, et de miser sur la qualité et pas seulement sur le prix. Si l’argumentaire de vente est bon et cohérent, la vente se fait car les clients ne sont plus dupes », avance de son côté le responsable d’une boutique installée en France. Autre exemple, pour le grossiste en articles de décoration belge Chehoma, « beaucoup d’acteurs voulaient relocaliser en Europe de l’Est, mais la crise en Ukraine a montré que ce n’était pas non plus l’unique solution. Un sourcing multi-pôles reste la solution la plus viable selon nous. »
Baromètre M&O
Des bénéfices attendus et des freinsPour les acteurs interrogés par le Baromètre, les bénéfices attendus d’une relocalisation sont multiples, à commencer par une réduction de leur impact sur l’environnement, pour 71 % des marques, et 63 % des distributeurs et prescripteurs. Pour 58 % des marques (55 % des distributeurs et prescripteurs), elle est aussi synonyme d’un retour à des valeurs sociales, le tout formant un ensemble de facteurs qui sont susceptibles, pour 53 % des marques et 44 % des distributeurs et prescripteurs, d’améliorer leur image auprès du client final. Autres retombées positives attendues, un raccourcissement des délais de transport (pour 42 % des marques et 40 % des distributeurs et prescripteurs), une hausse de la qualité (pour respectivement 41 % et 48 %), une meilleure traçabilité (pour respectivement 35 % et 40 %), et enfin une meilleure qualité des produits (pour respectivement 30 % et 39 %).
A contrario, 22 % des entreprises sondées n’ont pas l’intention de changer leur mode d’approvisionnement, ce qui est le cas de 35 % des marques. Quelles sont leurs raisons ? La principale reste la crainte de coûts de fabrication plus élevés pour 70 % des marques, et de coûts d’achat plus élevés pour 71 % des distributeurs et prescripteurs. « Nos coûts de fabrication augmenteraient, puisque nos produits en métal nécessitent une main d’œuvre intensive et que les prix de l’énergie sont élevés en Europe », justifie une marque allemande, un constat largement partagé. Les marques redoutent aussi à 44 % l’absence de matières premières dans certaines régions, et à 41 % la difficulté de trouver des nouveaux fournisseurs, accrue par le fait que certains savoir-faire ont disparu notamment en Europe. « Beaucoup d’ateliers ont fermé leurs portes et pour certains produits, il est devenu très difficile, voire impossible de produire localement, premièrement car les matières premières ne sont plus disponibles, et parce que nous n’avons plus les outils et les compétences », argumente un exposant du salon. En conséquence, 44 % des distributeurs et prescripteurs craignent avec un sourcing local de devoir réduire leur portefeuille de fournisseurs, donc la richesse et la diversité de leur offre. Autre difficulté, certaines entreprises ont tissé des liens de longue date avec des fournisseurs ou partenaires lointains, qui détiennent des savoir-faire spécifiques – par exemple des produits ethniques en provenance d’Inde ou d’Amérique du Sud, des tapis en provenance de Turquie – qui n’existent tout simplement pas en Europe.
Enjeux et bénéfices, à terme, du processus de relocalisation – Baromètre M&O
Obtenir l’adhésion du consommateur finalSi elles semblent souhaitables – et peut-être même indispensables – pour la lutte contre le changement climatique, le rétablissement d’une certaine indépendance industrielle, et la sauvegarde des savoir-faire – la relocalisation et le retour au sourcing local ne se feront pas en quelques mois, et semblent plutôt un chantier structurant pour les décennies à venir. En effet, comme le soulignent certains acteurs sondés, le client final devient exigeant en la matière, mais ne semble pas prêt à payer plus cher pour des produits pourtant plus conformes à ses attentes. « Le point le plus difficile, c’est que le consommateur aimerait un produit local, et défend des conditions de production sociales et écologiques, mais pour le même prix que le produit “chinois“ », constate-t-on chez un fournisseur de jouets belge. En conclusion, le Baromètre souligne que la relocalisation sera possible à condition que le consommateur fasse le chemin nécessaire pour être en accord avec ses convictions, c’est-à-dire qu’il renonce à chercher des prix toujours plus bas, et accepte de payer un produit de meilleure qualité et plus durable, un peu plus cher. Comme l’indique l’un des acteurs interviewés, reconstruire dans certains pays un tissu industriel complet, et les compétences afférentes, qui rendent possible les approvisionnements locaux est un projet à long terme qui demande l’appui des pouvoirs publics. Une affaire à suivre.
- Le panel comprend 367 distributeurs (boutiques indépendantes, grands magasins, chaînes de magasins, e-commerce…), 230 prescripteurs (architectes d’intérieur, architectes, promoteurs immobiliers, paysagistes…) et 133 marques (fabricants, designers, éditeurs…).
Baromètre M&O
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[Zooms]Distributeurs : une situation stable mais des perspectives en baissePar rapport à la même période de l’an passé – de févier à mai 2021 – le Baromètre relève que 40 % des distributeurs enregistrent un chiffre d’affaires en baisse (+2 points), 27 % en hausse (-11 %) et 33 % étale (+9 points). Les perspectives de chiffre d’affaires sont neutres pour 47 % d’entre eux (+19 points), positives pour 34 % (-33 %), et négatives pour 19 % (+14 points). Le niveau des stocks est à peu de chose près équivalent, normal pour 49 % d’entre eux, bas pour 18 % et élevé pour 33 %. Enfin, les prévisions de commandes sont en retrait sur les 4 prochains mois, puisque 40 % des distributeurs envisagent de commander autant qu’il y a un an (- 8 points), et 40 % de commander moins (+ 17 points). Seuls 14 % des sondés envisagent des commandes plus importantes (- 10 points).
Marques : une activité qui reste bien orientéeLes marques – fabricants, éditeurs, designers – semblent la catégorie qui tire le mieux son épingle du jeu, puisque 39 % (-3 points) d’entre elles ont connu une augmentation de leur chiffre d’affaires par rapport à la même période de l’an passé, tandis que 35 % (+ 12 points) ont stagné, et 26 % (- 8 points) sont en baisse. Même si elles sont moins florissantes qu’il y a un an, les perspectives de chiffre d’affaires sur les 4 prochains mois restent bonnes, avec 46 % (- 21 %) de perspectives positives, 44 % (+ 17 %) de perspectives neutres, et 10 % (+ 4 points) de perspectives négatives. Le niveau des stocks est normal pour 47 % d’entre elles (- 5 points), bas pour 27 % (+ 4 points), et élevé pour 26 % (+ 1 point). En ce qui concerne leur modèle de distribution, les marques sont présentes à 26 % en B to B uniquement (+ 4 points), en B to C uniquement à 8 % (+ 3 points), et dans les deux canaux à 66 % (- 7 points). 69 % des marques misent sur leur propre boutique en ligne en B to C, et 39 % d’entre elles misent sur leur e-shop en B to B (+ 6 points).
Les prescripteurs, entre stagnation et relance du marchéPour la période de février à mai dernier, les prescripteurs font le constat d’un attentisme du marché, qui tarde à redémarrer suite aux années Covid-19. En effet, 49 % d’entre eux font état d’un maintien de leur activité (+ 14 points), tandis que 31 % ont une activité en baisse (+ 6 %), et 20 % une activité en hausse (- 8 points). En comparaison avec il y a un an, leurs perspectives de chiffre d’affaires dans les 4 prochains évoluent vers l’immobilisme, avec 51 % de perspectives neutres (+20 %), 42 % de positives (- 19 points), et 7 % de négatives (-1 point). Cependant, ils sont moins pessimistes sur le nombre de chantiers à venir, prévu en hausse pour 38 % en résidentiel (en baisse pour 27 %), en hausse pour 25 % (+ 17 points) dans l’hôtelier, où le nombre de chantier reste envisagé à la baisse pour 48 % (-18 %). Le nombre de chantier est vu à la hausse dans les magasins pour 24 % (+ 6 points, contre 42 % qui le voient en baisse, et pour 20 % seulement dans les bureaux, une estimation qui est à la baisse de 6 points par rapport au précédent Baromètre.