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3.5.2022

Rachat de Conforama par But : l’Autorité de la Concurrence permet l’opération sans engagement

C’est précisément « l’exception de l’entreprise défaillante » qui a été appliquée pour autoriser sans conditions la reprise de Conforama par l’Autrichien, officialisée ce 28 avril par l’Autorité de la Concurrence.

Souvenons-nous : le 23 septembre 2020, après que des discussions aient été menées tout l’été, l’opération de cession de Conforama France à Mobilux, structure commune à l’Autrichien Lutz et au fonds CD&R – et maison-mère de But – avait été officiellement finalisée : plus précisément, après l’accord général de juillet 2020, tous les détails du rachat avaient ainsi été clarifiés, et donc l’opération achevée… si ce n’est que l’Autorité de la Concurrence devait poursuivre son enquête sur le contrôle des concentrations de points de vente.

3 grands risques identifiés, mais…

En fait, en juillet 2020 – date de l’accord, comme précisé ci-dessus – l’Autorité de la Concurrence avait donc autorisé Mobilux à acquérir Conforama sans attendre son examen au titre du contrôle des concentrations. Au terme de son analyse, en ce printemps 2022, l’Autorité a considéré que l’opération entraînerait trois grandes catégories de risques d’atteinte à la concurrence, dont Mobilux n’a, par ailleurs, « pas été en mesure de démontrer qu’ils pourraient être contrebalancés par des gains d’efficience » :

> Le premier de ces risques concurrentiels concerne particulièrement le secteur de la literie. L’Autorité évoque « le risque de création ou de renforcement d’une puissance d’achat de nature à placer les fournisseurs de produits de literie en état de dépendance économique ». Plus précisément, à l’issue de cette opération, la nouvelle entité ainsi formée représente près de la moitié du marché de la distribution de produits de literie dans l’Hexagone. « Par ailleurs, plus de 50 % des fournisseurs communs de literie des parties vont réaliser une part substantielle de leur CA avec la nouvelle entité » note l’Autorité, qui reconnaît que sur un marché de dimension nationale, les alternatives à la nouvelle entité sont « très limitées », et qu’en outre, les autres acheteurs ont des volumes très réduits par rapport à ceux des parties.

> Deuxième risque concurrentiel identifié : une possible dégradation des conditions contractuelles des franchisés présents dans les Départements et Régions d’Outre-Mer. But et Conforama, en effet, y sont les deux principaux groupes qui proposent des franchises dans le secteur des produits d’ameublement ; « Par conséquent, l’opération entraîne la disparition d’une alternative pour les franchisés, qui se retrouveraient principalement face à un seul groupe franchiseur actif dans le secteur de l’ameublement à l’issue de l’opération » avance l’Autorité, considérant ainsi qu’il existe un risque de dégradation des conditions contractuelles des franchisés dans les DROM, avec par exemple un risque d’augmentation de la redevance due au titre du contrat de franchise.

> Enfin, il existerait également des risques « liés aux chevauchements d’activité sur les différents marchés aval de la distribution au détail de produits d’ameublement ». Pour bien poser les cadres de l’examen de l’opération, précisons que l’Autorité de la Concurrence a estimé qu’il était plus pertinent de considérer les six grandes familles de produits (meublant / rembourrés / literie / cuisine / mobilier de salle de bains / dressings) plutôt qu’un marché de l’ameublement global ; de la même manière, elle a considéré qu’il était plus judicieux d’opérer une segmentation selon la gamme de prix ; enfin, l’Autorité a estimé que les ventes en magasins physiques, et en ligne, de produits d’ameublement « appartenaient à un même marché » (cela dans la lignée de décisions antérieures, à l’image de celle adoptée concernant le rapprochement entre la Fnac et Darty, en 2016). Au regard de tous ces paramètres définissant sa nouvelle « pratique décisionnelle concernant la distribution de produits d’ameublement », l’Autorité a considéré, au terme de son analyse, que si l’opération ne laissait pas apparaître de problèmes de concurrence dans la cuisine, elle serait, en revanche, susceptible d’entraîner des risques dans 4 zones de chalandise si l’on se place du côté des rembourrés, 35 zones considérant la famille du meublant, et 40 zones considérant la literie… « soit, en enlevant les doublons, 56 zones » résume l’Autorité.

… des critères néanmoins remplis pour autoriser le rachat

Malgré tout, en dépit de ces grands risques concurrentiels, l’Autorité a permis l’opération sans engagement – une annonce faite ce 28 avril 2022 –, cela en application de l’exception de l’entreprise défaillante. Cette dernière consiste à autoriser, sans condition, la reprise par un concurrent d’une entreprise, qui disparaitrait à brève échéance si l’opération n’était pas réalisée, et ce même si l’opération porte atteinte à la concurrence. « Cette faculté particulière a été très peu utilisée en Europe » avance l’Autorité, précisant que depuis qu’elle a reçu, en 2009, la compétence de contrôler les concentrations, elle n’en n’avait « jamais fait application, compte-tenu du caractère très strict des critères d’application ».    

Quelles ont été les raisons précises ayant permis de « dépasser » les risques évoqués ci-dessus, et d’autoriser ainsi l’opération ? D’une part, il a été estimé que les difficultés de l’entreprise cible – Conforama, en l’occurrence – entraîneraient « sa disparition rapide » en l’absence de reprise ; d’autre part, l’Autorité a constaté qu’il n’existait pas d’autre offre de reprise « moins dommageable pour la concurrence » que celle proposée par Mobilux. Une fois ceci posé, restait un troisième critère important à considérer pour que l’exception de l’entreprise défaillante puisse s’appliquer : celui qui stipule que la disparition de la société en difficulté « ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs que la reprise projetée » : sur ce point, après plusieurs consultations et comparaisons, l’Autorité a estimé que cette reprise de Conforama par But permettrait d’ « assurer un maintien de la diversité de l’offre ».      

Ces trois critères cumulatifs, devant donc être remplis afin que l’exception de l’entreprise défaillante puisse s’appliquer, ont été identifiés en 2004 par le Conseil d’Etat, dans sa décision sur le rapprochement entre Seb et Moulinex. Aujourd’hui, ce sont Conforama et But qui en « profitent » afin de sceller, malgré de grands risques concurrentiels, leur rapprochement. Reste à voir comment les parties prenantes, qu’elles soient internes (franchisés) ou externes (fournisseurs, clients…) feront face à cette décision.

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