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9.12.2021

Quelles tendances pour le marché de la seconde main ?

Vendre du mobilier d’occasion pour lui donner une seconde vie est une voie intéressante à suivre pour réduire son impact – de fabricant et de consommateur – sur l’environnement. Pour mieux cerner cette tendance, le French Design by Via a donné la parole, dans le cadre d’un de ses webinaires, à quatre acteurs de ce marché, qui gagnent des parts de marché grâce à la vente en ligne, et se « professionnalisent » en développant des services pour le grand public et les prescripteurs.  

Intitulé « Design et seconde main, une nouvelle opportunité », le webinaire proposé par le French Design by Via, le 2 novembre dernier, s’inscrit dans un contexte où le thème de la seconde main revient de façon récurrente dans l’univers du mobilier et de la décoration. On se souvient par exemple que, dans le cadre de la Digital Fair qu’il a organisé à l’automne 2020, Maison&Objet avait donné la parole au bureau de tendances Carlin International, qui s’était exprimé lors d’un « talk » sur la montée du néo-vintage et du mobilier d’occasion. Que fallait-il en retenir ? L’intervenante avait souligné la multiplication des sites internet dédiés à la vente de meubles de seconde main, et l’évolution des motivations qui poussent à se tourner vers ce mode de consommation alternatif : si le prix plus bas de l’occasion reste la motivation majeure pour 79 % des Français, elle est suivie par la volonté de faire un achat plus responsable pour la planète pour 50 % d’entre eux, et par le fait qu’acheter un objet usagé est un acte porteur de sens pour 27 % d’entre eux. Citant une étude de l’ObsoCo, Carlin International avançait que 60 % des Français déclarent qu’ils ont acheté un produit d’occasion durant les 12 derniers mois, et une estimation selon laquelle le marché mondial du meuble d’occasion qui pourrait atteindre 47,5 milliards $ à l’horizon 2025 (source Global Off-the-Shelf Second Hand Furniture Market Outlook). Dernier chiffre significatif, un sondage a révélé que, pour 80 % des personnes interrogées, il n’y a plus de freins à acheter un produit d’occasion – autrefois dépréciatif – puisque c’est devenu un engagement pour l’environnement, et un acte qui crée du sens.

Togo upcycling : donner une seconde vie au produit iconique de Ligne Roset

Dans le même ordre d’idées, l’étude La Maison Réinventée, réalisée par le cabinet Sociovision à la demande de l’Ameublement français et restituée à la dernière rentrée de septembre, place le mobilier d’occasion au premier rang des pistes envisagées par les Français pour rendre leur habitat plus durable : « Pour moi, un meuble écologique c’est d’abord un meuble d’occasion, et le fait de garder les meubles pour en faire des nouveaux sans en acheter des neufs », déclarait une personne appartenant à l’un des groupes ciblés par l’étude. Sociovision révèle aussi que le meuble écologique par excellence, c’est d’abord celui qui dure longtemps, et que 39 % des Français sont en désaccord avec l’idée « d’acheter des meubles neufs plutôt que d’occasion ».

La seconde main, un sujet dans le vent

Comme cela a été rappelé en préambule dans le webinaire du French Design by Via, certains acteurs du meuble – et non des moindres – ont déjà pris des initiatives en faveur de la seconde main. C’est le cas d’Ikea, qui a récemment lancé une opération de reprise de son mobilier usagé, et annoncé l’ouverture d’un magasin qui sera dédié à la vente de produits de seconde main. Pour alimenter ses rayons, les clients sont incités par la marque enseigne suédoise à rapporter les produits dont ils ne veulent plus, en échange de bons d’achats pour des produits neufs. On peut aussi verser au dossier l’initiative de Ligne Roset, qui depuis la rentrée dernière, encourage ses clients à ramener leurs anciens canapés Togo en magasin, pour qu’ils soient acheminés vers l’usine, où leur état est évalué par les équipes du fabricant. A l’issue de ce test, ils pourront soit être réparés et recevoir un nouveau revêtement, ce qui permet leur remise en vente à prix doux sur le site dédié à la seconde main de la marque, soit envoyés en filière de recyclage si leur état ne le permet pas.

Pour appréhender un peu mieux l’évolution du phénomène, le French Design by Via a donné la parole à des acteurs du meuble au profil différent, qui ont en commun d’intervenir sur le marché de la seconde main, donnant ainsi une idée des orientations prises actuellement par ce marché. Il s’agit d’Arthur Barret, Responsable du volet B to B du site internet de ventes de produits vintage Selency, de May Berthelot, Responsable Réputation et Lutte anti-contrefaçon sur Le Bon Coin, d’Iris de Corlieu, Responsable du site Trëmma du Mouvement Emmaüs, et de Tristan Lohner, directeur adjoint du distributeur de design haut de gamme RBC.

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La quête d’un achat qui a du sens

Les différents intervenants mettent tous en avant le fait qu’acheter un produit de seconde main répond à des préoccupations nouvelles des consommateurs. « La seconde main est dans l’ADN d’Emmaüs depuis sa création par l’abbé Pierre il y a 70 ans, mais nos clients ont longtemps été des gens qui n’avaient pas les moyens d’acheter du neuf, explique Iris de Corlieu. C’est encore le cas aujourd’hui, mais nous avons aussi les chineurs qui cherchent du vintage, des pièces rares pour un prix raisonnable, et aussi de plus en plus de jeunes, préoccupés par l’impact de leur achat sur l’environnement. » C’est pour se rapprocher de ces publics que l’association a lancé un site de vente en ligne trëmma.co fin 2016. Parmi les motivations à acheter chez Emmaüs, il y a aussi la solidarité, puisque les recettes dégagées permettent à la fois de subvenir aux besoins de personnes en difficulté, de les former, et de permettre leur retour à l’emploi. « La seconde vie des objets, c’est la seconde chance pour les femmes et hommes de chez Emmaüs » résume l’intervenante. Les responsables du site Selency – qui propose 100 000 produits d’occasion pour la maison en ligne – répondent aussi à des attentes nouvelles, en particulier depuis le lancement d’un site dédié aux responsables de projets professionnels : « Les acheteurs viennent chez nous pour deux choses, déclare Arthur Barret, responsable de ce service. Ils veulent d’abord échapper à la standardisation et au côté aseptisé des aménagements, notamment hôteliers, en proposant au contraire des produits authentiques, qui ont un passé, un vécu, avec dans un coin de la tête la réalisation d’un intérieur frappant et « instagramable », qui sera diffusé sur les réseaux sociaux et fera la promotion du lieu. Et deuxièmement, ils veulent agir pour l’environnement, puisque les pièces de seconde main permettent de réduire le bilan carbone d’un projet ». Le succès d’un site comme Le Bon Coin s’explique en bonne partie par des motivations similaires. Leader de la vente de mobilier d’occasion en France, ce site héberge un total de 49 millions d’annonces et revendique 30 millions d’utilisateurs, soit près d’un Français sur deux. « L’univers de la maison est la première catégorie par laquelle les gens accèdent au Bon Coin, avant de passer dans un deuxième temps à la voiture ou à l’appartement… La maison au sens large représente 20 % de notre catalogue, et l’ameublement 8 % de notre catalogue, soit 3,6 millions d’annonces. » Au départ, on venait sur le Bon Coin pour améliorer son pouvoir d’achat, mais la crise a changé les choses, maintenant c’est au moins autant pour le côté vertueux pour l’environnement, et pour refaire son intérieur après le premier confinement, dans un esprit brocante, avec des produits qu’on ne trouve pas partout.

Professionnalisation et B to B

De façon plus inattendue, le distributeur de mobilier contemporain design et premium RBC vend lui aussi du mobilier de seconde main, sur un site internet dédié, RBC Outlet, qui s’adresse aussi bien aux particuliers qu’aux prescripteurs. Pourquoi cette décision ? « RBC existe depuis 35 ans, et nous avons 6 showrooms et des milliers de mètres carrés, où nous distribuons des centaines de marques, explique Tristan Lohner, directeur adjoint de l’entreprise. Il en résulte des milliers de produits d’exposition, qui s’accumulent dans nos entrepôts. Nous avons senti que le moment était propice pour le proposer en seconde main. » Longtemps, ce surplus a été en partie vendu par le biais de braderies ponctuelles, mais étant donné que le nombre de marques est de plus en plus élevé, et que les expositions se succèdent à un rythme toujours plus rapide, l’idée a germé de professionnaliser la distribution de ces produits. Pour ce faire, RBC a créé une direction artistique, avec pour mission de présenter sous un nouveau jour ces meubles qui sont là chez RBC depuis deux, trois, parfois 10 ans, et qui restent intéressant pour les intérieurs d’aujourd’hui. « Nous sélectionnons ces produits, nous les photographions dans un studio dédié pour les mettre en vente, ajoute le dirigeant. Il s’agit d’un nouveau métier pour nous, très intéressant car il réunit notre image de distributeur très haut de gamme, et notre engagement éco-responsable, notre souci de prolonger la vie des produits, et de les distribuer en circuits courts. » RBC rejoint ainsi les préoccupations montantes des marques de design, qui encouragent aujourd’hui une forme de dé-consommation, en donnant plusieurs vies au produit, et en offrant de la réparabilité.

De son côté, Selency s’est également professionnalisé. Après s’être longtemps adressé aux particuliers, le site a créé un service pro, qui s’adresse notamment aux architectes, qui viennent y chiner des pièces pour leurs clients, aux porteurs de projets en hôtellerie, restauration, et agencement de boutiques, et même depuis peu aux aménageurs d’espaces tertiaires. « Pour répondre aux attentes de cette nouvelle clientèle, qui est en forte croissance dans notre chiffre d’affaires, nous avons créé un ensemble complet de services, qui va de la sélection des pièces, au sourcing des pièces sur mesures, que nous allons chercher chez nos 5 000 clients, précise Arthur Barret. Nous assurons aussi la négociation des prix, et tout ce qui est logistique, les commandes sont regroupées, et nous livrons en respectant au mieux les contraintes de nos clients. En résumé, nous attribuons à chaque client pro un référent interne qui suit leur projet du début à la fin. » Cet accompagnement est d’autant plus justifié qu’acheter du mobilier chiné est un peu plus compliqué que d’acheter des pièces neuves. Mais le succès est au rendez-vous : Selency a récemment équipé les bureaux de Back Market, une société de seconde main dans l’informatique, et travaille notamment avec le groupe Accor, pour l’aménagement de la chaîne d’hôtels Greet, positionnée sur le thème du recyclage et de la seconde main.

Garantir qualité et authenticité

Enfin, dernier point évoqué dans le webinaire, les distributeurs de mobilier de seconde main sont aussi confrontés à la question de la qualité des produits qu’ils vendent, à l’issue de leur première vie. Chez Selency, une équipe dédiée est chargée du sourcing, avec pour mission de vérifier que les annonces sont correctes, notamment que la photo correspond bien à ce qui est décrit dans l’offre. Par ailleurs, tout défaut relatif au meuble de seconde main mis en vente doit être stipulé dans l’annonce, et le distributeur s’engage à reprendre la pièce dans les 14 jours en cas de non-conformité ou de vice caché. Le Bon Coin va encore plus loin, en mettant en place un outil anti-contrefaçon. En devenant marchand en 2019, et pour pouvoir prendre ce « virage transactionnel » en toute sécurité, le site a aussi racheté la plateforme Videdressign, avec ses salariés et son savoir-faire dans ce domaine. « Depuis 2020, nous avons mis en œuvre des filtres et des algorithmes qui permettent, grâce à l’intelligence artificielle, d’analyser les photos de produits et de déceler les pièces contrefaites, encore trop nombreuses dans le meuble, et de supprimer les annonces litigieuses dans un délai d’une heure environ », se félicite May Bertelot. Pour être encore plus efficace, la dirigeante invite les fabricants à fournir au Bon Coin un maximum d’informations sur leurs produits, pour pouvoir renseigner au mieux les robots de reconnaissance visuelle. Depuis début 2021, son équipe a ainsi supprimé un volume supérieur à 66 millions d’euros d’annonces contrefaisantes, mais il y a encore beaucoup à faire. En s’appuyant sur les possibilités du numérique, les obstacles qui pouvaient s’opposer à l’essor de la seconde main semblent peu à peu se lever.

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