[Chiffres marché du meuble] 2020, exercice particulier… mais porteur d’espoir ?
Avec un recul évalué à « seulement » – 4,8 % selon les données de l’IPEA, le secteur du meuble peut certainement se féliciter d’avoir partiellement contenu les effets de la crise sanitaire en 2020. Si les conséquences ont été inégales suivant les familles de produits et les circuits – avec des faits marquants, comme la literie enregistrant la baisse la plus forte, ou encore la montée en puissance des GSB et acteurs de l’e-commerce – cet exercice pourrait porter en lui les germes d’un mouvement de fond, ceux-là mêmes qui ont permis de limiter la casse : l’intérêt franc et massif des Français pour leur intérieur, et la volonté d’une montée en gamme.
Dès la fin du premier semestre, bon nombre d’acteurs du secteur – fabricants et distributeurs – avaient parlé d’une reprise « inespérée » au sortir du premier confinement, tout au moins largement supérieure aux attentes. Le mouvement s’est prolongé dans la durée, jusqu’à la deuxième période de restrictions, avec toutefois un mois de décembre lui aussi très fort : ainsi, le bilan 2020, pour le marché du meuble en France, se solde sur un recul global de – 4 ,8 %, pour une valeur totale de 12,73 Mds€ TTC, soit un déficit de « seulement » 650 M€. C’est ce qu’ont détaillé l’IPEA, l’Ameublement français et la FNAEM ce mardi 9 mars au cours d’une conférence en ligne, suivant le nouveau périmètre adopté par le premier, depuis l’exercice 2019. Dans le détail, avec, à fin avril, un repli cumulé supérieur à – 30 %, le rattrapage a démarré timidement en mai (un mois à + 1,9 %, alors que les magasins n’ont rouvert qu’au milieu du mois) pour se renforcer en juin (+ 37,7 %) et se maintenir globalement tout l’été et à la rentrée (avec des variations comprises entre + 8,2 % et + 15,7 %). Novembre, comme on peut l’imaginer, avec le lot de nouvelles fermetures qu’il a entraînées, a été très mauvais (- 41,1 %), suivi d’un mois de décembre qui fut, de loin, le meilleur de l’année, avec une hausse de + 40,5 %. La variation globale de – 4,8 % est donc qualifiée de « plus qu’honorable » par les organisations du secteur, qui ont salué les belles reprises intermédiaires. L’analyse des évolutions de chaque famille de produits et des différents circuits de distribution, replacée au sein du contexte général et mise en relation avec les intentions d’achats exprimées par les consommateurs, permet de dégager plusieurs explications, et de faire naître quelques espérances pour les prochains mois… voire davantage ?
Un engouement certain…
La première des explications, celle de l’engouement « massif » – qualifié ainsi par l’IPEA – des consommateurs pour l’équipement de leur habitat, qu’ils ont été forcés de ne pas quitter plusieurs semaines durant, est évidente. « Le confinement a remis la maison au centre des préoccupations des Français, note l’Institut. Il aura été ainsi un véritable révélateur quant à la réalité de leur logement, et aura impulsé de nombreux projets de réaménagement, d’achat de meubles et de décoration pour améliorer leur intérieur, le rendre plus confortable ou le remettre tout simplement au goût du jour ». La belle reprise du marché du meuble ayant suivi le premier confinement, mais aussi les résultats favorables du bricolage – qui, lui, parvient à terminer l’année en croissance ! – traduisent concrètement ce phénomène. Parfaite illustration à cela, la très belle progression du mobilier de jardin observée sur cet exercice… seule variation positive (en valeur) du marché du meuble ! Avec + 4,2 % [voir tableau d’évolution en valeur par famille de produits], ce résultat traduit la forte envie, voire la nécessité, pour les Français, d’aménager leur espace extérieur ; la solide présence, sur ce segment, des acteurs de la vente en ligne, a permis de les satisfaire dès les premières semaines du confinement printanier… ceci considérant que, sur cette famille de produits, les stocks avaient été constitués en temps et en heure, étant donné la saisonnalité.
L’amélioration de l’habitat passe aussi, pour nos compatriotes « ex-confinés », par l’optimisation de la cuisine, et c’est ce segment qui témoigne la deuxième « meilleure » variation de 2020, en ayant enregistré, tout bonnement, la chute la moins marquée (- 2,9 %) : « L’engouement pour la cuisine intégrée est toujours présent chez les Français, commente l’IPEA. La cuisine est redevenue une pièce à vivre au moment des confinements, lorsque toute la famille était à la maison, en ayant dû accueillir de nombreuses activités ». Cette pièce, comme on peut l’imaginer, a aussi profité de la fermeture des restaurants, forçant la plupart d’entre nous à se (re)mettre derrière les fourneaux… d’où la nécessité d’un équipement agréable et fonctionnel (il est intéressant de noter, sur ce point, la très belle progression de + 5 % de l’électroménager sur 2020, en France, selon les chiffres du GIFAM).
Envies, également, du côté de la salle de bains, avec, pour les meubles, un repli de « seulement » – 3,7 % (alors que cette famille est bien souvent au bas du classement des évolutions en valeur) : « Les deux confinements de 2020 ont permis aux ménages français de dégager du temps et du budget pour pouvoir s’occuper de cette pièce de la maison, d’autant plus que, pendant ces périodes, bon nombre de GSB – leader sur ce marché – sont restées ouvertes ».
Côté salon, alors que, jusqu’ici, l’écran plat constituait l’élément central de la pièce, il semblerait que le canapé – toujours suivant ce besoin de confort et de « cocooning » – s’y substitue, ce qui le porte favorablement ; cette famille de produits (regroupant canapés, fauteuils et banquettes) réalise malgré tout – 5,3 % sur l’exercice, variation mettant en évidence d’une part, comme cela est le cas depuis plusieurs années maintenant, un marché à deux vitesses avec des résultats moins bons pour la banquette, et traduisant également, d’autre part, les problèmes de stocks rencontrés par certaines enseignes pour un produit encore massivement importé, et fabriqué à partir de matières dont la pénurie commençait alors à se faire sentir.
Parmi les forts reculs du tableau, enfin, celui du meuble meublant (- 6,3 %) est en partie dû, justement, à ces problèmes de stocks – qui ont incité les consommateurs à repousser ou même annuler leur achat -, aux difficultés rencontrées par de grands distributeurs sur cette famille de produits avec les fermetures contraintes [voir ci-après], mais aussi à la priorité donnée, par les Français, aux produits précédemment cités arrivant en tête de classement (cuisine, canapé). « Depuis plusieurs années maintenant, la communication, les promotions et les remises se font plutôt sur la cuisine, la literie et le rembourré » souligne l’IPEA pour apporter une explication supplémentaire à ce phénomène. L’espoir, toutefois, est de miser sur le fait que les consommateurs aient constaté avoir manqué de rangements lors des différents confinements, ce qui pourrait améliorer les perspectives sur cette famille…
Enfin, fait marquant de cet exercice 2020, la literie – traditionnellement « locomotive » du marché avec la cuisine – est la famille qui enregistre le repli le plus marqué, avec – 7,6 %. Le secteur a, forcément, été impacté par l’arrêt ou, en tous cas, le ralentissement temporaire des sites de production, ce qui a eu pour effet de rapidement diminuer les maigres stocks (et la pénurie naissante de matières premières, développée au fil des mois suivants, n’aura sans doute pas permis d’améliorer les choses comme il l’aurait fallu) ; les problèmes de la grande distribution ont aussi largement contribué à cette évolution défavorable, tout comme les arbitrages des ménages, qui, comme tout juste évoqué, se sont concentrés, dans un premier temps, sur le confort de leurs pièces de vie, la fonctionnalité ou encore la décoration.
… et une volonté de monter en gamme
Cet engouement pour l’aménagement de la maison aura permis de contenir la dégradation de la situation du marché du meuble, également parce qu’il s’est exprimé dans le sens d’une certaine volonté de montée en gamme ce qui, comme le souligne l’IPEA, est « potentiellement porteur pour les semaines à venir ». Autrement dit, les consommateurs sont à la recherche de produits plus qualitatifs en cas de nouveau confinement éventuel : « Ils sont ainsi prêts, pour bon nombre d’entre eux, à mieux s’équiper et à y mettre le prix, ce qui devrait permettre de recréer de la valeur sur le marché » complète l’Institut. Ce phénomène de montée en gamme a pu être mis en évidence en observant les résultats honorables réalisés par certains distributeurs, sur plusieurs familles de produits, des segments milieu / haut-de-gamme, ainsi que par les spécialistes.
De belles occasions pour les spécialistes
Comme l’on pouvait s’y attendre, ce ne sont pourtant pas ces circuits de l’ameublement milieu / haut-de-gamme et des spécialistes qui sortent gagnants de cet exercice tourmenté. La plus forte croissance, logiquement, est observée chez les acteurs de l’e-commerce (+ 6,5 % pour les pure-players, avec une part de marché évaluée à 8,1 %), qui ont pu continuer à vendre et livrer durant les confinements. L’IPEA fait remarquer que, selon les derniers chiffres de la FEVAD (Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance), les ventes en ligne de mobilier et décoration des enseignes magasins ont enregistré + 53 % en moyenne sur l’année, avec des pointes à + 100 % durant les deux confinements (accélération des livraisons à domicile, du click & collect et du drive). Sur ce circuit, la croissance est au rendez-vous sur toutes les familles de produits, et en particulier du côté du jardin avec une évolution supérieure à + 25 % sur l’exercice ! Cela considérant que les acteurs, eux aussi, ont fait face à des problèmes de stocks, ce qui a sans doute un peu freiné les progressions. Actuellement, l’activité de ces pure-players suit toujours une certaine cadence, dans la mesure où nombreux sont les consommateurs à vouloir encore restreindre leurs visites en magasins physiques.
Deuxième circuit à enregistrer une progression sur cet exercice 2020, les Grandes Surfaces de Bricolage, avec + 2,8 % pour une part de marché de 14 % ; comme évoqué précédemment, les confinements auront lancé de nombreux projets de réaménagement de l’habitat, et le trafic des rayons bricolage profite au mobilier… « On notera, également, que ces enseignes sont restées ouvertes durant le deuxième confinement, avec des rayons meubles accessibles pendant tout ou partie de la période alors que la concurrence était fermée, ce qui a constitué un avantage certain pour leur performance annuelle » fait remarquer l’IPEA. Outre la salle de bains, le meublant enregistre de bons résultats avec de forts volumes écoulés sur des solutions de dressing premiers prix ; la cuisine intégrée progresse également, sur ce circuit, en volume et en valeur, là aussi sur des solutions de premier équipement.
En repli, mais sur la valeur la plus faible (- 2,1 %, avec 24,4 % de parts de marché), les spécialistes ont pu limiter ce recul grâce à la volonté, exprimée par le consommateur, de monter en gamme, déjà évoquée : « Sans la nouvelle fermeture des points de vente au mois de novembre, les cuisinistes, salonistes ou litiers auraient pu espérer terminer l’année sur un résultat étale, voire en légère croissance pour certains » avance l’Institut.
Bénéficiaires, également de ces intentions de monter en gamme, les distributeurs d’ameublement milieu / haut de gamme affichent « seulement » – 5,2 % sur l’exercice, et représentent désormais 10,8 % de part de marché : « En plus du prix qui faisait office de référence et de premier critère d’achat pour le consommateur ces dernières années, les ménages commencent, à nouveau, à s’intéresser à la qualité du produit », souligne l’IPEA, précisant que ce circuit a enregistré des croissances à deux chiffres sur ses deux marchés majeurs que sont le meublant et les sièges rembourrés, entre les deux périodes de confinement. Ainsi, l’occasion est belle, pour ces acteurs, de mettre leurs produits en avant, et de regagner des parts de marché !
Evoquons les « autres circuits » – catégorie dans laquelle l’IPEA inclut les enseignes type Gifi, Centrakor ou grandes surfaces alimentaires, qui proposent du meuble sans que cela ne soit leur spécialité – qui enregistrent – 7,7 %, représentant 4,5 % du marché du meuble : un résultat mitigé avec, d’un côté, des réseaux discount qui savent toujours séduire le consommateur avec des prix bas (notamment sur le mobilier de jardin) et, de l’autre, des enseignes (particulièrement les alimentaires) qui se désengagent sur le meuble depuis des années…
Enfin – et c’est là un point important de ce bilan 2020 – les obligations de fermeture, qui ont particulièrement concerné ces magasins de vastes surfaces, ont très significativement impacté les résultats de la grande distribution ameublement, qui arrive au dernier rang du classement, avec un repli de – 10,4 % et une part de marché réduite à 38,2 %. Aux difficultés rencontrées par les acteurs contraints de fermer leurs magasins, se sont ajoutées des problématiques de stocks à la réouverture… et inévitablement, la volonté de monter en gamme du consommateur le détourne quelque peu de ces réseaux. « On notera, également, que les nombreuses semaines de fermeture n’ont pas ralenti les ardeurs des enseignes en faveur de fortes opérations de promotion, ce qui rend difficile la compensation du déficit engendré par ces fermetures, même si cela a sans doute permis de relancer plus rapidement le trafic » ajoute, par ailleurs, l’IPEA.
L’enjeu : transformer l’essai
Ainsi, si ces bons points – engouement pour l’équipement de la maison et montée en gamme – ont permis de contenir, en partie, le repli du marché du meuble durant cette crise sanitaire très sévère qui est loin d’être terminée, l’incertitude des prochains mois va porter sur la persistance de ces phénomènes… sur lesquels les acteurs du marché, évidemment, n’ont pas l’entier pouvoir. L’idée, pour eux, est néanmoins de transformer cet essai au maximum, en encourageant le consommateur – qui semble toujours bien orienté sur ses intentions d’achats – à poursuivre sur cette voie, avec force produits innovants, de qualité, mais aussi campagnes de communication séduisantes et présentes… D’autres éléments influeront directement sur le marché du meuble en 2021, comme la crise des matières premières avec les hausses de prix et l’allongement des délais qu’elle entraîne – à laquelle les plus optimistes ne prévoient pas d’amélioration avant la rentrée prochaine – ou encore l’immobilier ; sur ce point, on sait déjà que les mises en chantier devraient encore reculer en 2021 (- 14 % estimés, selon la Fédération Française du Bâtiment). Chaque mois devrait apporter sont lot de (bonnes ou mauvaises) surprises. Mais peut-on être en droit d’espérer la formation d’un mouvement de fond, qui orienterait durablement le consommateur vers l’envie de produits plus haut-de-gamme, à la qualité et à l’éthique renforcées, aux fonctionnalités accrues (ces dernières s’imposant aussi par les changements de mode de vie engendrés par la crise, comme la montée en puissance du télétravail) ? L’avenir nous le dira.