Une scénographie signée du Studio Passage.
Dans les arcanes des icones
Le FRENCH DESIGN by VIA propose, jusqu’au 13 décembre, l’exposition La Fabrique des Icônes. Une exploration passionnante de ces objets s’inscrivant dans l’imaginaire collectif, à travers une vingtaine de pièces emblématiques, qui permettent de décrypter le phénomène, sans entièrement percer à jour les secrets de cette mystérieuse alchimie. FRANCOIS SALANNE
Elles hantent l’imaginaire collectif, elles sont inscrites dans notre inconscient sous l’apparence de formes archétypales… Une œuvre d’art, un bâtiment en architecture, et bien sûr un meuble ou un objet dans le design : ce sont les icônes. Dans le secteur de l’ameublement, les icônes sont presque toujours le fruit d’une association alchimique entre un designer qui apporte une vision nouvelle, et un fabricant ou éditeur, qui mobilise le meilleur de son savoir-faire, voire le fait évoluer vers un procédé de rupture, pour aboutir à un concept produit inédit. Pour compliquer encore un peu la problématique, la création qui voit ainsi le jour – que seul le public a le pouvoir de transformer en icône en lui offrant l’allégeance d’un succès de diffusion – doit aussi répondre à l’usage légitimement attendu, et présenter une esthétique qui renforce sa désirabilité. Comment se fabrique une icône ? Comment nourrit-elle la stratégie de l’éditeur ou du fabricant ? En quoi peut-elle influencer le destin d’une entreprise, voire devenir l’image même d’une marque ? Voici quelques questions posées par l’exposition La Fabrique des Icônes, en libre accès les jours ouvrables à la galerie parisienne du Via, jusqu’au 13 décembre. Quant aux réponses, elles prennent la forme d’une vingtaine de pièces de mobilier ou luminaires que chacun, professionnel du meuble ou amateur passionné de design, aura plaisir à reconnaître et à décrypter, exposées dans une scénographie inspirée d’une ligne de fabrication industrielle, signée du studio Passage.
Les « success stories » du design
L’exposition met en évidence le rôle essentiel de l’icône dans l’essor d’une entreprise, en prenant pour exemple emblématique entre tous le Togo, dessiné par Michel Ducaroy et lancé par Ligne Roset en 1973. Grâce à sa conception révolutionnaire « tout en mousse », qui permet à la génération post-soixante-huitarde de s’asseoir de façon décontractée et confortable au ras du sol, née d’une illumination à la vue d’un tube de dentifrice plié à 90°, ce canapé a définitivement validé le tournant pris par l’entreprise vers le mobilier de création contemporaine. Tout en ayant ouvert la voie à tous les succès rencontrés depuis, cette « icône des icônes » reste un demi-siècle après sa création le best-seller de la marque. « Comme le blockbuster pour le producteur de cinéma, le best-seller pour l’éditeur de livres, la veste quatre poches Chanel pour la haute couture ou le « tube » dans la chanson, une seule création assure souvent à l’éditeur de meubles l’essentiel des revenus », explique-t-on au FRENCH DESIGN. « C’est le Graal de tout éditeur » renchérit son directeur général Jean-Paul Bath. Les visiteurs pourront ainsi mesurer l’impact de ces produits phares qui ont fait exploser la notoriété de leur éditeur en quelques mois ou années : C’est le cas du canapé Mendi, imaginé par Jean-Louis Iratzoki pour le fabricant basque Sokoa en 2014, dont la conception modulaire avant-gardiste à l’époque a permis de construire son espace d’accueil ou de travail personnalisé, propulsant la marque au rang de leader du mobilier de bureau français. Citons encore, dans ce registre, le luminaire Vertigo – design Constance Guisset pour Petite Friture en 2010 – aux lignes inclassables qui relèvent à la fois du sombrero sur un mode masculin, de la crinoline sur un mode féminin, ou encore du brasseur d’air sur un mode neutre – un riche imaginaire qui a propulsé cette jeune maison d’édition d’alors au premier plan du design international.
Le risque recompense
Comme le souligne le FRENCH DESIGN, une icône est un produit qui se détache de la production quotidienne, dont la conception et le lancement comportent très souvent une part de risque, lié à l’emploi d’un procédé inédit, et à une esthétique neuve qui peuvent – ou non – trouver leur public. C’est le cas par exemple de la chaise A, créée par le designer Xavier Pauchard pour Tolix en 1935, vendue à plus d’un million d’exemplaires – est-ce la 2CV Citroën du meuble ? – qui a mis au point sa propre technique de galvanisation au zinc pour la protéger de la corrosion, ce qui en a fait la chouchoute des terrasses de café. Son génie tient peut-être plus encore à son industrialisation par pliage et emboutissage, qui apprivoise le métal, en lui donnant ce mélange de rondeurs et de rigueur qui achève de convaincre les plus réticents. La prise de risque est aussi ce qui a guidé l’éditeur Moustache, au moment de lancer en 2009 la chaise Bold – « audacieuse » en français – conçue par le studio de design Big-Game. Reconnaissable entre toutes, cette assise qui est une épure réduite à sa plus simple expression – un « esprit de chaise » - une silhouette en métal recouverte de mousse en polyuréthanne enrobée dans une housse textile, a depuis trouvé sa place dans les plus grands musées d’art contemporain.
Icone et strategie de marque
Quoi de mieux qu’une icône pour attirer l’attention sur sa marque, la relancer, lui donner une nouvelle trajectoire ? L’exposition montre plusieurs exemples qui vont dans ce sens, parmi lesquels le canapé Rosebury, dessiné en 2016 par Emmanuel Gallina pour AM.PM qui a donné le « la » à la marque haut-de-gamme de La Redoute, en l’ancrant dans un registre entre néo-classique et contemporain, inspiré des ensembliers décorateurs de l’entre-deux-guerres. De même, la chaise Kuskoa, dessinée par Jean-Louis Iratzoki pour Alki, qui réinvente les formes et les assemblages de l’ébénisterie en chêne massif, est devenue l’ambassadrice de la marque en France et à l’international. L’icône est-elle le point de départ de l’aventure industrielle ? Ce n’est pas Fermob qui nous dira le contraire ! En 1985, l’entreprise - qui vient alors d’être reprise par Bernard Reybier - ne compte à son catalogue qu’une chaise bistrot pliante en métal et lattes de bois, et une collection à volutes de style 1900. Cette année-là, Pascal Mourgue dessine pour la marque le fauteuil Lune d’argent, rapidement vendu à des dizaines de milliers d’exemplaires. Il sera le premier d’une longue liste de créations à succès, amorçant ainsi le virage à 180 ° du fabricant vers la création contemporaine.