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12.8.2021

[Philippe Moreau, Président de l’Ameublement français] « La crise a replacé le meuble parmi les priorités des Français »

[Philippe Moreau, Président de l’Ameublement français]

« La crise a replacé le meuble parmi les priorités des Français »

Malgré une situation stressante pour les fabricants français, liée à la tension sur les matières premières, à la hausse des prix, au rallongement des délais de livraison, ou encore au ralentissement du fret international, le Président de l’Ameublement français retient les aspects positifs de la pandémie. Après un premier semestre 2021 de forte activité, il souligne le regain d’intérêt des consommateurs et leurs intentions d’acheter du meuble, qui devraient durer dans le temps, et le rapprochement de la fabrication et de la distribution dans le cadre de la campagne « #Meublezvousfrançais ! », créant les conditions d’une nouvelle période de croissance pour le secteur. Entretien tiré de l’annuel Marché du Meuble 2021, paru en juin 2021 en supplément du Courrier du Meuble et de l’Habitat.

A la mi-2021, un an et demi après le début de la crise de la Covid-19, comment se portent les industries françaises de l’ameublement ?

Globalement, la situation est plutôt dynamique et bien orientée. Il y a un an, au sortir du premier confinement, personne n’aurait parié sur un tel redémarrage du marché… ni sur une telle inflation des matières premières ! On peut dire qu’au global, l’industrie française de l’ameublement se porte bien au niveau de la demande, mais avec des situations contrastées selon les marchés. Pour parler d’abord du mobilier domestique, la demande est repartie très fort dès l’été 2020, et elle n’a pas faibli depuis, malgré les périodes successives de reconfinement et de fermeture des magasins. Voilà pourquoi, à la fin mars 2021, l’activité de l’Ameublement français est entre + 4  et + 5 % au-dessus des chiffres de mars 2019 [voir encadré]. Nous pensons que cette dynamique va se poursuivre, même après un retour à une vie normale, parce que les salariés se souviendront des besoins de confort rencontrées chez eux pendant les confinements, et vont conserver une partie de télétravail. S’ils passent deux jours supplémentaires chez eux chaque semaine par rapport à avant la crise, ils vont devoir modifier l’organisation de leur intérieur, et mieux s’organiser pour les différentes activités de la famille. Pour obtenir le confort et la fonctionnalité dont ils ont besoin, ils vont s’intéresser beaucoup plus à leur canapé, leur meuble TV, leur table de salle à manger, leur bureau et leurs rangements, ce qui devrait générer une montée en gamme des achats. Cette tendance remet l’ameublement au premier plan des préoccupations des ménages, alors que depuis 15 à 20 ans, il était passé derrière les voyages, les loisirs, ou encore les abonnements numériques. D’autre part, le multicanal et les progrès du digital, qui permettent d’avoir toutes les informations en permanence sur son smartphone, et d’acheter de partout et à tout moment, rendent cette offre de plus en plus disponible, et favorisent aussi le passage à l’acte d’achat.

Philippe Moreau, Ameublement français
Philippe Moreau, Ameublement français

Qu’en est-il du mobilier professionnel et contract ?

Pour le mobilier professionnel, la reprise a été plus tardive selon les segments de marché. Si le mobilier de collectivités – hôpitaux, scolaire par exemple – a été moins impacté en 2020, les mobiliers de bureau et contract ont souffert, notamment sur les grands projets qui ont été frappés par une forme d’attentisme ou tout simplement reportés. Cependant, les professionnels sentent un frémissement de la demande depuis la fin du premier trimestre 2021. Mais le rattrapage des niveaux d’avant crise sanitaire sera long sur ces marchés, les experts du mobilier de bureau estiment que le niveau d’activité de 2019 ne sera retrouvé que fin 2022, et ceux de l’hôtellerie fin 2025. Le plus important est que la catastrophe annoncée à la fermeture des établissements n’a pas eu lieu : on constate en effet que les entreprises qui fabriquaient par exemple des chambres d’hôtel en série pour les grands groupes hôteliers, dont la commande a été brutalement interrompue, ont souvent été capables de réagir très vite, avec une grande agilité. Elles ont su s’adapter à d’autres marchés et demandes, car elles avaient déjà souvent d’autres débouchés qu’elles ont su relancer, comme les projets pour les collectivités, la fourniture du retail et de l’agencement, avec souvent à la clé une valeur ajoutée plus importante. La collecte de la taxe affectée au premier trimestre 2021, qui se situe à un bon niveau, traduit cette résilience. En résumé, je dirais que le mobilier domestique se porte bien en termes de niveau de commandes et d’activité, et que le mobilier professionnel s’adapte aux opportunités qui se présentent, en attendant une reprise franche des projets en hôtellerie et restauration, dès que le contexte sanitaire le permettra.

Quels sont les défis que les fabricants doivent aujourd’hui relever ?

Si la demande est forte, ce qui est une très bonne chose, les fabricants sont aujourd’hui confrontés à une forte tension sur les approvisionnements en matières premières. Il s’agit bien d’une tension, et non pas d’une pénurie, car les matériaux que nous utilisons sont disponibles en quantité : nous avons une ressource en bois très abondante en France, puisque 25 % de notre territoire est couvert de forêts, et que nous n’exploitons que la moitié de la pousse annuelle. D’autre part, l’essor de la construction bois génère des volumes très importants de produits connexes, qui alimentent notre industrie des panneaux à base de bois. Autre exemple, l’acier est aussi disponible en quantité, puisque cette filière, très performante, produit des matériaux en grande partie issus du métal recyclé. Nous sommes plutôt victimes d’une crise de croissance : la demande est repartie à la hausse de façon brutale, et nos fournisseurs industriels qui sont déjà à plein régime ne peuvent pas en quelques semaines accroître leurs volumes de production. Pour les fabricants de meubles, la conséquence est un allongement des délais de livraison pour ces matériaux, qui les oblige à anticiper et à commander jusqu’à six et même neuf mois à l’avance, et une augmentation des prix des matières premières. Nous avons donc sensibilisé la distribution comme le cabinet de la ministre de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher, sur les problématiques rencontrées avec des éléments factuels qui expliquent pourquoi les industriels du meuble sont contraints pour préserver leurs marges et donc l’emploi, de répercuter les hausses de matières premières subies, parfois à plusieurs reprises dans l’année. Bien entendu, l’autre conséquence majeure de cette tension sur les matériaux est un allongement des délais de livraison pour les meubles, ce qui n’est pas valable seulement pour les fabricants français, mais pour tous les fabricants.

La crise a aussi du bon, avec notamment un retour vers le consommer local et le made in France. Est-ce que cela se traduit concrètement pour les fabricants français ?

Pour l’Ameublement français, cette crise a été un véritable électrochoc, qui l’a sorti de ses habitudes ! Le premier confinement, la fermeture temporaire des usines et des magasins a provoqué un moment de sidération. Mais nous avons immédiatement créé une cellule de crise, qui a fonctionné en permanence pendant cinq semaines pour nous organiser, financer les PGE [Prêts Garantis par l’État, ndlr] et le chômage partiel, puis redémarrer les usines… Dès la réouverture des magasins, nous avons constaté qu’il y avait un rebond, et une carte à jouer pour nos industries, dans un contexte de ralentissement du commerce international peu favorable aux importations lointaines, et de retour en grâce de la consommation locale… C’est dans cette atmosphère qu’est né tout naturellement un partenariat constructif : nous avons décidé, avec la distribution, de nous adresser ensemble au consommateur final, en lançant conjointement pendant l’été la campagne omnicanale « #Meublezvousfrançais ! », une innovation car pour la première fois, fabricants et distributeurs défendaient des intérêts communs. Nous espérions au départ avoir une dizaine de distributeurs partenaires, et au final nous en avons eu une trentaine ! Ensemble, nous avons travaillé pour créer un logo, et une signalétique pour les magasins, qui ont largement été repris sur les sites web des partenaires, dans leurs catalogues et documents commerciaux… Cette opération est, au final, un grand succès, puisque la vidéo de trente secondes que nous avons diffusée dans les médias et sur les réseaux sociaux a touché sept millions de Français, sans compter le relais dans 2 500 points de vente et sites partenaires. Son impact a été double. Vis-à-vis des pouvoirs publics, nous avons réussi à changer notre image, qui était celle d’une industrie poussiéreuse, en montrant que le meuble français d’aujourd’hui est un produit moderne, créatif, avec du design, c’est-à-dire une dimension de confort et de bien-être, et que nous sommes présents dans l’espace digital. Aux consommateurs finaux, nous avons rappelé qu’il existe une industrie française vivace et créative, avec des produits de qualité, fabriqués dans nos territoires, avec à la clé des femmes et des hommes qui travaillent, autrement dit des emplois et des familles qui en vivent. De plus en plus de clients poussent aujourd’hui les portes des magasins de meubles, avec un intérêt accru pour les produits made in France – et indiquent ce critère dans leurs recherches sur Internet – ce qui se traduit actuellement dans nos carnets de commandes. Un bilan statistique de « #Meublezvousfrançais ! » sera réalisé fin 2021, mais cette campagne a déjà attiré sur nous un regard bienveillant des pouvoirs publics, avec qui nous partageons la même volonté de réindustrialiser notre pays. Elle sera prolongée par d’autres événements dès l’automne, pour maintenir cette dynamique.

L’un des grands gagnants de la pandémie semble être l’e-commerce. Quelles en sont les conséquences pour les fabricants français ?

Ce que cette crise a montré, c’est qu’il ne faut plus aujourd’hui opposer l’e-commerce et le réseau physique des magasins, qui sont devenus indissociables et complémentaires. La grande majorité des consommateurs ont besoin des deux et sont devenus agiles, même les tranches d’âge les plus âgées, qui n’étaient pas à l’aise avec ces outils, vivent de plus en plus avec le smartphone à la main… Ce que je relève en particulier, c’est que la croissance de l’e-commerce a surtout profité aux magasins physiques, aussi bien grandes enseignes que petites boutiques, et beaucoup moins aux pure playeurs ni aux géants bien connus de la vente en ligne. On a vu notamment se développer le « click and collect », parce qu’il s’agit d’un achat avec une réassurance : j’achète mon meuble en ligne, et je viens le chercher en magasin, ce qui permet de vérifier qu’il correspond à ma commande, qu’il n’a pas de défaut, et en même temps je sais où me rendre et à qui m’adresser en cas de SAV.

Le digital, qui était l’ennemi il y a quelques années, est devenu un allié qui facilite l’achat, en permettant d’aller jusqu’au client final, sur son smartphone, pour lui expliquer les caractéristiques de mon produit, de ma marque, et lui raconter une histoire, le fameux « story telling » qui permet de me distinguer de la concurrence. C’est grâce à ce positionnement omnicanal que la plupart des enseignes de l’équipement du foyer, et les spécialistes ameublement ont fortement augmenté leurs ventes en ligne pendant toute la pandémie. Ce constat doit nous amener à accélérer encore la digitalisation de nos entreprises, car c’est en jouant la complémentarité de notre présence à la fois dans les magasins et sur Internet, en diffusant des contenus sur nos sites et sur les réseaux sociaux, que l’on peut se développer. Le moment est donc venu d’investir dans les bons outils digitaux – configurateur, visuels 3D, réalité augmentée – pour améliorer la qualité perçue de nos produits et séduire sur Internet. Nous avons aussi tout intérêt à développer des relations constructives avec les distributeurs pour améliorer la gestion des stocks et optimiser nos services logistiques.

Philippe Moreau, Ameublement français
Philippe Moreau, Ameublement français

Le fait d’exporter est-il aujourd’hui un avantage ou un inconvénient ?

Le fait d’exporter est toujours un avantage, car le marché mondial du meuble correspond à un volume considérable – environ 400 milliards d’euros – dont la France ne représente que 3 à 5 % selon les segments de marché. Il est vrai que le contexte actuel est particulier : le Brexit a compliqué les échanges avec le Royaume-Uni en début d’année, en entraînant des frais de transitaires supplémentaires, mais les choses sont entrées dans l’ordre. De façon générale, la gestion des flux de conteneurs est plus difficile actuellement, car l’offre de fret maritime est très tendue, ce qui entraîne une augmentation des prix, et des délais de livraison internationaux qui peuvent être jusqu’à deux fois plus longs qu’en temps normal. Mais certains marchés sont particulièrement dynamiques depuis que la pandémie recule, comme par exemple les États-Unis. Les fabricants français doivent aujourd’hui se positionner pour profiter de l’essor de la demande mondiale, et ils le font : la volonté de relocaliser les activités productives en France est à l’origine de nombreux projets d’investissements industriels chez les fabricants en France. C’est effectivement le bon moment pour investir dans la modernisation de son outil de production, pour acquérir des lignes automatisées avec temps de changement de série très réduit, des outils de gestion informatiques, une digitalisation des process. Et cela doit être tiré par l’export : il faut exporter pour pouvoir asseoir son chiffre d’affaires, et pouvoir ensuite investir pour devenir plus performant, et vendre davantage sur son marché national, tout cela formant un cercle vertueux.

Cette crise a aussi montré du doigt les excès de la mondialisation et renforcé la nécessité d’un développement durable. Comment le meuble français peut-il y répondre ?

Il y a aujourd’hui une demande de plus en plus forte des clients finaux sur l’origine des meubles et leur impact sur l’environnement, c’est-à-dire les matériaux qui les composent, leur impact sur la santé, la qualité de l’air intérieur, leur recyclabilité, etc. Sur ce plan, nous avons la chance d’utiliser majoritairement une ressource renouvelable, le bois, qui donne un matériau extraordinaire, le panneau à base de bois, qui représente environ 80 % du bois utilisé dans le meuble, et contient de 40 à 50 % de bois recyclé. Il est important de rappeler que la filière meuble dispose de deux éco-organismes – Éco-Mobilier pour le mobilier domestique et Valdelia pour le mobilier professionnel – qui sont actifs depuis dix ans, ce qui fait de notre filière une pionnière en matière d’économie circulaire. Grâce à leur développement continu, et au concours des fabricants et distributeurs, 91 % des meubles usagés sont aujourd’hui valorisés dans notre pays, ce qui est un argument fort en faveur de nos industries. L’acier que nous utilisons, mais aussi le verre, la mousse, les matières plastiques, sont aussi de plus en plus issus des filières de recyclage. Nos industries sont donc particulièrement bien placées pour répondre aux nouvelles exigences de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), et aux nouvelles règles qui en découlent pour les marchés publics.

Quelles évolutions peut-on attendre pour le second semestre 2021, et sur quels points les fabricants de meubles doivent-ils être particulièrement attentifs ?

La tension sur les matières premières va encore durer, mais situation finira par rentrer dans l’ordre. Le pic de cette crise est probablement en cours, et nous espérons que cette situation stressante pour nos chefs d’entreprise va se détendre peu à peu. En ce qui concerne la demande en meubles, nous pensons qu’il s’agit d’un phénomène durable, que les consommateurs vont continuer à acheter des meubles pour améliorer leur intérieur, comme le montrent les carnets de commandes qui sont pleins jusqu’à l’automne pour le meuble domestique, et même jusqu’à la fin 2021 pour les industriels de la cuisine. La reprise sera plus lente pour le mobilier contract, mais nous sentons les premiers signes de redémarrage des projets. Le marché est donc bien orienté, et l’ensemble de l’exercice 2021 se présente bien pour nos industries, d’autant plus que les Français ont accumulé une épargne massive dont une partie se reportera sur notre secteur. Les ingrédients dont le meuble français a besoin ont été mis en place ces dernières années, comme la volonté de raconter une histoire pour se démarquer de la concurrence, le côté développement durable de nos produits, la modernisation de nos usines, la digitalisation. Nous avons aujourd’hui toutes les cartes en mains pour profiter pleinement des intentions d’achats des consommateurs pour le meuble.

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