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24.8.2023

[Dossier] Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) : l’Ameublement français passe aux travaux pratiques

Au cœur de son nouveau plan sectoriel 2022-2027, l’Ameublement français s’est fixé comme objectif d’être aligné avec les engagements de la France dans le cadre de la trajectoire carbone 2030-2050. Cette orientation stratégique s’est traduite par un diagnostic économique, social et environnemental de la filière, réalisé par le cabinet de conseil EY, dont les résultats ont été connus fin 2022. Depuis, l’Ameublement français a déployé un vaste programme de formation RSE, pour accompagner toutes les entreprises de la filière sur le chemin de la décarbonation.

Chantier stratégique pour l’Ameublement français, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) avance à grands pas. Cette thématique avait été mise en avant l’année dernière, lors des Rencontres de l’Ameublement français, qui ont eu lieu le 24 juin 2022 à Paris. En choisissant la thématique « Cap 2030, vers une filière à impact positif », les responsables de l’organisation professionnelle avaient annoncé la couleur : les industriels de notre secteur doivent s’engager activement dans la décarbonation de leur activité, afin d’être en ligne avec les objectifs assignés par les Accords de Paris, signés en 2015, à l’industrie française : une réduction de nos gaz à effet de serre de 43 % en 2030, et la neutralité carbone en 2050. Seule une transformation en profondeur des entreprises permettra d’atteindre ce but : elles doivent faire évoluer leur modèle économique, en adoptant un ensemble de pratiques nouvelles, qui vont du choix de matériaux alternatifs plus vertueux, à la valorisation des produits en fin de vie, jusqu’à l’économie circulaire et la sobriété énergétique.

La RSE, déjà une réalité sur le terrain

Pour avancer dans cette direction, les entreprises ont à leur disposition un outil majeur : la démarche RSE – responsabilité sociétale des entreprises – définie par la Commission Européenne comme « L’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ». En d’autres termes, la RSE est la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable, et une entreprise qui pratique la RSE va donc chercher à avoir un impact positif sur la société tout en étant économiquement viable. Il en résulte un premier constat : un très grand nombre d’entreprises de notre secteur, de toutes tailles, font déjà de la RSE sans le savoir… C’est ce qui était ressorti de l’intervention, toujours dans le cadre des Rencontres de l’Ameublement français 2022, de Marc Lhermitte, directeur associé du cabinet EY Consulting, spécialisé dans l’impact de la géopolitique sur la stratégie des groupes internationaux, PME et start up, missionné par l’Ameublement français pour livrer un premier diagnostic de la RSE dans notre secteur. L’intervenant avait relevé que l’ameublement est déjà très actif sur le volet sociétal de la RSE, grâce à un taux élevé d’emplois stables, puisque 13 % seulement des salariés sont en CDD ou à temps partiel (contre 30 % pour l’ensemble des conventions collectives de branches), et 64 % de ces salariés sont des ouvriers, une catégorie qui est plus victime du chômage que les autres. En ce qui concerne le volet environnemental, les premiers constats ont permis de mettre en avant les atouts du secteur, à commencer par l’utilisation du bois, massif ou sous forme de panneaux, un matériau qui émet de 0,3 à 0,4 kgCO2 éq./kg de GES (gaz à effet de serre), beaucoup moins émissif que d’autres comme le PVC ou l’acier (respectivement 3,1 et 1,5 kgCO2 éq./kg). La filière contribue activement au maintien des forêts, véritable puits de carbone, et utilise 21 % de matériaux recyclés – notamment dans les panneaux à base de bois – et fabrique des produits à longue durée de vie – par exemple 23 ans en moyenne pour une cuisine. Plus de 80 % de ses déchets sont recyclés ou valorisés, un pourcentage qui n’a cessé de se développer depuis la création des éco-organismes Ecomobilier – devenu Ecomaison – et Valdelia, qui a placé notre secteur dans le peloton de tête en la matière.

Usinage d’un plan de travail chez WM88 © Jérôme Baudoin

Une industrie ancrée dans les territoires

Mais pour savoir où aller, il faut savoir d’où l’on part. Afin de se fixer des objectifs atteignables de décarbonation, l’Ameublement français a demandé au même cabinet de conseil EY de faire un état de lieux de la filière sur le plan économique, social et environnemental, qui a été rendu public à la fin 2022. De cette étude en profondeur, on peut retenir que, même si elle a perdu les trois quarts de ses emplois par rapport à son plus haut, et 27 % d’entre eux depuis 2009, la filière meuble française offre depuis une belle résistance, et nous avons aujourd’hui une véritable « équipe de France » des fabricants français qui sont ressortis plus forts de cette longue épreuve. La fabrication française de meubles représente 60 000 emplois directs, et 112 000 emplois au total – si on comptabilise les emplois indirects et induits – et elle a généré 3,6 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 40 % de plus que la filière textile par exemple.

Les industries françaises sont implantées à 76 % dans les zones périurbaines et rurales, un chiffre supérieur à la plupart des autres industries créatives, ce qui en fait un facteur de réduction des inégalités territoriales. Les quelque 19 000 entreprises recensées dans la filière offrent par ailleurs des emplois de qualité – emploi des jeunes, durabilité, inclusion, égalité hommes/femmes… – puisque 5 % seulement des salariés du meuble sont en CDD, contre 9 % en moyenne dans les autres filières. La filière se caractérise aussi par sa forte intensité en emplois, à savoir 4,6 ETP (équivalent temps plein) par million d’euros de chiffre d’affaires, contre 3,0 pour le commerce de détail, et même 1,2 pour le commerce de gros, ce qui en fait une industrie de main d’œuvre qui a un rôle à jouer dans l’objectif du plein emploi. Autres vertus sociétales, un faible écart de salaires entre hommes et femmes (9 % contre 17 % en moyenne), et un engagement en faveur de l’inclusion, en captant 25 % des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Enfin, la filière meuble est très active en matière d’apprentissage, puisque les apprentis représentent 5 % des effectifs salariés, contre 2 % en moyenne dans l’ensemble des conventions collectives de branche.

Des émissions carbone déjà contenues à optimiser

Grâce à une utilisation massive du bois, la filière meuble française présente déjà de bonnes performances sur le plan environnemental, puisque ce matériau représente 85 % du poids total des matériaux utilisés (82 % de panneaux à base de bois et 3 % de bois massif), d’autant plus que les panneaux à base de bois intègrent jusqu’à 40 % de bois recyclé, ce qui contribue à une exploitation raisonnée de cette ressource et au maintien des forêts, véritables puits de carbone. Autre facteur de performance environnementale, 92% des déchets liés à l’ameublement sont revalorisés – dont 2/3 en recyclage matière et 1/3 en énergie – ce qui en fait une filière exemplaire sur la gestion de la fin de vie, et permet de réduire de plus d’un quart ses émissions. Les matières premières et approvisionnements représentent en effet 70 % de l’empreinte carbone de la filière, soit 1,78 MtCO2eq (millions de tonnes d’équivalent CO2), sur des émissions totales de 2,58 MtCO2eq. C’est ici que la comparaison avec les importations est intéressante. Le cabinet de conseil EY relève en effet que l’empreinte environnementale d’un meuble fabriqué en France est au moins deux fois inférieure à celle d’un meuble fabriqué en Chine puis importé en France, une démonstration effectuée en prenant l’exemple d’un bureau. Cet impact n’est pas lié qu’au transport mais aussi aux modes de production. L’objectif affiché de décarbonation doit donc logiquement, pour être atteint, s’appuyer sur une réduction des importations, et sur un retour à la fabrication sur notre territoire.

Les différents leviers de la décarbonation

Pour atteindre les objectifs ambitieux qu’elle s’est fixés en matière de décarbonation, la filière a déjà identifié plusieurs leviers à actionner en agissant sur l’ensemble du cycle de vie des produits, en priorisant la transformation des modes d’approvisionnement, de fabrication et de transport. Il faudra notamment agir sur la décarbonation de l’approvisionnement en matières premières, en utilisant davantage de matières recyclées, notamment pour les matières les plus polluantes, en ayant recours à des matériaux issus de pratiques d’exploitation durable ou biosourcés, et en renforçant l’approvisionnement local. La question du transport est tout aussi importante : les entreprises devront réduire les distances de transport, avoir recours à des modes de transports plus propres tels que les véhicules électriques, le train ou le bateau (en alternative au camion), et privilégier la fabrication de meubles plus légers. Troisième volet de la transformation, la fabrication devra favoriser l’électrification des processus de production, la fourniture d’électricité à partir de sources renouvelables – par exemple les panneaux solaires photovoltaïques – et opérer une modernisation des outils de production en faveur d’équipements moins énergivores.

A plus long terme, la filière devra, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, miser sur le design d’usage et l’économie de la fonctionnalité, en rendant ces nouveaux modèles compatibles avec une croissance économique durable. Cela implique une mutation profonde des mentalités des parties prenantes de la filière – notamment des consommateurs BtoB et BtoC – qui devront s’orienter vers la location plutôt que l’achat, la réparation plutôt que le recyclage, la qualité durable plutôt que les prix bas, sans oublier le développement du marché de seconde main, qui est déjà l’un des piliers de la loi AGEC – Anti-gaspillage et Economie Circulaire – de 2021. Les fabricants devront donc faire en sorte d’allonger la durée de vie des meubles, ce qui pourrait se traduire par une diminution des quantités de meubles produites à l’échelle mondiale, avec à la clé une décarbonation massive. Ils devront aussi accélérer leur pratique de l’éco-conception et de la réparation – deux piliers de cette démarche de prolongation de la durée d’usage – et réduire leur utilisation des ressources naturelles, dans une perspective d’économie circulaire. La filière devra aussi se structurer pour mettre en place un marché de la seconde main, comme c’est déjà le cas sur d’autres marchés – par exemple l’habillement – qui montrent que cela répond à de réelles attentes des consommateurs. Les éco-organismes Ecomaison et Valdelia pourraient avoir un rôle moteur à jouer sur ce sujet en rénovant des meubles plutôt qu’en les valorisant par d’autres méthodes telles que le recyclage matière ou l’incinération. Cela pourrait ainsi permettre que la valeur ajoutée ne soit pas captée par un seul opérateur privé mais bénéficie à l’ensemble de la filière. Enfin, la filière devra développer l’économie de la fonctionnalité, c’est-à-dire passer de l’acquisition du meuble à l’usage, selon un principe de « furniture as a service ». Le développement du design d’usage et la transition vers une économie de la fonctionnalité est à même de réduire les quantités produites et de relocaliser les lieux de production et de services, au plus proche des consommateurs. « La transformation des modes d’approvisionnement, de fabrication et de transport est au centre des priorités pour décarboner la filière. A long terme, l’émergence du design d’usage et de l’économie de la fonctionnalité constituent un changement de paradigme qui permettra une décarbonation profonde » résume Cathy Dufour, Déléguée générale de l’Ameublement français.

Laurence Roure, responsable RSE au sein de l’Ameublement français.

Un programme de formation à grande échelle

Après avoir procédé à ce diagnostic global de la filière, la question se pose de savoir comment faire pour entraîner l’ensemble des entreprises dans ce profond changement de modèle. L’Ameublement français a pris dans ce domaine une initiative majeure : la mise en place, avec le cabinet d’expertise certifié RSM et avec le soutien du Codifab, d’un programme d’accélération du déploiement RSE dans les entreprises. Suite à un premier test concluant, réalisé courant 2022 avec 5 entreprises du secteur – 1 ETI, 2 TPE et 2 PME – l’Ameublement français a lancé à partir de novembre 2022 un programme de formation et d’accompagnement à grande échelle. « L’objectif est d’accompagner les entreprises sur le chemin de la RSE, sur le moyen et long terme, grâce à une méthodologie pragmatique et adaptée à la taille des entreprises, explique Laurence Roure, responsable RSE au sein de l’Ameublement français. Les formations et accompagnements personnalisés des entreprises de la filière, sont des facteurs clé de succès pour un engagement du plus grand nombre dans un processus de décarbonation efficient ». Un peu plus de six mois plus tard, le programme est un succès, et le calendrier prévisionnel respecté, puisqu’une quarantaine d’entreprises de toutes tailles et tous profils l’avaient déjà suivi à la mi-2023, sur les 80 entreprises – dont 3 ETI, 45 PME et 32 TPE – qui étaient pressenties pour être formées sur l’année 2023.

Pour aligner la démarche RSE des entreprises avec les enjeux et les objectifs collectifs de la filière, ce programme permet aux entreprises de structurer leur démarche RSE en interne, en répondant à leur besoin de montée en compétence, et d’établissement d’une feuille de route comportant des indicateurs pour mesurer le chemin parcouru. Il leur permet d’apporter une réponse pertinente aux exigences croissantes des donneurs d’ordre en matière de critères environnementaux et d’initiatives sociétales, et les guide dans l’instauration d’un dialogue avec les parties prenantes de l’entreprise, fournisseurs, partenaires extérieurs, comme salariés. Le public visé se compose des fabricants de mobilier de tous types, et des agenceurs français de toutes tailles. A la fin de la formation, les référents RSE – ou tout salarié en charge de la mise en œuvre de la RSE dans l’entreprise – qui ont participé à la fin de la formation, doivent être capables d’appréhender les enjeux de l’intégration de la RSE dans les différents métiers de l’entreprise, de s’approprier les clés et outils pour piloter une démarche RSE en interne, et de s’assurer que la démarche RSE s’inscrit dans le long terme et dans une optique d’amélioration.

La RSE déclinée en 6 modules

Conçu avec le cabinet de consulting RSM, le programme se décline en 6 modules – la raison d’être de la RSE, le cadrage de la démarche RSE, les outils au coeur de la démarche, le cadre réglementaire et l’identification des enjeux, la valorisation de sa démarche, et l’innovation levier de succès – qui mélangent à la fois du présentiel en collectif, de l’e-learning, et de la formation action directement dans l’entreprise par une approche personnalisée. « Il s’agit d’une formation opérationnelle et pragmatique, ajoute Laurence Roure, avec ce qu’il faut de théorie mais surtout des outils clés en mains pour permettre un déploiement efficace de la RSE sur le terrain. Notre volonté était d’aider les entreprises à s’approprier une problématique nouvelle, en leur donnant une méthode, et en assurant le bon déroulement des différentes étapes de la démarche RSE, avec à l’horizon la préparation d’un premier rapport RSE. » Les premiers retours sont très positifs, depuis les 5 entreprises pilotes qui ont testé la formation, jusqu’aux 40 entreprises déjà formées, qui lui ont attribué une note de 8,6 /10. Les participants ont mis en avant une accélération de leur démarche RSE en interne, un parcours qui s’appuie sur les meilleures pratiques et standards RSE, une démarche RSE créatrice de valeurs et d’opportunités, un levier de différenciation et d’attractivité des meilleurs talents, et un axe fédérateur dans l’entreprise et pour les collaborateurs. « Les exigences croissantes des donneurs d’ordres publics et privés, mais aussi les attentes montantes des consommateurs finaux, montrent que c’est le bon moment pour les entreprises pour s’engager dans la démarche RSE, et le faire de façon ordonnée, en prenant les bons plis dès le départ, sans que la réglementation les mette sous pression », conclut Laurence Roure. Les choses avancent pourtant à grands pas : selon la nouvelle directive européenne CSRD, le seuil des entreprises qui devront publier un reporting de leur démarche RSE sera abaissé à 250 salariés, 40 M€ de chiffre d’affaires et 20 M€ de total de bilan à partir du 1er janvier 2024. En attendant un nouvel abaissement probable de ces seuils puisque, à terme, tous les acteurs de l’industrie devront répondre à un impératif de neutralité carbone.

[F. S.]

Programme de mobilier de bureau Wigwam (CLEN).
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