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15.11.2022

Quels nouveaux arbitrages entre le magasin et l’e-commerce ?

Tendances de l’e-commerce, essor du smartphone comme moyen de paiement, bonne résistance du magasin, montée du marché de la seconde main… sans oublier les différences de comportements entre générations, et populations urbaines et rurales : l’Acces Panel, la grande étude réalisée tous les deux ans par l’Échangeur BNP Paribas Personal Finance, arrive à point nommé pour fournir une moisson de chiffres sur les évolutions du commerce de détail, au moment où la crise sanitaire s’éloigne, pour laisser place à de nouvelles difficultés économiques.

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En cette fin 2022, la pandémie de Covid-19 semble s’éloigner, et le marché revenir au calme et renouer avec ses fondamentaux, même si des difficultés nouvelles apparaissent que tous les observateurs ont relevé – hausse des prix des matériaux et du transport, désorganisation de la chaîne logistique, réduction du pouvoir d’achat – qui n’existaient pas avant la crise. Peut-on dire pour autant que les deux années hors norme que nous venons de traverser ne laisseront pas de traces sur les attentes des consommateurs finaux, et sur leur façon de consommer ? Deux ans après la précédente livraison, en 2020, l’Access Panel, la grande étude biennale réalisée par l’Échangeur BNP Paribas Personal Finance*, apporte des éléments de réponse. Comme il le fait tous les deux ans depuis vingt ans, cet organisme d’enquête a interrogé 5 000 personnes représentatives de la population française en leur posant une centaine de questions sur leurs habitudes de vie, leurs modes de consommation, comment ils achètent, auprès de qui et pourquoi… Afin de dégager les tendances souterraines, et les évolutions qui doivent être anticipées par les acteurs du marché sous peine d’être mis hors du coup !

Pour la première fois, l’Échangeur BNP Paribas Personal Finance dévoile l’ensemble des résultats de son étude, obtenus par le croisement de millions de données, en mettant en avant un enseignement principal : malgré l’essor permanent et les innovations constantes des acteurs de l’e-commerce, le magasin physique fait mieux que résister. Si les réseaux sociaux sont omniprésents, si les services digitaux envahissent les écrans publicitaires, l’arbre ne doit pas cacher la forêt : le paiement sur mobile, et les achats sur les réseaux sociaux sont des pratiques qui percent dans les grands centres urbains et chez les jeunes générations, mais ils sont (encore) loin de représenter des modes de consommation majoritaires. Autrement dit le magasin, s’il sait utiliser à bon escient les services en ligne, a encore de beaux jours devant lui !

Les nouveaux enjeux de la livraison

Les années de pandémie, et les confinements, ont généré un essor des achats en ligne, et fait de la livraison un moment clé du parcours client. Qu’en est-il, deux ans-et-demi plus tard ? L’étude relève tout d’abord que la promesse des start-up du secteur, qui avaient pour slogan « une livraison en dix minutes », a du plomb dans l’aile. En effet, les mois ayant passé, non seulement ce slogan n’est plus repris, mais le statut des « dark stores » – entrepôts ou véritables commerces ? – qui rendraient ce service possible est sur la sellette : les élus réfléchissent sérieusement à encadrer leur développement en centre-ville, ce qui compromettrait leur développement. En ce qui concerne la livraison des courses alimentaires à domicile, l’Échangeur nous révèle que 13 % des Français ont recours à ce service, une hausse notoire par rapport à l’avant-crise (+ 3 % par rapport à janvier 2020), mais note « qu’on est loin du raz-de-marée ». Surtout, ce sont les habitants des grandes agglomérations – 28 % des Parisiens, et 19 % des habitants des villes de plus de 100 000 habitants – qui y ont recours, versus 10 % seulement des habitants des villes de moins 10 000 habitants, un chiffre qui descend à 8 % pour les habitants en zones rurales, faute des infrastructures nécessaires.

Le drive en revanche – service qui permet de retirer en voiture un produit sur un point de collecte situé à proximité – semble être le grand gagnant de ces deux dernières années. En effet, 27 % des Français ont eu recours à ce service pendant les 12 derniers mois, une hausse de 7 % par rapport à 2020. Contrairement aux services de livraison à domicile, les premiers adeptes sont les ruraux, qui sont 31 % à y faire appel (+ 8 % par rapport à 2020), suivis de 25 % des habitants des villes de plus de 100 000 habitants, et de 14 % seulement des Parisiens ou habitants de l’agglomération parisienne. Le drive a également élargi son audience après des seniors, qui sont aujourd’hui 19 % à utiliser ce service (+ 10 % par rapport à janvier 2020), mais restent loin derrière les champions du drive, les 30-44 ans, qui sont 38 % à y avoir recours. Les seniors déclarent cependant que, maintenant que les impératifs de la pandémie sont derrière nous, ils préfèrent revenir vers les relations de proximité et le lien social, d’autant qu’ils ne sont pas motivés par le gain de temps comme c’est le cas des plus jeunes. Enfin, l’étude fait un focus sur le click & collect non alimentaire, qui a lui aussi fait un bond en avant, puisque 21 % des Français y ont eu recours pendant les 12 derniers mois (+ 9 % par rapport à janvier 2020). Synonyme de gain de temps, ce service attire les mêmes profils de consommateurs que ceux du drive, à savoir en premier lieu les 30-44 ans (29 % le pratiquent, + 13 % par rapport à janvier 2020), mais seulement 14 % des seniors (+ 6 % par rapport à 2020). « Livraison à domicile, drive et click & collect non alimentaire répondent au même besoin de réduire « l’achat corvée » pour privilégier « l’achat plaisir », comme nous l’avions souligné lors de l’édition 2021 de la conférence Innovate Service Centric, commente l’équipe de l’Échangeur. Reste que le développement du click & collect dans le secteur non alimentaire représente une opportunité pour les marques et enseignes de créer du trafic dans leur magasin ».

Les achats via smartphone en forte hausse

C’est un constat qui a été largement partagé : la crise sanitaire et les confinements ont accéléré la digitalisation du commerce.  À ce sujet, l’étude relève que l’achat sur internet est devenu un acte banalisé : non seulement la quasi-totalité des Français (94 %, + 2 % par rapport à janvier 2020) a acheté au moins une fois sur Internet au cours des 12 derniers mois, mais l’année passée se solde par une augmentation notable de la fréquence d’achat. En effet, 72 % des acheteurs online achètent au moins une fois par mois (+ 6 points par rapport à janvier 2020), sans qu’il y ait une augmentation du nombre de sites où sont réalisés les achats, qui reste limité : seuls 19 % des Français déclarent avoir acheté sur plus de 5 sites internet différents, au cours des 12 derniers mois.

La digitalisation croissante des modes de consommation se traduit surtout par une « explosion » des usages liés aux smartphones et tablettes. Ainsi, l’étude révèle que le m-commerce – achat depuis un terminal mobile – est en progression de 10 % par rapport à janvier 2020, et que 42 % des Français achètent désormais sur Internet via leur smartphone ou leur tablette. Autre exemple, le QR-code, mis à l’honneur durant la pandémie, est désormais utilisé par 36 % des Français, pour obtenir des informations sur un produit, en magasin. Il faut pourtant raison garder : « Certes, cet usage s’est fortement répandu (+ 12 points vs 2020) mais nous restons loin d’une société régie par les QR-codes telle que présentées dans les médias pendant la pandémie. Ce sont d’ailleurs avant tout les familles et quinquas aisés qui l’ont adopté, c’est-à-dire les cibles les plus digitalisées », commente l’Échangeur. Mais cette extension des usages du smartphone ne concerne pas toutes les catégories de la population : A titre d’exemple, seuls 26 % des plus de 60 ans achètent sur Internet via leur smartphone ou tablette, contre 57 % des 30-44 ans, ce qui dessine une « digitalisation à deux vitesses ».

Internet et le magasin en bonne intelligence

Autre information intéressante pour l’ensemble du commerce, l’étude nous apprend que le paiement en magasin avec son smartphone est certes en progression de + 4 %, mais qu’il reste pour l’instant très minoritaire puisque seulement 11 % des Français l’ont adopté. Ici encore, il y a des disparités selon les populations, puisque 16 % des Parisiens utilisent ce mode de paiement (+ 4 % par rapport à 2020), 14 % des habitants des grandes villes de plus de 100 000 habitants, mais seulement 9 % des habitants des régions rurales, où les enseignes proposent vraisemblablement moins ce service. Sans surprise, ce sont les jeunes qui utilisent le plus leur smartphone pour payer, 20 % des 18-29 ans (+ 6 points par rapport à janvier 2020), tandis que seuls 6 % des 60 ans et plus ont franchi le pas (+ 2 % par rapport à 2020). Les familles aisées, avec des enfants de moins de 15 ans, comptent aussi parmi les plus grandes utilisatrices de ce service (19 %).

Cette progression des achats en ligne, lente mais continue, remet au centre du jeu la question de savoir comment le magasin doit s’adapter à la digitalisation, et quel sera son rôle demain. En effet, la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer un mouvement déjà ancien de baisse de fréquentation des magasins physiques, qui ont du mal à retrouver leur niveau d’avant crise. Cependant, l’un des enseignements de l’enquête est que les Français ne remettent pas en cause l’intérêt, ni la légitimité du magasin, mais ils lui attribuent une fonction nouvelle : en effet, presque la moitié des Français (44 %) pratiquent le ROPO (Research Online Purchase Offline), autrement dit la recherche des informations sur Internet avant d’acheter en magasin (+ 2 points vs 2020). Une pratique qui est plus répandue que l’inverse, à savoir le showrooming : 30 % des Français recherchent des informations en magasin, avant d’acheter sur Internet (+ 2 points vs 2020). Sans surprise, l’étude confirme que les seniors manifestent un fort attachement aux magasins, et que les usages Internet / magasins sont plus dominants pour les plus jeunes et les familles, toujours à la recherche de gain de temps. Une omincanalité devenue incontournable pour des magasins qui doivent continuent leur mutation, pour s’adapter à un commerce toujours plus hybride et agile.

Des services naissants

Les réseaux sociaux jouent un rôle croissant dans le commerce mondial, et doivent être intégrés dans la stratégie marketing des marques. Mais ils se livrent une bataille féroce et ne connaissent pas tous la même dynamique : si Facebook reste le numéro un en France – 68 % des Français déclarent l’utiliser – il est en perte de vitesse notamment chez les jeunes (56 % l’utilisent, une baisse de 11 % par rapport à janvier 2020). Instagram en revanche est en plein développement, avec 37 % de Français utilisateurs (+ 10 points par rapport à janvier 2020), et il est devenu le réseau social leader pour les 18-29 ans, avec 70 % d’utilisateurs, suivi par Snapchat, tandis que les nouveaux entrants comme TikTok (40 % de pénétration chez les 18-29 ans), qui laisse une grande place à la vidéo, et Twitch (18 % de pénétration chez les jeunes) sont en plein essor. Les marques ne peuvent donc plus ignorer ces relais de croissance, mais doivent aussi faire les bons choix parmi ces plateformes pour atteindre leurs cibles. Cependant, et même si on en parle de plus en plus, l’achat via les réseaux sociaux reste peu répandu, puisque seuls 10 % des Français ont acheté via ce canal, au cours des 12 derniers mois. Là encore, ce sont les plus jeunes qui sont à la pointe : 20 % des 18-29 ans ont franchi le cap, soit trois fois plus que les plus de 60 ans (6 %). On peut aussi supposer que les achats effectués sur les réseaux sociaux sont plutôt des achats d’impulsion, après avoir vu un « post » par exemple, ce qui correspondrait moins, en tout cas pour le moment, à un bien de consommation comme un meuble qui demande davantage de réflexion.

L’Échangeur a également sondé les consommateurs français sur le thème du paiement différé, et notamment les services de « buy now pay later » – achetez maintenant payez plus tard – qui sont également dans l’air du temps avec l’arrivée de nombreux nouveaux acteurs, et qui ont une résonnance particulière dans le contexte actuel de contraction du pouvoir d’achat. L’étude donne à ce phénomène sa juste dimension : « Clairement, on est loin du simple buzz. Globalement, la pratique est déjà bien ancrée dans les habitudes de consommation des Français : 33 % d’entre eux déclarent avoir utilisé des facilités de paiement en ligne au cours des 12 derniers mois. Dans le détail, 27 % ont payé leurs achats online en plusieurs fois (3 ou 4 fois par exemple) et 19 % ont eu recours au report de paiement, qu’il s’agisse d’un paiement après réception et essai des produits ou d’un paiement reporté de plusieurs semaines ou mois », expliquent ses auteurs. Les jeunes sont les plus intéressés par ce type d’offres, 51 % des 18-29 ans ont utilisé des facilités de paiement online au cours des 12 derniers mois, de même que les familles avec des enfants de moins de 15 ans, qui sont 47 % à y avoir recours, de façon égale parmi les familles les plus contraintes et les plus aisées. On relève aussi une corrélation entre les acheteurs online les plus réguliers et les facilités de paiement online : 42 % des clients achetant au moins une fois par mois sur Internet font appel à ce service ; ils ne sont que 19 % parmi les clients plus occasionnels (moins d’un achat par mois).

Des projets reportés ?

Enfin, l’Échangeur a interrogé son panel de 5 000 personnes sur l’impact que pourrait avoir sur leurs projets le ralentissement économique et le contexte inflationniste qui s’installent. Il en résulte que 46 % d’entre eux ont prévu de réaliser des projets d’achats de biens d’équipement (voiture, mobilier, matériel électronique ou high tech) au cours des deux prochaines années, un chiffre inchangé par rapport à la période pré-Covid. En parallèle, 30 % des Français ont planifié des projets de rénovation de leur logement, soit une progression de + 3 % par rapport à janvier 2020, ce qui témoigne d’un engouement pour l’aménagement de l’habitat, initié pendant les confinements et qui ne semble pas ralentir. Derrière la voiture (16 % des intentions d’achat), on trouve le matériel électronique (18 %) et le mobilier (13 %). En ce qui concerne les travaux liés l’habitat, c’est la rénovation de la cuisine ou de la salle de bain qui arrive en tête (pour 14% des Français), suivie des travaux visant à faire des économies d’énergie (isolation, chauffage, panneaux solaires, etc.), envisagés par 10 % des Français (+ 2 % par rapport à 2020). L’étude conclut avec des perspectives en demi-teinte : les Français estiment en moyenne à 61% le poids des dépenses contraintes dans leur budget, qu’il s’agisse de dépenses obligatoires (loyers, crédits, impôts, charges, assurances, pensions alimentaires) ou de dépenses pré-engagées (abonnements téléphoniques, Internet, chaînes payantes, frais de transports etc.), l’épargne représentant 10 % de leur budget et le reste à vivre 29 %. Étant donné que plus les Français disposent de revenus faibles, plus les charges contraintes pèsent sur leur budget, la crise qui s’annonce pourrait se traduire pour les budgets les plus contraints par un coup d’arrêt à bon nombre de leurs projets.

www.echangeur.fr

[F. S.]

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[Zooms]

Les Français sont-ils prêts à louer plutôt qu’acheter ?

On parle aussi beaucoup, en réponse à la question du réchauffement climatique, de la montée d’une société de l’usage, qui privilégie la location, la location avec option d’achat (LOA) et le partage d’objets plutôt que leur acquisition. Rappelons tout d’abord qu’il s’agit déjà d’une réalité pour l’automobile : 12 % des Français détiennent un contrat de Location avec option d’Achat (LOA) ou de Location Longue Durée (LLD) pour au moins l’un des véhicules du foyer. Pour aller plus loin, l’Échangeur nous apprend qu’un tiers des détenteurs de voiture seraient prêts à louer leur véhicule quelques jours par mois, pas tellement pour protéger la planète, mais surtout pour faire des économies. Avec ici encore beaucoup de disparités, puisque 59 % des jeunes de moins de 30 ans pourraient l’envisager contre seulement 15 % des seniors de plus de 60 ans, et 41 % des Parisiens possédant une voiture, contre seulement 24 % des ruraux qui ont besoin de leur voiture en permanence. Qu’en est-il pour les autres biens de consommation (hors voiture) ? 24 % des Français seraient prêts à louer plutôt qu’acheter, un chiffre en progression de + 5 % par rapport à janvier 2020, ce qui témoigne d’une tendance de fond (15 % des Français pourraient louer du matériel high tech, et 8 % des vêtements). Avec ici encore une différence générationnelle, les 18-29 ans se déclarant prêts à louer des biens à 47 % (+ 13 % par rapport à janvier 2020), contre seulement 12 % des seniors.

Seconde main : une pratique entrée dans les mœurs

Le recours à la seconde main et plus globalement l’achat d’occasion font désormais partie des habitudes des Français : 60 % d’entre eux ont, au cours des 12 derniers mois, vendu ou acheté des produits d’occasion, voire opté pour des produits reconditionnés. Ce marché est largement porté par les plateformes C2C – Vinted, Leboncoin, Facebook Marketplace… – grâce auxquelles 36 % des Français ont vendu et 40 % ont acheté un bien au cours de l’année passée. Faute d’offres suffisamment développées ou visibles, les Français sont deux fois moins à déclarer acheter d’occasion dans une enseigne, en magasin ou via leur site internet. Si la seconde main représente une tendance de fond, l’Échangeur souligne ici encore de fortes différences générationnelles : 71 % des moins de 45 ans ont recours à ce marché, contre 47 % des plus de 60 ans. L’achat d’occasion est particulièrement prisé par les familles avec enfants de moins de 15 ans : la moitié d’entre elles l’ont intégré dans leurs pratiques (54 % des familles au budget contraint, mais aussi 48 % des familles aisées, qui veulent consommer plus responsable, et accèdent ainsi plus facilement à des produits de luxe). De ces chiffres, il ressort que les consommateurs sont prêts à consommer d’occasion, un réel potentiel de développement pour les marques et enseignes, qui doivent développer des modèles rentables pour concurrencer les plateformes de C2C, et les challenger en apportant des garanties plus importantes que celles d’une relation directe entre consommateurs.

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